Conseil d'État
N° 408742
ECLI:FR:CEORD:2017:408742.20170328
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP MASSE-DESSEN, THOUVENIN, COUDRAY, avocats
Lecture du mardi 28 mars 2017
Vu la procédure suivante :
M. A...B...a demandé au juge des référés du tribunal administratif d'Amiens, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 20 décembre 2016 par lequel le ministre de l'intérieur l'a assigné à résidence sur le territoire de la commune de Clairoix avec obligation de se présenter trois fois par jour au commissariat de police de Compiègne, de demeurer de 20 heures à 6 heures dans son habitation, et lui interdisant de se déplacer en dehors de son lieu d'assignation à résidence sans autorisation préalable. Par une ordonnance n° 1700404 du 23 février 2017, le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 8 et 22 mars 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de faire droit à sa demande de première instance.
Il soutient que :
- la condition d'urgence est présumée remplie, concernant une décision prononçant une assignation à résidence, d'autant plus qu'il se trouve dans une situation financière difficile, et sans emploi ;
- l'arrêté contesté porte une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté d'aller et venir et au droit à la vie privée, dès lors qu'elle est disproportionnée, son comportement ne représentant pas une menace pour la sécurité et l'ordre publics en rapport avec la menace terroriste ;
- l'arrêté contesté porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie privée en ce qu'il empêche le requérant d'avoir une activité professionnelle et des relations sociales ;
- les notes blanches sont irrecevables, dès lors qu'elles constituent un traitement automatisé de données à caractère personnel ;
- l'ordonnance contestée est entachée d'une erreur de droit en ce que le juge des référés ne s'est pas fondé sur la loi du 3 avril 1955 mais sur son passé délictuel pour rejeter sa demande de suspension de son assignation à résidence ;
- l'ordonnance du juge des référés est insuffisamment motivée.
Par un mémoire distinct, enregistré le 9 mars 2017, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, M. B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'alinéa 7 de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, tel que modifié par la loi du 20 novembre 2015. Il soutient que l'alinéa contesté est applicable au litige, n'a jamais été déclaré conforme à la Constitution, porte une atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté d'aller et venir, au principe d'égalité et au respect au droit à la vie privée.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 16 mars 2017, le ministre de l'intérieur conclut, d'une part, au rejet de la requête et, d'autre part, à ce que le juge des référés du Conseil d'Etat ne renvoie pas la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés, que les dispositions de l'alinéa 7 de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 ont déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel et que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B...est dépourvue de caractère nouveau et sérieux.
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. B..., d'autre part, le ministre de l'intérieur ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du jeudi 23 mars 2017 à 9 heures au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Coudray, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. B... ;
- M.B... ;
- le représentant de M.B... ;
- le représentant du ministre de l'intérieur ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 66 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 ;
- la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 ;
- la loi n° 2016-162 du 19 février 2016 ;
- la loi n° 2016-629 du 20 mai 2016 ;
- la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 ;
- la loi n° 2016-1767 du 19 décembre 2016 ;
- la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 ;
- le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 ;
- le décret n° 2015-1476 du 14 novembre 2015 ;
- le décret n° 2015-1478 du 14 novembre 2015 ;
- le code de justice administrative ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures " ;
2. Considérant que M. A...B...relève appel de l'ordonnance du 23 février 2017 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande, présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté du 20 décembre 2016 par lequel le ministre de l'intérieur l'a assigné à résidence ;
Sur les dispositions applicables :
3. Considérant qu'en application de la loi du 3 avril 1955, l'état d'urgence a été déclaré par le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015, à compter du même jour à zéro heure, sur le territoire métropolitain et prorogé pour une durée de trois mois, à compter du 26 novembre 2015, par l'article 1er de la loi du 20 novembre 2015, puis prorogé à nouveau pour une durée de trois mois à compter du 26 février 2016 par l'article unique de la loi du 19 février 2016, pour une durée de deux mois à compter du 26 mai 2016 par l'article unique de la loi du 20 mai 2016 et pour une durée de six mois à compter du 21 juillet 2016 par l'article 1er de la loi du 21 juillet 2016 ; que l'article 1er de la loi du 19 décembre 2016 a prorogé l'état d'urgence jusqu'au 15 juillet 2017 ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955, dans sa rédaction issue de la loi du 19 décembre 2016 : " Le ministre de l'intérieur peut prononcer l'assignation à résidence, dans le lieu qu'il fixe, de toute personne résidant dans la zone fixée par le décret mentionné à l'article 2 et à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics dans les circonscriptions territoriales mentionnées au même article 2. (...) / La personne mentionnée au premier alinéa du présent article peut également être astreinte à demeurer dans le lieu d'habitation déterminé par le ministre de l'intérieur, pendant la plage horaire qu'il fixe, dans la limite de douze heures par vingt-quatre heures. / L'assignation à résidence doit permettre à ceux qui en sont l'objet de résider dans une agglomération ou à proximité immédiate d'une agglomération. (...) / L'autorité administrative devra prendre toutes dispositions pour assurer la subsistance des personnes astreintes à résidence ainsi que celle de leur famille. / Le ministre de l'intérieur peut prescrire à la personne assignée à résidence : / 1° L'obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, selon une fréquence qu'il détermine dans la limite de trois présentations par jour, en précisant si cette obligation s'applique y compris les dimanches et jours fériés ou chômés (...). / A compter de la déclaration de l'état d'urgence et pour toute sa durée, une même personne ne peut être assignée à résidence pour une durée totale équivalant à plus de douze mois " ;
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
5. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ; que l'article 23-3 de cette ordonnance prévoit qu'une juridiction saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité " peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires " et qu'elle peut statuer " sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu'elle statue dans un délai déterminé ou en urgence " ;
6. Considérant qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions organiques avec celles du livre V du code de justice administrative qu'une question prioritaire de constitutionnalité peut être soulevée devant le juge administratif des référés statuant, en première instance ou en appel, sur le fondement de l'article L. 521-2 de ce code ; que le juge des référés peut en toute hypothèse, y compris lorsqu'une question prioritaire de constitutionnalité est soulevée devant lui, rejeter une requête qui lui est soumise pour incompétence de la juridiction administrative, irrecevabilité ou défaut d'urgence ; que s'il ne rejette pas les conclusions qui lui sont soumises pour l'un de ces motifs, il lui appartient de se prononcer, en l'état de l'instruction, sur la transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité ou, pour le juge des référés du Conseil d'Etat, sur le renvoi de la question au Conseil constitutionnel ; que même s'il décide de renvoyer la question, il peut, s'il estime que les conditions posées par l'article L. 521-2 du code de justice administrative sont remplies, prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires, compte tenu tant de l'urgence que du délai qui lui est imparti pour statuer, en faisant usage de l'ensemble des pouvoirs que cet article lui confère ;
7. Considérant que M. B...soutient que les dispositions de l'alinéa 7 de l'article de la loi du 3 avril 1955, tel que modifié par la loi du 20 novembre 2015, porteraient une atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté d'aller et venir, au principe d'égalité et au respect au droit à la vie privée ; que, toutefois, le Conseil constitutionnel a déclaré les dispositions contestées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 2015-527 QPC du 22 décembre 2015 ; qu'aucun changement de circonstances survenu depuis cette décision, ni le fait que M. B...soit également astreint à se présenter une fois par semaine au commissariat de Compiègne dans le cadre du contrôle judiciaire dont il est l'objet, ne sont de nature à justifier que la conformité de ces dispositions à la Constitution soit à nouveau examinée par le Conseil constitutionnel ;
8. Considérant ainsi qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité relative à l'alinéa 7 de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 ;
Sur le litige en référé :
9. Considérant que sur le fondement des dispositions mentionnées au point 3, M. B...a fait l'objet d'un arrêté d'assignation à résidence le 22 juillet 2016, l'astreignant à résider sur le territoire de la commune de Clairoix, avec obligation de se présenter au commissariat de Compiègne trois fois par jour, à 8 heures, 12 heures et 19 heures, tous les jours de la semaine, y compris les jours fériés ou chômés, et lui imposant de demeurer tous les jours de 20 heures à 6 heures dans les locaux où il réside ; que l'assignation à résidence a été renouvelée, dans les mêmes conditions et dans la limite cumulée de douze mois depuis le début de l'état d'urgence, par un arrêté du 20 décembre 2016 ; que le requérant a saisi le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté du 20 décembre 2016 ; que par une ordonnance du 23 février 2017, le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande ; que M. B...relève appel de cette ordonnance ;
En ce qui concerne la régularité de l'ordonnance attaquée :
