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Ariane Web: Conseil d'État 417956, lecture du 22 mars 2018, ECLI:FR:CEORD:2018:417956.20180322

Décision n° 417956
22 mars 2018
Conseil d'État

N° 417956
ECLI:FR:CEORD:2018:417956.20180322
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
BALAT, avocats


Lecture du jeudi 22 mars 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 417956, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 février et 13 mars 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Chambre régionale des huissiers de justice du Nord-Pas-de-Calais demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 28 décembre 2017 pris en application de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques pour la profession d'huissier de justice ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle soutient que :
- la condition d'urgence est remplie dès lors que l'exécution de l'arrêté litigieux est de nature à bouleverser définitivement les conditions d'exercice des offices d'huissiers de justice existants par l'installation de nouveaux offices dès le printemps 2018 ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté attaqué ;
- l'arrêté litigieux est entaché d'incompétence négative en ce que les ministres chargés de la justice et de l'économie n'ont pas exercé la plénitude de leur compétence en se bornant à reprendre l'avis de l'Autorité de la concurrence ;
- il est entaché d'un vice de procédure en ce que, d'une part, lors de sa phase d'élaboration, un délai trop court a été laissé aux acteurs, notamment aux associations de consommateurs agréées, pour apporter leur contribution, et, d'autre part, les instances représentatives de la profession n'ont pas été consultées ;
- il est entaché d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation en ce que, d'une part, la détermination respective des zones de libre installation et d'installation contrôlée a été établie sur le fondement exclusif du chiffre d'affaire global des offices existants sans prise en compte des différents critères prévus par le décret du 26 février 2016 et, d'autre part, le département a été choisi comme zone de référence pour apprécier si l'implantation de nouveaux offices apparaît utile pour renforcer la proximité et l'offre de service alors que ce choix méconnaît les spécificités de territoires de la région ;
- il est entaché d'une erreur de droit en ce qu'il méconnaît le principe du droit au respect des biens.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mars 2018, la garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté.



2° Sous le n° 418007, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 février et 12 mars 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Chambre régionale des huissiers de justice de la cour d'appel de Bordeaux demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 28 décembre 2017 pris en application de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques pour la profession d'huissier de justice ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle soutient que :
- la condition d'urgence est remplie dès lors que l'exécution de l'arrêté litigieux est de nature à bouleverser définitivement les conditions d'exercice des offices d'huissiers de justice existants par l'installation de nouveaux offices dès le printemps 2018 ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté attaqué ;
- l'arrêté litigieux est entaché d'incompétence négative en ce que les ministres chargés de la justice et de l'économie n'ont pas exercé la plénitude de leur compétence en se bornant à reprendre l'avis de l'Autorité de la concurrence ;
- il est entaché d'une erreur de droit en ce que, d'une part, il se fonde de manière erronée sur le seul critère du chiffre d'affaire des offices d'huissiers de justice existants pour établir la carte desdits offices alors que le décret du 26 février 2016 fait état d'autres critères non repris par l'arrêté contesté, d'autre part, il est susceptible de bouleverser les conditions d'activité des offices existants en méconnaissance de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 et du principe d'égalité devant les charges publiques et, enfin, il porte une atteinte manifestement excessive à l'activité et à la valeur des offices existants en méconnaissance du principe du droit au respect des biens ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des spécificités de la situation des huissiers de justice de Bordeaux, en particulier la présence d'un office dont l'activité s'étend à l'ensemble du territoire national et qui réalise un chiffre d'affaire extrêmement élevé, hors de proportion avec les autres offices du département.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mars 2018, la garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté.



