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Ariane Web: Conseil d'État 387314, lecture du 13 avril 2017, ECLI:FR:CECHS:2017:387314.20170413

Décision n° 387314
13 avril 2017
Conseil d'État

N° 387314
ECLI:FR:CECHS:2017:387314.20170413
Inédit au recueil Lebon
6ème chambre
M. Christophe Pourreau, rapporteur
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public
SCP ZRIBI, TEXIER ; SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocats


Lecture du jeudi 13 avril 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

L'association Le Gournay Karaté Do a demandé au tribunal administratif de Montreuil, d'une part, d'annuler les décisions des 7 et 16 juin 2011 par lesquelles le maire de la commune de Gournay-sur-Marne (Seine-Saint-Denis) a retiré à l'association ses créneaux horaires d'accès au dojo et lui a demandé de retirer ses effets et d'en restituer les clés, d'autre part, d'enjoindre à la commune de lui réattribuer les créneaux horaires dont elle disposait pour utiliser les équipements publics municipaux, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, et, enfin, de condamner la commune à lui verser la somme de 165 000 euros à titre d'indemnisation des préjudices subis.

Par un jugement n° 1107551 du 31 mai 2012, le tribunal administratif a, en premier lieu, annulé les décisions litigieuses, en deuxième lieu condamné la commune à verser à l'association une indemnité de 5 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité de ces décisions, en troisième lieu enjoint à la commune d'attribuer à l'association des créneaux horaires d'accès au dojo dans le respect d'égalité de traitement des associations, et enfin rejeté le surplus des conclusions de la demande de l'association.

Par un arrêt n° 12VE02243, 12VE02244 du 6 novembre 2014, rendu sur le double appel de la commune et de l'association, la cour administrative d'appel de Versailles a annulé le jugement attaqué et, statuant après évocation, annulé les décisions litigieuses, condamné la commune à verser à l'association une indemnité de 5 000 euros en réparation du préjudice subi et rejeté le surplus des conclusions présentées par la commune et l'association à l'appui de leurs appels.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 22 janvier et 21 avril 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Le Gournay Karaté Do demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt, en tant qu'il ne fait pas entièrement droit à son appel ;

2°) réglant l'affaire du fond, de rejeter l'appel de la commune de Gournay-sur-Marne et de faire entièrement droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Gournay-sur-Marne la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Christophe Pourreau, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Zribi et Texier, avocat de l'association Le Gournay Karaté Do et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la commune de Gournay-sur-Marne ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le maire de la commune de Gournay-sur-Marne (Seine-Saint-Denis) a, par deux décisions en date des 7 et 16 juin 2011, procédé à la fermeture du dojo utilisé par l'association Le Gournay Karaté Do et lui a demandé de retirer ses effets et d'en restituer les clés. L'association a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler pour excès de pouvoir ces deux décisions, d'enjoindre à la commune de lui réattribuer les créneaux horaires dont elle disposait et de condamner la commune à lui verser une indemnité de 165 000 euros en réparation du préjudice subi. Par un jugement du 31 mai 2012, le tribunal administratif a annulé les décisions litigieuses. Il a en outre enjoint à la commune d'attribuer à l'association des créneaux horaires d'accès au dojo et l'a condamnée à verser à l'association une indemnité de 5 000 euros. Tant la commune que l'association ont relevé appel de ce jugement. Par un arrêt du 6 novembre 2014, la cour administrative d'appel de Versailles a annulé celui-ci pour irrégularité puis, après évocation, a annulé les décisions litigieuses au motif qu'elles étaient insuffisamment motivées. La cour a en outre condamné la commune à verser à l'association la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice subi et rejeté le surplus des conclusions de l'association. Celle-ci se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il n'a pas fait intégralement droit à son appel. La commune, par la voie du pourvoi incident, demande l'annulation du même arrêt en tant qu'il lui fait grief.

Sur les conclusions dirigées contre l'arrêt de la cour en tant qu'il statue sur la légalité interne des décisions litigieuses :

2. En jugeant que le maire de la commune de Gournay-sur-Marne avait procédé au retrait des créneaux horaires d'occupation du dojo municipal par l'association Le Gournay Karaté Do pour des motifs tirés des nécessités de l'administration des biens communaux et qu'ainsi le détournement de pouvoir allégué n'était pas établi, la cour s'est livrée à une appréciation souveraine exempte de dénaturation, qui n'est pas susceptible d'être discutée devant le juge de cassation.

3. En jugeant que les difficultés sérieuses de gestion de l'association, qui ont perturbé le calendrier des cours de karaté qu'elle dispensait au sein du dojo municipal et donné lieu à des dissensions publiques entre ses membres susceptibles d'altérer durablement son activité d'enseignement, pouvaient être regardées comme un motif tiré des nécessités de l'administration des biens communaux tel que fixé à l'article L. 2143-3 du code général des collectivités territoriales, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.

Sur les conclusions dirigées contre l'arrêt de la cour en tant qu'il alloue à l'association une indemnité en réparation du préjudice subi :

4. Si toute illégalité qui entache une décision constitue en principe une faute de nature à engager la responsabilité de la collectivité au nom de laquelle cette décision a été prise, une telle faute ne peut donner lieu à la réparation du préjudice subi par le destinataire de la décision si la nature et le degré de gravité de l'illégalité empêchent de regarder le préjudice résultant de cette décision comme entretenant un lien de causalité direct avec cette illégalité, notamment si la même décision aurait pu être légalement prise dans le cadre d'une procédure régulière.

5. A l'appui de son arrêt, la cour administrative d'appel a jugé que les décisions litigieuses n'étaient entachées d'illégalité qu'au motif qu'elles étaient insuffisamment motivées. En regardant le préjudice invoqué par l'association Le Gournay Karaté Do comme présentant un lien de causalité direct avec le motif d'illégalité ainsi caractérisé, eu égard à la nature et au degré de gravité de celui-ci, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de qualification juridique. Il suit de là que l'article 4 de l'arrêt attaqué doit être annulé.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l'affaire au fond, dans la limite de la cassation prononcée au point 5.

7. Ainsi qu'il a été dit aux points 4 et 5, l'insuffisance de motivation entachant les décisions litigieuses du maire de Gournay-sur-Marne, lesquelles étaient par ailleurs légalement justifiées, ne présente pas un lien de causalité direct avec le préjudice dont l'association Le Gournay Karaté Do demande réparation. Par suite, les conclusions indemnitaires présentées par celle-ci ne peuvent qu'être rejetées.

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme qui est demandée à ce titre par l'association Le Gournay Karaté Do soit mise à la charge de la commune de Gournay-sur-Marne, qui n'est pas dans la partie perdante dans la présente instance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'association Le Gournay Karaté Do le versement de la somme qui est demandée au même titre par la commune de Gournay-sur-Marne.



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de l'association Le Gournay Karaté Do est rejeté.
Article 2 : L'article 4 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 6 novembre 2014 est annulé.

Article 3 : Les conclusions indemnitaires présentées par l'association Le Gournay Karaté Do sont rejetées.
Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Gournay-sur-Marne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à l'association Le Gournay Karaté Do et à la commune de Gournay-sur-Marne.