10. Considérant qu'au point 7 de son ordonnance, le juge des référés a examiné le bien-fondé du moyen soulevé par M. B...à l'appui de ces conclusions, lesquelles ont été rejetées par l'article 1 du dispositif de cette ordonnance ; que, si le requérant soutient que l'ordonnance est motivée au seul regard de son passé de délinquant de droit commun, il ressort des termes mêmes de celle-ci que le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a pris en considération un faisceau d'indices, propres à la situation actuelle de M. B..., suffisamment sérieux et convergents, et dont le passé du requérant constitue l'une des composantes parmi d'autres ; que, dès lors, l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif d'Amiens n'est pas sur ce point entachée d'une irrégularité de nature à en justifier l'annulation ;
En ce qui concerne le bien-fondé de l'ordonnance :
11. Considérant qu'il appartient au juge des référés de s'assurer, en l'état de l'instruction devant lui, que l'autorité administrative, opérant la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l'ordre public, n'a pas porté d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, que ce soit dans son appréciation de la menace que constitue le comportement de l'intéressé, compte tenu de la situation ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence, ou dans la détermination des modalités de l'assignation à résidence ; que le juge des référés, s'il estime que les conditions définies à l'article L. 521-2 du code de justice administrative sont réunies, peut prendre toute mesure qu'il juge appropriée pour assurer la sauvegarde de la liberté fondamentale à laquelle il a été porté atteinte ;
12. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le ministre de l'intérieur s'est fondé, pour prendre la décision d'assignation à résidence contestée, sur des éléments figurant dans deux " notes blanches " des services de renseignement, versées au débat contradictoire ; qu'il ressort de ces éléments et des pièces du dossier, que, d'une part, M. B...a participé à des actions relevant du grand banditisme, qu'il s'est évadé au cours d'une extraction judiciaire en 2001, avec l'appui d'un commando lourdement armé et organisé, n'hésitant pas à faire feu à plusieurs reprises sur l'escorte, blessant un militaire ; que, d'autre part, l'intéressé s'est radicalisé durant ses longues périodes d'incarcération au contact de plusieurs détenus incarcérés pour des faits de terrorisme et qu'il a été remarqué pour son prosélytisme religieux et ses propos violents ; qu'enfin, la perquisition administrative dont il a fait l'objet le 2 août 2016 a permis de constater la présence, dans son ordinateur, de logiciels permettant la suppression systématique de l'historique de navigation ;
13. Considérant, en premier lieu, que M. B...dit contester l'ensemble des éléments présents dans les " notes blanches " ; que, toutefois, il n'a produit, en première instance et en appel, aucun élément relatif à sa situation personnelle, témoignages ou attestations notamment, susceptible de susciter le doute à l'égard des éléments circonstanciés et précis auxquels se réfère le ministre ; qu'il s'est contenté à l'audience de mettre en cause le principe même des notes blanches ; que le moyen tiré de l'irrecevabilité des " notes blanches " en ce qu'elles méconnaîtraient les dispositions de la loi du 6 janvier 1978 n'est en tout état de cause pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien fondé ; qu'en deuxième lieu, si M. B... soutient que l'obligation de se présenter trois fois par jour au commissariat de police de Compiègne est disproportionnée dès lors qu'il fait l'objet simultanément d'un contrôle judiciaire l'obligeant à se présenter une fois par semaine au commissariat de police de Compiègne, il ressort en tout état de cause des échanges au cours de l'audience publique que l'accomplissement des obligations au titre de son assignation à résidence et celles au titre de son contrôle judiciaire, s'effectuent à l'occasion d'une même présentation au commissariat ; qu'enfin, la mesure d'assignation à résidence n'apparaît pas, en l'état de l'instruction et au regard des aménagements possibles des modalités de l'assignation à résidence, comme faisant obstacle à ce que l'intéressé recherche un emploi, le ministre de l'intérieur faisant valoir sans être sérieusement contredit que l'autorité administrative compétente donne suite à toute demande d'aménagement tendant à ce qu'une personne puisse obtenir et conserver un emploi ;
14. Considérant qu'au vu de l'ensemble de ces éléments, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, qu'en renouvelant l'assignation à résidence de M. B..., au motif qu'il existe de sérieuses raisons de penser que le comportement de l'intéressé constitue une menace grave pour la sécurité et l'ordre publics, le ministre de l'intérieur ait porté une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté d'aller et venir ou à son droit à la vie privée ;
15. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la condition d'urgence, que M. B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande ;
O R D O N N E :
------------------
Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B....
Article 2 : La requête de M. B...est rejetée.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A...B...et au ministre de l'intérieur.