3° Sous le n° 418009, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 février et 12 mars 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Chambre départementale et régionale des huissiers de justice de Paris demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 28 décembre 2017 pris en application de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques pour la profession d'huissier de justice ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle soutient que :
- la condition d'urgence est remplie dès lors que l'exécution de l'arrêté litigieux est de nature à bouleverser définitivement les conditions d'exercice des offices d'huissiers de justice existants par l'installation de nouveaux offices dès le printemps 2018 ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté attaqué ;
- l'arrêté litigieux est entaché d'incompétence négative en ce que les ministres chargés de la justice et de l'économie n'ont pas exercé la plénitude de leur compétence en se bornant à reprendre l'avis de l'Autorité de la concurrence ;
- il est entaché d'une erreur de droit en ce que, d'une part, il se fonde de manière erronée sur le seul critère du chiffre d'affaire des offices d'huissiers de justice existants pour établir la carte desdits offices alors que le décret du 26 février 2016 fait état d'autres critères non repris par l'arrêté contesté, d'autre part, il est susceptible de bouleverser les conditions d'activité des offices existants en méconnaissance de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 et du principe d'égalité devant les charges publiques et, enfin, il porte une atteinte manifestement excessive à l'activité et à la valeur des offices existants en méconnaissance du principe du droit au respect des bien ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des spécificités de la situation des huissiers de justice de Paris, en particulier la proximité géographique, la proportion importante d'huissiers salariés et le nombre élevé de commissaires priseurs judiciaires.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mars 2018, la garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté.



4° Sous le n° 418063, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 février et 12 mars 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Chambre régionale des huissiers de justice près la cour d'appel d'Aix-en-Provence demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 28 décembre 2017 pris en application de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques pour la profession d'huissier de justice ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle soutient que :
- la condition d'urgence est remplie dès lors que l'exécution de l'arrêté litigieux est de nature à bouleverser définitivement les conditions d'exercice des offices d'huissiers de justice existants par l'installation de nouveaux offices dès le printemps 2018 ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté attaqué ;
- l'arrêté litigieux est entaché d'incompétence négative en ce que les ministres chargés de la justice et de l'économie n'ont pas exercé la plénitude de leur compétence en se bornant à reprendre l'avis de l'Autorité de la concurrence ;
- il est entaché d'une erreur de droit en ce que, d'une part, il se fonde de manière erronée sur le seul critère du chiffre d'affaire des offices d'huissiers de justice existants pour établir la carte desdits offices alors que le décret du 26 février 2016 fait état d'autres critères non repris par l'arrêté contesté, d'autre part, il est susceptible de bouleverser les conditions d'activité des offices existants en méconnaissance de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 et du principe d'égalité devant les charges publiques et, enfin, il porte une atteinte manifestement excessive à l'activité et à la valeur des offices existants en méconnaissance du principe du droit au respect des biens ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des spécificités de la situation des huissiers de justice près la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mars 2018, la garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté.



5° Sous le n° 418183, par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 14 février et 12 mars 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Chambre interdépartementale des huissiers de justice des Iles de la Réunion et Mayotte demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 28 décembre 2017 pris en application de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques pour la profession d'huissier de justice ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle soutient que :
- la condition d'urgence est remplie dès lors que l'exécution de l'arrêté litigieux est de nature à bouleverser définitivement les conditions d'exercice des offices d'huissiers de justice existants par l'installation de nouveaux offices dès le printemps 2018 ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté attaqué ;
- l'arrêté litigieux est entaché d'incompétence négative en ce que les ministres chargés de la justice et de l'économie n'ont pas exercé la plénitude de leur compétence en se bornant à reprendre l'avis de l'Autorité de la concurrence ;
- il est entaché d'une erreur de droit en ce que, d'une part, il se fonde de manière erronée sur le seul critère du chiffre d'affaire des offices d'huissiers de justice existants pour établir la carte desdits offices alors que le décret du 26 février 2016 fait état d'autres critères non repris par l'arrêté contesté, d'autre part, il est susceptible de bouleverser les conditions d'activité des offices existants en méconnaissance de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 et du principe d'égalité devant les charges publiques et, enfin, il porte une atteinte manifestement excessive à l'activité et à la valeur des offices existants en méconnaissance du principe du droit au respect des biens ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des spécificités de la situation des huissiers de justice d'une part à la Réunion, département où ils sont nombreux et dans une situation précaire et, d'autre part, à Mayotte qui a été maintenu en zone d'installation contrôlée alors que le manque d'huissiers dans le département a souvent été souligné.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mars 2018, la garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté.



