Conseil d'État
N° 411264
ECLI:FR:CECHS:2017:411264.20170712
Inédit au recueil Lebon
8ème chambre
Mme Emmanuelle Petitdemange, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
SCP BRIARD, avocats
Lecture du mercredi 12 juillet 2017
Vu la procédure suivante :
La société à responsabilité limitée Lupa Patrimoine France, à l'appui de sa défense contre l'appel formé par ministre des finances et des comptes publics contre le jugement n° 1105856 du 18 juillet 2012 par lequel le tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés mise à sa charge au titre de l'exercice clos en 2006 ainsi que des pénalités correspondantes, a produit deux mémoires, enregistrés les 13 février et 9 mars 2017 au greffe de la cour administrative d'appel de Paris, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lesquels elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité.
Par une ordonnance n° 16PA02401 du 30 mai 2017, enregistrée le 7 juin 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la 5ème chambre de cette cour, avant qu'il soit statué l'appel du ministre, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales.
Dans la question prioritaire de constitutionnalité transmise, la société Lupa Patrimoine France soutient que les dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, applicables au litige, méconnaissent le principe de la garantie des droits, qui découle de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts et livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Emmanuelle Petitdemange, auditeur,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Briard, avocat de la société Lupa Patrimoine France ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. / (...) Lorsque l'administration rejette les observations du contribuable sa réponse doit également être motivée ".
3. La société Lupa Patrimoine France soutient que les dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, dans la portée qui leur est conférée par une jurisprudence constante du Conseil d'Etat, méconnaissent le principe du respect des droits de la défense et du droit à un procès équitable qui découlent de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ainsi que, par suite, le principe de garantie des droits énoncé à cet article, en tant qu'elles ne font pas obstacle à ce que l'administration, au cours de la procédure contentieuse introduite par le contribuable, modifie ou sollicite du juge qu'il modifie par une substitution de base légale le fondement des droits mis à la charge de ce contribuable tel que l'administration l'avait mentionné dans la proposition de rectification qu'elle est tenue de lui notifier au cours de la procédure de redressement.
4. Il résulte d'une jurisprudence constante du Conseil d'Etat que l'administration est en droit, à tout moment de la procédure contentieuse suivie devant le juge de l'impôt, de justifier l'imposition en substituant une base légale à une autre, sous réserve que le contribuable ne soit pas privé des garanties de procédure qui lui sont données par la loi compte tenu de la base légale substituée.
5. En premier lieu, la société Lupa Patrimoine France ne peut utilement soutenir que cette faculté ouverte à l'administration, en ce qu'elle priverait le contribuable du bénéfice des garanties attachées à la procédure de rectification contradictoire prévue aux articles L. 55 à L. 61 B du livre des procédures fiscales, méconnaîtrait les droits de la défense et le droit à un procès équitable, protégés par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dès lors que la procédure administrative d'établissement de l'impôt n'est pas soumise à ces principes.
6. En second lieu, si le respect de ces principes s'impose au cours de la procédure juridictionnelle, l'article L.199 C du même livre prévoit que le contribuable peut faire valoir tout moyen nouveau devant le juge de l'impôt, tant en première instance qu'en appel, jusqu'à la clôture de l'instruction, de sorte que la faculté dont dispose l'administration de procéder à une substitution de base légale ne le prive ni du droit à une procédure contradictoire, ni du respect des droits de la défense et ne porte pas atteinte à son droit à un procès équitable.
7. S'agissant, en outre, des pénalités dont sont assorties, le cas échéant, les impositions, il découle d'une jurisprudence constante du Conseil d'Etat qu'une substitution de base légale est subordonnée à la condition supplémentaire que l'administration n'invoque, au soutien de sa demande, que des faits qu'elle avait retenus pour motiver la pénalité initialement appliquée et qu'elle a fait connaître au contribuable, au moins trente jours avant la mise en recouvrement, dans le document prévu par le second alinéa de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales. Ainsi, le débat contradictoire sur les faits justifiant l'application d'une pénalité a nécessairement lieu dès la phase administrative, seule la qualification juridique retenue étant susceptible de faire l'objet d'une modification, à la demande de l'administration, au cours de la phase juridictionnelle. Elle peut alors donner lieu à un débat contradictoire devant le juge. Il en résulte que le moyen tiré de ce que la possibilité de procéder à une substitution de base légale porterait atteinte aux droits de la défense et au droit à un procès équitable ne peut être regardé comme sérieux. De même, les conditions de mise en oeuvre d'une telle substitution excluant que des pénalités fiscales puisse être appliquées sur le fondement d'éléments de faits révélés par le contribuable postérieurement à l'établissement initial de ces pénalités, le moyen tiré de ce que les dispositions attaquées méconnaitraient le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination ne saurait davantage être regardé comme sérieux.
8. Il résulte de ce qui précède que la faculté dont dispose l'administration de substituer une base légale à une autre au cours de la procédure contentieuse qui l'oppose à un contribuable ne porte pas atteinte à la garantie des droits qui découle de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
9. Enfin, la question de la méconnaissance par les dispositions contestées du principe constitutionnel d'égalité devant la loi n'a pas été soumise à la cour administrative d'appel et ne peut être présentée pour la première fois devant le Conseil d'Etat, saisi, en application de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, d'une ordonnance de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité tirée de la méconnaissance d'un autre principe constitutionnel.
10. Ainsi, la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, est dépourvue de caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par le président de la 5ème chambre de la cour administrative d'appel de Paris.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société à responsabilité limitée Lupa Patrimoine France et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et à la cour administrative d'appel de Paris.