N° 408742
ECLI:FR:CEORD:2017:408742.20170328
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP MASSE-DESSEN, THOUVENIN, COUDRAY, avocats
Lecture du mardi 28 mars 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
M. A...B...a demandé au juge des référés du tribunal administratif d'Amiens, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 20 décembre 2016 par lequel le ministre de l'intérieur l'a assigné à résidence sur le territoire de la commune de Clairoix avec obligation de se présenter trois fois par jour au commissariat de police de Compiègne, de demeurer de 20 heures à 6 heures dans son habitation, et lui interdisant de se déplacer en dehors de son lieu d'assignation à résidence sans autorisation préalable. Par une ordonnance n° 1700404 du 23 février 2017, le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 8 et 22 mars 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de faire droit à sa demande de première instance.
Il soutient que :
- la condition d'urgence est présumée remplie, concernant une décision prononçant une assignation à résidence, d'autant plus qu'il se trouve dans une situation financière difficile, et sans emploi ;
- l'arrêté contesté porte une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté d'aller et venir et au droit à la vie privée, dès lors qu'elle est disproportionnée, son comportement ne représentant pas une menace pour la sécurité et l'ordre publics en rapport avec la menace terroriste ;
- l'arrêté contesté porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la vie privée en ce qu'il empêche le requérant d'avoir une activité professionnelle et des relations sociales ;
- les notes blanches sont irrecevables, dès lors qu'elles constituent un traitement automatisé de données à caractère personnel ;
- l'ordonnance contestée est entachée d'une erreur de droit en ce que le juge des référés ne s'est pas fondé sur la loi du 3 avril 1955 mais sur son passé délictuel pour rejeter sa demande de suspension de son assignation à résidence ;
- l'ordonnance du juge des référés est insuffisamment motivée.
Par un mémoire distinct, enregistré le 9 mars 2017, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, M. B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'alinéa 7 de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, tel que modifié par la loi du 20 novembre 2015. Il soutient que l'alinéa contesté est applicable au litige, n'a jamais été déclaré conforme à la Constitution, porte une atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté d'aller et venir, au principe d'égalité et au respect au droit à la vie privée.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 16 mars 2017, le ministre de l'intérieur conclut, d'une part, au rejet de la requête et, d'autre part, à ce que le juge des référés du Conseil d'Etat ne renvoie pas la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés, que les dispositions de l'alinéa 7 de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 ont déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel et que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B...est dépourvue de caractère nouveau et sérieux.
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. B..., d'autre part, le ministre de l'intérieur ;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du jeudi 23 mars 2017 à 9 heures au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Coudray, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. B... ;
- M.B... ;
- le représentant de M.B... ;
- le représentant du ministre de l'intérieur ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 66 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 ;
- la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 ;
- la loi n° 2016-162 du 19 février 2016 ;
- la loi n° 2016-629 du 20 mai 2016 ;
- la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 ;
- la loi n° 2016-1767 du 19 décembre 2016 ;
- la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 ;
- le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015 ;
- le décret n° 2015-1476 du 14 novembre 2015 ;
- le décret n° 2015-1478 du 14 novembre 2015 ;
- le code de justice administrative ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures " ;
2. Considérant que M. A...B...relève appel de l'ordonnance du 23 février 2017 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande, présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté du 20 décembre 2016 par lequel le ministre de l'intérieur l'a assigné à résidence ;
Sur les dispositions applicables :
3. Considérant qu'en application de la loi du 3 avril 1955, l'état d'urgence a été déclaré par le décret n° 2015-1475 du 14 novembre 2015, à compter du même jour à zéro heure, sur le territoire métropolitain et prorogé pour une durée de trois mois, à compter du 26 novembre 2015, par l'article 1er de la loi du 20 novembre 2015, puis prorogé à nouveau pour une durée de trois mois à compter du 26 février 2016 par l'article unique de la loi du 19 février 2016, pour une durée de deux mois à compter du 26 mai 2016 par l'article unique de la loi du 20 mai 2016 et pour une durée de six mois à compter du 21 juillet 2016 par l'article 1er de la loi du 21 juillet 2016 ; que l'article 1er de la loi du 19 décembre 2016 a prorogé l'état d'urgence jusqu'au 15 juillet 2017 ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955, dans