6° Sous le n° 418759, par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 5 et 12 mars 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Chambre régionale des huissiers de justice près la cour d'appel de Lyon demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 28 décembre 2017 pris en application de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques pour la profession d'huissier de justice ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle soutient que :
- la condition d'urgence est remplie dès lors que l'exécution de l'arrêté litigieux est de nature à bouleverser définitivement les conditions d'exercice des offices d'huissiers de justice existants par l'installation de nouveaux offices dès le printemps 2018 ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté attaqué ;
- l'arrêté litigieux est entaché d'incompétence négative en ce que les ministres chargés de la justice et de l'économie n'ont pas exercé la plénitude de leur compétence en se bornant à reprendre l'avis de l'Autorité de la concurrence ;
- il est entaché d'une erreur de droit en ce que, d'une part, il se fonde de manière erronée sur le seul critère du chiffre d'affaire des offices d'huissiers de justice existants pour établir la carte desdits offices alors que le décret du 26 février 2016 fait état d'autres critères non repris par l'arrêté contesté, d'autre part, il est susceptible de bouleverser les conditions d'activité des offices existants en méconnaissance de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 et du principe d'égalité devant les charges publiques et, enfin, il porte une atteinte manifestement excessive à l'activité et à la valeur des offices existants en méconnaissance du principe du droit au respect des biens ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des spécificités de la situation des huissiers de justice de la région lyonnaise.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 mars 2018, la garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté.



Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de commerce ;
- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ;
- l'ordonnance n° 45-2592 du 2 novembre 1945 ;
- le décret n° 56-222 du 29 février 1956 ;
- le décret n° 2016-216 du 26 février 2016 ;
- le décret n° 2016-661 du 20 mai 2016 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la Chambre régionale des huissiers de justice du Nord-Pas-de-Calais, la Chambre régionale des huissiers de justice de la cour d'appel de Bordeaux, la Chambre départementale et régionale des huissiers de justice de Paris, la Chambre régionale des huissiers de justice près la cour d'appel d'Aix-en-Provence, la Chambre interdépartementale des huissiers de justice des Iles de la Réunion et Mayotte, la Chambre régionale des huissiers de justice près la cour d'appel de Lyon et, d'autre part, la garde des sceaux, ministre de la justice ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du mercredi 14 mars 2018 à 15 heures au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Balat, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la Chambre régionale des huissiers de justice du Nord-Pas-de-Calais ;
- les représentants de la Chambre régionale des huissiers de justice du Nord-Pas-de-Calais ;

- les représentants de la Chambre régionale des huissiers de justice de la cour d'appel de Bordeaux, de la Chambre départementale et régionale des huissiers de justice de Paris, de la Chambre régionale des huissiers de justice près la cour d'appel d'Aix-en-Provence, de la Chambre interdépartementale des huissiers de justice des Iles de la Réunion et Mayotte et de la Chambre régionale des huissiers de justice près la cour d'appel de Lyon ;

- les représentants de la garde des sceaux, ministre de la justice ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;



Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes nos 417956, 418007, 418009, 418063, 418183 et 418759 présentent à juger des questions semblables, il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

