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Ariane Web: Conseil d'État 391131, lecture du 14 juin 2017, ECLI:FR:CECHR:2017:391131.20170614

Décision n° 391131
14 juin 2017
Conseil d'État

N° 391131
ECLI:FR:CECHR:2017:391131.20170614
Inédit au recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
M. Christian Fournier, rapporteur
M. Vincent Daumas, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP SPINOSI, SUREAU, avocats


Lecture du mercredi 14 juin 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :


M. A... B...a demandé au tribunal administratif de Paris :
- d'annuler la décision par laquelle la ville de Paris a implicitement rejeté sa demande du 4 avril 2013 tendant au bénéfice du report de ses congés annuels acquis pendant ses périodes de congés de maladie et au paiement d'une somme de 3 194,92 euros au titre des demi-traitements décomptés sur son salaire ;
- d'enjoindre, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, à la ville de Paris de lui accorder le report de ces jours de congés annuels, de régulariser sa situation dans un délai de quinze jours et de fixer son traitement mensuel à 1 597,46 euros bruts ;
- de condamner la ville de Paris au paiement d'une somme de 3 194,92 euros bruts au titre des demi-traitements dans un délai de quinze jours.

Par un jugement n° 1310764 du 20 mars 2014, le tribunal administratif de Paris a annulé la décision rejetant implicitement la demande de M. B... du 4 avril 2013 en tant que, par cette décision, la ville de Paris a refusé de lui accorder un report de ses congés annuels acquis pendant les périodes de congé de maladie au titre des années 2009 à 2012 et a enjoint à la ville de Paris d'accorder à ce dernier le report des congés annuels acquis pendant les périodes de congés de maladie au titre des années 2009 à 2012. Le tribunal administratif de Paris a rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. B....

Par un arrêt n° 14PA02218 du 16 avril 2015, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la ville de Paris contre ce jugement en tant qu'il a annulé sa décision implicite rejetant la demande de M. B... de report de ses congés annuels acquis pendant les périodes de congé de maladie au titre des années 2009 à 2012 et qu'il a enjoint à la ville de Paris de lui accorder ce report dans un délai de trois mois.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 17 juin et 14 septembre 2015 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ville de Paris demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt, en tant qu'il lui fait grief ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de M. B... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 ;
- l'arrêt C-214/10 du 22 novembre 2011 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 85-1250 du 26 novembre 1985 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Christian Fournier, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la ville de Paris et à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de M. A...B...;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 29 mai 2017, présentée par M. B... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. B..., inspecteur de sécurité affecté à la direction des espaces verts et de l'environnement de la ville de Paris, a été victime d'un accident de service le 6 mai 1998 et a été placé en congé de maladie au titre de cet accident à de nombreuses reprises, notamment au cours des années 2009 à 2012. Par lettre du 4 avril 2013, M. B... a vainement demandé à la ville de Paris de lui accorder, en application du paragraphe 1 de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement et du Conseil du 4 novembre 2003, le report de ses congés annuels acquis pendant ses périodes de congé de maladie au titre des années 2009 à 2012. Par un jugement du 20 mars 2014, le tribunal administratif de Paris a, d'une part, annulé la décision implicite de la ville de Paris rejetant la demande de M. B... et lui a enjoint d'accorder à M. B...le report de ses congés annuels au titre des années 2009 à 2012 et, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions indemnitaires de sa requête. Par un arrêt du 16 avril 2015, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel de la ville de Paris contre ce jugement en tant qu'il a annulé sa décision implicite rejetant la demande de M. B... de report de ses congés annuels acquis pendant ses périodes de congé de maladie au titre des années 2009 à 2011 et qu'il lui a enjoint d'accorder à M. B... ce report dans un délai de trois mois. La ville de Paris se pourvoit en cassation contre les articles 1er et 2 de cet arrêt.

2. Aux termes de l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 relative à certains aspects de l'aménagement du temps de travail : " 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales / 2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail ". Selon la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, ces dispositions font obstacle à ce que le droit au congé annuel payé qu'un travailleur n'a pas pu exercer pendant une certaine période parce qu'il était placé en congé de maladie pendant tout ou partie de cette période s'éteigne à l'expiration de celle-ci. Le droit au report des congés annuels non exercés pour ce motif n'est toutefois pas illimité dans le temps. Si, selon la Cour, la durée de la période de report doit dépasser substantiellement celle de la période au cours de laquelle le droit peut être exercé, pour permettre à l'agent d'exercer effectivement son droit à congé sans perturber le fonctionnement du service, la finalité même du droit au congé annuel payé, qui est de bénéficier d'un temps de repos ainsi que d'un temps de détente et de loisirs, s'oppose à ce qu'un travailleur en incapacité de travail durant plusieurs années consécutives, puisse avoir le droit de cumuler de manière illimitée des droits au congé annuel payé acquis durant cette période. La Cour de justice de l'Union européenne a jugé, dans son arrêt C-214/10 du 22 novembre 2011, qu'une durée de report de quinze mois, substantiellement supérieure à la durée de la période annuelle au cours de laquelle le droit peut être exercé, est compatible avec les dispositions de l'article 7 de la directive.

