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Ariane Web: Conseil d'État 394474, lecture du 23 octobre 2017, ECLI:FR:CECHR:2017:394474.20171023

Décision n° 394474
23 octobre 2017
Conseil d'État

N° 394474
ECLI:FR:CECHR:2017:394474.20171023
Inédit au recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
Mme Isabelle Lemesle, rapporteur
M. Edouard Crépey, rapporteur public
LE PRADO, avocats


Lecture du lundi 23 octobre 2017
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 9 novembre 2015 et 9 février 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conseil national des barreaux demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 8 septembre 2015 portant création par la direction générale des finances publiques d'un traitement des déclarations rectificatives concernant la mise en conformité des avoirs non déclarés détenus à l'étranger ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 ;
- la loi n°90-1259 du 31 décembre 1990 ;
- la loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Le Prado, avocat du Conseil national des barreaux ;



Considérant ce qui suit :

1. Le Conseil national des barreaux demande l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du ministre des finances et des comptes publics du 8 septembre 2015 portant création d'un traitement des déclarations rectificatives concernant la mise en conformité des avoirs non déclarés détenus à l'étranger.

2. Aux termes de l'article 22 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 : " I. - A l'exception de ceux qui relèvent des dispositions prévues aux articles 25, 26 et 27 ou qui sont visés au deuxième alinéa de l'article 36, les traitements automatisés de données à caractère personnel font l'objet d'une déclaration auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (...) ". L'article 23 précise que : " I. - La déclaration comporte l'engagement que le traitement satisfait aux exigences de la loi (...) / La commission délivre sans délai un récépissé ". L'article 26 dispose que " Sont autorisés par arrêté du ou des ministres compétents, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, les traitements de données à caractère personnel mis en oeuvre pour le compte de l'Etat et : / (...) 2° (...) qui ont pour objet la prévention, la recherche, la constatation ou la poursuite des infractions pénales ou l'exécution des condamnations pénales ou des mesures de sûreté (...) ".

3. Le traitement automatisé de données à caractère personnel en litige, dénommé STDR, a pour finalité le suivi, au sein de la direction nationale des vérifications de situation fiscale (DNVSF) et des directions territoriales compétentes, des déclarations rectificatives déposées par les contribuables détenant des avoirs à l'étranger et souhaitant bénéficier des mesures prévues par les circulaires ministérielles du 21 juin 2013 et du 12 décembre 2013. Celles-ci autorisent les contribuables à régulariser l'omission de déclaration d'avoirs détenus à l'étranger, en contrepartie de pénalités fiscales atténuées. Les données personnelles traitées, énumérées au I de l'article 3 de l'arrêté attaqué, concernent l'identification du contribuable, de son conseil fiscal, de son dossier, de l'agent chargé de l'instruction de son dossier, ainsi que le suivi du traitement de son dossier.

Sur l'intérêt à agir du Conseil national des barreaux :

4. Le Conseil national des barreaux, établissement d'utilité publique doté de la personnalité morale institué par l'article 15 de la loi du 31 décembre 1990 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, a principalement pour objet de représenter la profession d'avocat auprès des pouvoirs publics. Dès lors, dans la présente instance, il ne justifie d'un intérêt lui donnant qualité que pour demander l'annulation des dispositions du 3e alinéa du I de l'article 3 de l'arrêté attaqué qui prévoient le traitement des données concernant l'identification du conseil fiscal, lesquelles sont divisibles des autres dispositions de l'arrêté attaqué.

Sur la légalité de l'arrêté attaqué :

5. Il ressort des pièces du dossier que le traitement litigieux, qui est destiné au recensement, à la gestion et au suivi des déclarations rectificatives faites spontanément par les contribuables en vue de la mise en conformité avec la législation fiscale de leurs avoirs détenus à l'étranger non déclarés à l'administration fiscale, contribue à éviter la continuation et la réitération de comportements susceptibles d'être constitutifs de fraude fiscale et pouvant, le cas échéant, faire l'objet de poursuites pénales. En outre, en application de l'article 1741 du code général des impôt, dans sa rédaction issue de la loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, le recours à des comptes ouverts ou à des contrats souscrits auprès d'organismes établis à l'étranger constitue une circonstance aggravante du délit de fraude fiscale, passible d'une peine de sept années d'emprisonnement et d'une amende de 2 millions d'euros. Dans ces conditions, ce traitement doit être regardé comme ayant parmi ses objets celui de prévenir la continuation et la réitération d'infractions pénales, au sens des dispositions précitées du 2° du I de l'article 26 de la loi du 6 janvier 1978. Sa création, qui a seulement fait l'objet d'une déclaration auprès de la CNIL, sur le fondement de l'article 22 de la même loi, ne pouvait dès lors résulter que d'un arrêté du ministre compétent, pris après avis motivé et publié de cette dernière.

Sur les conséquences de l'illégalité de l'arrêté attaqué :

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de sa requête, que le Conseil national des barreaux est seulement fondé à demander l'annulation des dispositions du 3ème alinéa du I de l'article 3 de l'arrêté attaqué relatives au traitement des données concernant l'identification du conseil fiscal. Compte tenu des effets excessifs qu'entrainerait la suppression de ces données au regard de la nécessité d'assurer une bonne gestion des déclarations rectificatives au moyen du traitement litigieux, qui constitue un intérêt public majeur, il y a lieu de différer l'effet de cette annulation de neuf mois à compter de la présente décision.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser au Conseil national des barreaux au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêté du 8 septembre 2015 portant création d'un traitement des déclarations rectificatives concernant la mise en conformité des avoirs non déclarés détenus à l'étranger est annulé en tant qu'il prévoit au 3ème alinéa du I de l'article 3 le traitement des données concernant l'identification du conseil fiscal. Cette annulation prendra effet à l'expiration d'un délai de neuf mois à compter de la présente décision.

Article 2 : L'Etat versera au Conseil national des barreaux la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au Conseil national des barreaux et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée à la section du rapport et des études du Conseil d'Etat.