3. Aux termes de l'article 52 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances : " I. - (...) les huissiers de justice (...) peuvent librement s'installer dans les zones où l'implantation d'offices apparaît utile pour renforcer la proximité ou l'offre de services./ Ces zones sont déterminées par une carte établie conjointement par les ministres de la justice et de l'économie, sur proposition de l'Autorité de la concurrence en application de l'article L. 462-4-1 du code de commerce. Elles sont définies de manière détaillée au regard de critères précisés par décret, parmi lesquels une analyse démographique de l'évolution prévisible du nombre de professionnels installés./ A cet effet, cette carte identifie les secteurs dans lesquels, pour renforcer la proximité ou l'offre de services, la création de nouveaux offices d'huissiers de justice (...) apparaît utile./ Afin de garantir une augmentation progressive du nombre d'offices à créer, de manière à ne pas bouleverser les conditions d'activité des offices existants, cette carte est assortie de recommandations sur le rythme d'installation compatible avec une augmentation progressive du nombre de professionnels dans la zone concernée./ Cette carte est rendue publique et révisée tous les deux ans./ II. - Dans les zones mentionnées au I, lorsque le demandeur remplit les conditions de nationalité, d'aptitude, d'honorabilité, d'expérience et d'assurance requises pour être nommé en qualité d'huissier de justice (...), le ministre de la justice le nomme titulaire de l'office d'huissier de justice (...) créé. Un décret précise les conditions d'application du présent alinéa (...) ".

4. A la suite de l'intervention du décret n° 2016-216 du 26 février 2016 relatif à l'établissement de la carte instituée par le I de l'article 52 précité, l'Autorité de la concurrence a, par un avis n° 16-A-25 du 20 décembre 2016, proposé une carte des zones d'implantation, assortie de recommandations sur le rythme de création de nouveaux offices d'huissiers de justice. Puis, par un arrêté du 28 décembre 2017, la garde des sceaux, ministre de la justice et le ministre de l'économie et des finances ont établi la carte d'installation des huissiers de justice pour une période de deux ans. La Chambre régionale des huissiers de justice du Nord Pas-de-Calais, la Chambre régionale des huissiers de justice de la cour d'appel de Bordeaux, la Chambre départementale et régionale des huissiers de justice de Paris, la Chambre régionale des huissiers de justice près la cour d'appel d'Aix-en-Provence, la Chambre interdépartementale des huissiers de justice des Iles de la Réunion et Mayotte et la Chambre régionale des huissiers de justice près la cour d'appel de Lyon ont contesté cet arrêté dont elles demandent la suspension par les présentes requêtes.

Sur les moyens dirigés contre l'arrêté dans son ensemble :

5. Il ne ressort pas des pièces du dossier et notamment pas de la circonstance que les ministres chargés de la justice et de l'économie aient choisi de suivre la recommandation de l'Autorité de la concurrence s'agissant en particulier du choix du département comme référence pertinente pour délimiter les zones d'installation des huissiers de justice ainsi que de l'objectif de nomination des huissiers de justice dans les zones, qu'ils se soient crus liés par cette recommandation et aient ainsi méconnu l'étendue de leur compétence. Les débats au cours de l'audience ont d'ailleurs fait ressortir que, pendant le délai qui s'est écoulé entre la date de l'avis de l'Autorité de la concurrence et la signature de l'arrêté contesté, des échanges nombreux avaient eu lieu entre les services de l'administration et certaines chambres requérantes. Dès lors, le moyen tiré de ce que les auteurs de l'arrêté auraient méconnu leur propre compétence n'est pas de nature, en l'état de l'instruction, à créer un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté.

6. En application de l'article L. 462-4-1 du code de commerce dans sa rédaction issue de l'article 52 de la loi du 6 août 2015, l'Autorité de la concurrence a, le 29 février 2016, lancé une consultation publique dans le cadre de la préparation de son avis sur la liberté d'installation des notaires, huissiers de justice et commissaires priseurs et mis en ligne sur son site internet un communiqué invitant les acteurs intéressés : associations de défense des consommateurs, instances ordinales des professions, associations de professionnels concernés ainsi que toute personne remplissant les conditions requises pour exercer l'une de ces professions à lui adresser, avant le 31 mars 2016, leurs observations dans le cadre de la préparation de son avis. S'agissant de la profession d'huissier de justice, selon la synthèse de la consultation publiée en annexe de l'avis de l'Autorité, 124 contributions ont été reçues ; il ressort d'ailleurs des pièces des dossiers que plusieurs contributions émanaient de chambres départementales qui faisaient valoir de manière détaillée leurs observations. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que l'arrêté serait intervenu au terme d'une procédure irrégulière faute d'avoir été précédé d'une consultation permettant à tous les acteurs concernés de faire connaître leurs observations n'est pas de nature, en l'état de l'instruction, à faire naître un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté.