sa rédaction issue de la loi du 19 décembre 2016 : " Le ministre de l'intérieur peut prononcer l'assignation à résidence, dans le lieu qu'il fixe, de toute personne résidant dans la zone fixée par le décret mentionné à l'article 2 et à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics dans les circonscriptions territoriales mentionnées au même article 2. (...) / La personne mentionnée au premier alinéa du présent article peut également être astreinte à demeurer dans le lieu d'habitation déterminé par le ministre de l'intérieur, pendant la plage horaire qu'il fixe, dans la limite de douze heures par vingt-quatre heures. / L'assignation à résidence doit permettre à ceux qui en sont l'objet de résider dans une agglomération ou à proximité immédiate d'une agglomération. (...) / L'autorité administrative devra prendre toutes dispositions pour assurer la subsistance des personnes astreintes à résidence ainsi que celle de leur famille. / Le ministre de l'intérieur peut prescrire à la personne assignée à résidence : / 1° L'obligation de se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, selon une fréquence qu'il détermine dans la limite de trois présentations par jour, en précisant si cette obligation s'applique y compris les dimanches et jours fériés ou chômés (...). / A compter de la déclaration de l'état d'urgence et pour toute sa durée, une même personne ne peut être assignée à résidence pour une durée totale équivalant à plus de douze mois " ;
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
5. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ; que l'article 23-3 de cette ordonnance prévoit qu'une juridiction saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité " peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires " et qu'elle peut statuer " sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu'elle statue dans un délai déterminé ou en urgence " ;
6. Considérant qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions organiques avec celles du livre V du code de justice administrative qu'une question prioritaire de constitutionnalité peut être soulevée devant le juge administratif des référés statuant, en première instance ou en appel, sur le fondement de l'article L. 521-2 de ce code ; que le juge des référés peut en toute hypothèse, y compris lorsqu'une question prioritaire de constitutionnalité est soulevée devant lui, rejeter une requête qui lui est soumise pour incompétence de la juridiction administrative, irrecevabilité ou défaut d'urgence ; que s'il ne rejette pas les conclusions qui lui sont soumises pour l'un de ces motifs, il lui appartient de se prononcer, en l'état de l'instruction, sur la transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité ou, pour le juge des référés du Conseil d'Etat, sur le renvoi de la question au Conseil constitutionnel ; que même s'il décide de renvoyer la question, il peut, s'il estime que les conditions posées par l'article L. 521-2 du code de justice administrative sont remplies, prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires, compte tenu tant de l'urgence que du délai qui lui est imparti pour statuer, en faisant usage de l'ensemble des pouvoirs que cet article lui confère ;
7. Considérant que M. B...soutient que les dispositions de l'alinéa 7 de l'article de la loi du 3 avril 1955, tel que modifié par la loi du 20 novembre 2015, porteraient une atteinte injustifiée et disproportionnée à la liberté d'aller et venir, au principe d'égalité et au respect au droit à la vie privée ; que, toutefois, le Conseil constitutionnel a déclaré les dispositions contestées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 2015-527 QPC du 22 décembre 2015 ; qu'aucun changement de circonstances survenu depuis cette décision, ni le fait que M. B...soit également astreint à se présenter une fois par semaine au commissariat de Compiègne dans le cadre du contrôle judiciaire dont il est l'objet, ne sont de nature à justifier que la conformité de ces dispositions à la Constitution soit à nouveau examinée par le Conseil constitutionnel ;
8. Considérant ainsi qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité relative à l'alinéa 7 de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 ;
Sur le litige en référé :
9. Considérant que sur le fondement des dispositions mentionnées au point 3, M. B...a fait l'objet d'un arrêté d'assignation à résidence le 22 juillet 2016, l'astreignant à résider sur le territoire de la commune de Clairoix, avec obligation de se présenter au commissariat de Compiègne trois fois par jour, à 8 heures, 12 heures et 19 heures, tous les jours de la semaine, y compris les jours fériés ou chômés, et lui imposant de demeurer tous les jours de 20 heures à 6 heures dans les locaux où il réside ; que l'assignation à résidence a été renouvelée, dans les mêmes conditions et dans la limite cumulée de douze mois depuis le début de l'état d'urgence, par un arrêté du 20 décembre 2016 ; que le requérant a saisi le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant à la suspension de l'exécution de l'arrêté du 20 décembre 2016 ; que par une ordonnance du 23 février 2017, le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande ; que M. B...relève appel de cette ordonnance ;
En ce qui concerne la régularité de l'ordonnance attaquée :