N° 411264
ECLI:FR:CECHS:2017:411264.20170712
Inédit au recueil Lebon
8ème chambre
Mme Emmanuelle Petitdemange, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
SCP BRIARD, avocats
Lecture du mercredi 12 juillet 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
La société à responsabilité limitée Lupa Patrimoine France, à l'appui de sa défense contre l'appel formé par ministre des finances et des comptes publics contre le jugement n° 1105856 du 18 juillet 2012 par lequel le tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés mise à sa charge au titre de l'exercice clos en 2006 ainsi que des pénalités correspondantes, a produit deux mémoires, enregistrés les 13 février et 9 mars 2017 au greffe de la cour administrative d'appel de Paris, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lesquels elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité.
Par une ordonnance n° 16PA02401 du 30 mai 2017, enregistrée le 7 juin 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la 5ème chambre de cette cour, avant qu'il soit statué l'appel du ministre, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales.
Dans la question prioritaire de constitutionnalité transmise, la société Lupa Patrimoine France soutient que les dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, applicables au litige, méconnaissent le principe de la garantie des droits, qui découle de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts et livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Emmanuelle Petitdemange, auditeur,
- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Briard, avocat de la société Lupa Patrimoine France ;
Considérant ce qui suit :
1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. / (...) Lorsque l'administration rejette les observations du contribuable sa réponse doit également être motivée ".
3. La société Lupa Patrimoine France soutient que les dispositions de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, dans la portée qui leur est conférée par une jurisprudence constante du Conseil d'Etat, méconnaissent le principe du respect des droits de la défense et du droit à un procès équitable qui découlent de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ainsi que, par suite, le principe de garantie des droits énoncé à cet article, en tant qu'elles ne font pas obstacle à ce que l'administration, au cours de la procédure contentieuse introduite par le contribuable, modifie ou sollicite du juge qu'il modifie par une substitution de base légale le fondement des droits mis à la charge de ce contribuable tel que l'administration l'avait mentionné dans la proposition de rectification qu'elle est tenue de lui notifier au cours de la procédure de redressement.
4. Il résulte d'une jurisprudence constante du Conseil d'Etat que l'administration est en droit, à tout moment de la procédure contentieuse suivie devant le juge de l'impôt, de justifier l'imposition en substituant une base légale à une autre, sous réserve que le contribuable ne soit pas privé des garanties de procédure qui lui sont données par la loi compte tenu de la base légale substituée.
5. En premier lieu, la société Lupa Patrimoine France ne peut utilement soutenir que cette faculté ouverte à l'administration, en ce qu'elle priverait le contribuable du bénéfice des garanties attachées à la procédure de rectification contradictoire prévue aux articles L. 55 à L. 61 B du livre des procédures fiscales, méconnaîtrait les droits de la défense et le droit à un procès équitable, protégés par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dès lors que la procédure administrative d'établissement de l'impôt n'est pas soumise à ces principes.
6. En second lieu, si le respect de ces principes s'impose au cours de la procédure juridictionnelle, l'article L.199 C du même livre prévoit que le contribuable peut faire valoir tout moyen nouveau devant le juge de l'impôt, tant en première instance qu'en appel, jusqu'à la clôture de l'instruction, de sorte que la faculté dont dispose l'administration de procéder à une substitution de base légale ne le prive ni du droit à une procédure contradictoire, ni du respect des droits de la défense et ne porte pas atteinte à son droit à un procès équitable.
7. S'agissant, en outre, des pénalités dont sont assorties, le cas échéant, les impositions, il découle d'une jurisprudence constante du Conseil d'Etat qu'une substitution de base légale est subordonnée à la condition supplémentaire que l'administration n'invoque, au soutien de sa demande, que des faits qu'elle avait retenus pour motiver la pénalité initialement appliquée et qu'elle a fait connaître au contribuable, au moins trente jours avant la mise en recouvrement, dans le document prévu par le second alinéa de l'article L. 80 D du livre des procédures fiscales. Ainsi, le débat contradictoire sur les faits justifiant l'application d'une pénalité a nécessairement lieu dès la phase administrative, seule la qualification juridique retenue étant susceptible de faire l'objet d'une modification, à la demande de l'administration, au cours de la phase juridictionnelle. Elle peut alors donner lieu à un débat contradictoire devant le juge. Il en résulte que le moyen tiré de ce que la possibilité de procéder à une substitution de base légale porterait atteinte aux droits de la défense et au droit à un procès équitable ne peut être regardé comme sérieux. De même, les conditions de mise en oeuvre d'une telle substitution excluant que des pénalités fiscales puisse être appliquées sur le fondement d'éléments de faits révélés par le contribuable postérieurement à l'établissement initial de ces pénalités, le moyen tiré de ce que les dispositions attaquées méconnaitraient le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination ne saurait davantage être regardé comme sérieux.
8. Il résulte de ce qui précède que la faculté dont dispose l'administration de substituer une base légale à une autre au cours de la procédure contentieuse qui l'oppose à un contribuable ne porte pas atteinte à la garantie des droits qui découle de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
9. Enfin, la question de la méconnaissance par les dispositions contestées du principe constitutionnel d'égalité devant la loi n'a pas été soumise à la cour administrative d'appel et ne peut être présentée pour la première fois devant le Conseil d'Etat, saisi, en application de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, d'une ordonnance de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité tirée de la méconnaissance d'un autre principe constitutionnel.
10. Ainsi, la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, est dépourvue de caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité transmise par le président de la 5ème chambre de la cour administrative d'appel de Paris.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société à responsabilité limitée Lupa Patrimoine France et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et à la cour administrative d'appel de Paris.