3. Aux termes de l'article 5 du décret du 26 novembre 1985 relatif aux congés annuels des fonctionnaires territoriaux : " (...) le congé dû pour une année de service accompli ne peut se reporter sur l'année suivante, sauf autorisation exceptionnelle donnée par l'autorité territoriale./ Un congé non pris ne donne lieu à aucune indemnité compensatrice ". Ces dispositions réglementaires, qui ne prévoient le report des congés non pris au cours d'une année de service qu'à titre exceptionnel, sans réserver le cas des agents qui ont été dans l'impossibilité de prendre leurs congés annuels en raison d'un congé de maladie, sont, dans cette mesure, incompatibles avec les dispositions de l'article 7 de la directive citée au point 2 et, par suite, illégales. En revanche, ces mêmes dispositions permettent en principe à l'autorité territoriale de rejeter une demande de report des jours de congés annuels non pris par un fonctionnaire territorial en raison d'un congé de maladie lorsque cette demande est présentée au delà d'une période de quinze mois qui suit l'année au titre de laquelle les droits à congé annuels ont été ouverts.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. B... a demandé à la ville de Paris le report de ses congés annuels acquis, pendant ses périodes de congé de maladie, au titre des années 2009 à 2012 par un courrier en date du 4 avril 2013, soit au-delà de la période de quinze mois suivant les années 2009, 2010 et 2011. En jugeant qu'il ne pouvait être fait application des dispositions de l'article 5 du décret du 26 novembre 1985 pour opposer un refus à la demande de report présentée par M. B... sans s'expliquer sur les raisons pour lesquelles elle a écarté, en ce qui concerne les années 2009 à 2011, la règle selon laquelle l'autorité territoriale est fondée en principe à rejeter une telle demande lorsqu'elle est présentée au delà d'une période de quinze mois qui suit l'année au titre de laquelle les droits à congé annuels ont été ouverts, la cour administrative d'appel a insuffisamment motivé son arrêt. Dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, la ville de Paris est fondée à demander l'annulation des articles 1er et 2 de l'arrêt qu'elle attaque.

5. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

6. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 et 4 ci-dessus, que le refus de la ville de Paris de faire droit à la demande à M. B..., présentée le 4 avril 2013, de bénéficier du report des congés annuels qu'il avait acquis durant ses congés de maladie au titre des années 2009 à 2011 doit être regardé comme pris en application des dispositions de l'article 5 du décret du 26 novembre 1985 qui permettent en principe à l'autorité territoriale de rejeter une telle demande lorsqu'elle est présentée au delà d'une période de quinze mois qui suit l'année au titre de laquelle les droits à congé annuels ont été ouverts. La ville de Paris est donc fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a, d'une part, annulé la décision implicite de refus de faire droit à la demande de M. B... au titre des trois années 2009, 2010 et 2011 au motif que la ville de Paris n'avait pu légalement fonder sa décision sur ces dispositions et, d'autre part, lui a enjoint de lui accorder ce report dans le délai de trois mois à compter de la notification de son jugement.

7. Il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B..., tant en première instance qu'en appel.

8. Il découle de l'article 5 de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public, alors en vigueur, qu'une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas entachée d'illégalité du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. Elle ne peut être regardée comme illégale qu'en l'absence de communication de ses motifs dans le délai d'un mois par l'autorité saisie. Il ne ressort pas en l'espèce des pièces du dossier que M. B... ait sollicité la communication des motifs de la décision implicite de rejet opposée par la ville de Paris à sa demande de report de ses congés annuels non pris pour cause de maladie. M. B... n'est, par suite, pas fondé à soutenir que cette décision serait illégale du seul fait de son absence de motivation.

9. Il résulte de ce qui précède que la ville de Paris est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé son refus implicite de faire droit à la demande de M. B...tendant au report de ses congés annuels non pris pour cause de maladie au titre des années 2009 à 2011 et lui a enjoint d'accorder à l'intéressé le report de ces congés.

10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la ville de Paris au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de cette dernière qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 1er et 2 de l'arrêt du 16 avril 2016 de la cour administrative d'appel de Paris sont annulés.
Article 2 : Le jugement du 21 février 2012 du tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il a annulé la décision implicite de refus de la ville de Paris de faire droit à la demande de M. B... de report de ses congés annuels acquis, pendant ses périodes de congé de maladie, au titre des années 2009 à 2011 et qu'il a enjoint à la ville de Paris d'accorder à M. B... le report de ces congés dans le délai de trois mois à compter de la notification de son jugement.
Article 3 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif tendant à l'annulation de la décision implicite de refus de la ville de Paris de faire droit à la demande de M. B... de report de ses congés annuels acquis, pendant ses périodes de congé de maladie, au titre des années 2009 à 2011 et à ce qu'il soit enjoint à la ville de Paris de lui accorder le report de ses congés annuels dans un délai de trois mois est rejetée.
Article 4 : Les conclusions de la ville de Paris et de M. B... présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la ville de Paris et à M. A... B....


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