10. Considérant qu'au point 7 de son ordonnance, le juge des référés a examiné le bien-fondé du moyen soulevé par M. B...à l'appui de ces conclusions, lesquelles ont été rejetées par l'article 1 du dispositif de cette ordonnance ; que, si le requérant soutient que l'ordonnance est motivée au seul regard de son passé de délinquant de droit commun, il ressort des termes mêmes de celle-ci que le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a pris en considération un faisceau d'indices, propres à la situation actuelle de M. B..., suffisamment sérieux et convergents, et dont le passé du requérant constitue l'une des composantes parmi d'autres ; que, dès lors, l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif d'Amiens n'est pas sur ce point entachée d'une irrégularité de nature à en justifier l'annulation ;
En ce qui concerne le bien-fondé de l'ordonnance :
11. Considérant qu'il appartient au juge des référés de s'assurer, en l'état de l'instruction devant lui, que l'autorité administrative, opérant la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l'ordre public, n'a pas porté d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, que ce soit dans son appréciation de la menace que constitue le comportement de l'intéressé, compte tenu de la situation ayant conduit à la déclaration de l'état d'urgence, ou dans la détermination des modalités de l'assignation à résidence ; que le juge des référés, s'il estime que les conditions définies à l'article L. 521-2 du code de justice administrative sont réunies, peut prendre toute mesure qu'il juge appropriée pour assurer la sauvegarde de la liberté fondamentale à laquelle il a été porté atteinte ;
12. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le ministre de l'intérieur s'est fondé, pour prendre la décision d'assignation à résidence contestée, sur des éléments figurant dans deux " notes blanches " des services de renseignement, versées au débat contradictoire ; qu'il ressort de ces éléments et des pièces du dossier, que, d'une part, M. B...a participé à des actions relevant du grand banditisme, qu'il s'est évadé au cours d'une extraction judiciaire en 2001, avec l'appui d'un commando lourdement armé et organisé, n'hésitant pas à faire feu à plusieurs reprises sur l'escorte, blessant un militaire ; que, d'autre part, l'intéressé s'est radicalisé durant ses longues périodes d'incarcération au contact de plusieurs détenus incarcérés pour des faits de terrorisme et qu'il a été remarqué pour son prosélytisme religieux et ses propos violents ; qu'enfin, la perquisition administrative dont il a fait l'objet le 2 août 2016 a permis de constater la présence, dans son ordinateur, de logiciels permettant la suppression systématique de l'historique de navigation ;
13. Considérant, en premier lieu, que M. B...dit contester l'ensemble des éléments présents dans les " notes blanches " ; que, toutefois, il n'a produit, en première instance et en appel, aucun élément relatif à sa situation personnelle, témoignages ou attestations notamment, susceptible de susciter le doute à l'égard des éléments circonstanciés et précis auxquels se réfère le ministre ; qu'il s'est contenté à l'audience de mettre en cause le principe même des notes blanches ; que le moyen tiré de l'irrecevabilité des " notes blanches " en ce qu'elles méconnaîtraient les dispositions de la loi du 6 janvier 1978 n'est en tout état de cause pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien fondé ; qu'en deuxième lieu, si M. B... soutient que l'obligation de se présenter trois fois par jour au commissariat de police de Compiègne est disproportionnée dès lors qu'il fait l'objet simultanément d'un contrôle judiciaire l'obligeant à se présenter une fois par semaine au commissariat de police de Compiègne, il ressort en tout état de cause des échanges au cours de l'audience publique que l'accomplissement des obligations au titre de son assignation à résidence et celles au titre de son contrôle judiciaire, s'effectuent à l'occasion d'une même présentation au commissariat ; qu'enfin, la mesure d'assignation à résidence n'apparaît pas, en l'état de l'instruction et au regard des aménagements possibles des modalités de l'assignation à résidence, comme faisant obstacle à ce que l'intéressé recherche un emploi, le ministre de l'intérieur faisant valoir sans être sérieusement contredit que l'autorité administrative compétente donne suite à toute demande d'aménagement tendant à ce qu'une personne puisse obtenir et conserver un emploi ;
14. Considérant qu'au vu de l'ensemble de ces éléments, il n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, qu'en renouvelant l'assignation à résidence de M. B..., au motif qu'il existe de sérieuses raisons de penser que le comportement de l'intéressé constitue une menace grave pour la sécurité et l'ordre publics, le ministre de l'intérieur ait porté une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté d'aller et venir ou à son droit à la vie privée ;
15. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la condition d'urgence, que M. B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande ;
O R D O N N E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B....
Article 2 : La requête de M. B...est rejetée.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A...B...et au ministre de l'intérieur.