7. L'Autorité de la concurrence a procédé à l'analyse de la subdivision territoriale adaptée pour la détermination des zones d'installation des huissiers de justice. Cette analyse qui aboutit au choix du département comme subdivision pertinente est retracée aux points 143 à 165 de son avis. L'Autorité relève notamment que lors de la consultation publique mentionnée au point précédent, la majorité des contributions ont proposé le département comme zone pertinente, que le choix de cette subdivision correspond au choix fait le plus souvent par les donneurs d'ordres et que le département permet en outre d'avoir une proximité suffisante avec les justiciables auprès desquels les huissiers de justice réalisent les actes dont ils ont la charge. Le département coïncide en outre le plus souvent avec le ressort d'un ou plusieurs tribunaux de grande instance, subdivision qui, en application du décret du 29 février 1956 était, jusqu'au 1er janvier 2017, date à laquelle lui a été substitué le ressort de la cour d'appel, la circonscription retenue pour déterminer la compétence territoriale des huissiers pour certaines activités exercées en application de l'ordonnance du 2 novembre 1945. Dès lors le moyen tiré de ce que le choix du département comme zone au sein de laquelle serait appréciée la nécessité de renforcer la proximité ou l'offre de service serait entaché d'erreur de droit n'est pas de nature, en l'état de l'instruction, à faire naître un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté.

8. L'autorité administrative a procédé à une analyse détaillée de la situation de la profession d'huissier de justice au regard des critères énoncés par le décret du 26 février 2016. Par ailleurs et contrairement à ce qui est soutenu, elle a tenu compte dans son analyse, du pourcentage d'huissiers de justice salariés et de leur participation à l'offre de service, des baisses tarifaires découlant des textes récents, de la part respective des activités exercés dans le cadre d'un monopole légal et de celles exercées en concurrence avec d'autres professions, réglementées ou non et de l'impact de la fusion engagée des professions d'huissier de justice et de commissaire priseur judiciaire. A l'issue de cette analyse et pour l'identification des zones où l'implantation de nouveaux offices apparaît utile, elle n'était pas tenue de prendre en considération tous les critères énumérés par le décret du 26 février 2016, dès lors que le moyen tiré de ce que l'arrêté serait entaché d'erreur de droit pour s'être fondé, pour la détermination des zones, sur le critère du chiffre d'affaire par huissier libéral n'est pas de nature, en l'état de l'instruction, à faire naître un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté.

9. Les moyens tirés de ce que l'arrêté méconnaîtrait le principe d'égalité devant les charges publiques ainsi que le droit au respect des biens garanti par l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 14 de cette convention, énoncés de manière générale et sans être, ni dans les écritures, ni lors de l'audience publique, assortis de précisions, ne sont pas de nature, en l'état de l'instruction, à faire naître un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté.

Sur les moyens dirigés contre l'arrêté en tant qu'il concerne certains départements :

10. La circonstance que, postérieurement à l'intervention de l'arrêté attaqué, certains huissiers de justice titulaires d'un office situé dans l'une des petites agglomérations des départements du Nord ou du Pas-de-Calais pourraient être tentés de faire usage de la faculté, prévue par le décret du 20 mai 2016 pour les titulaires d'offices situés dans une zone d'installation libre, de procéder au transfert du siège de leur office vers l'une des grandes métropoles régionales par simple déclaration auprès de la chambre des huissiers et du procureur de la République, ne permet pas de considérer, en l'état de l'instruction, que le moyen tiré de ce que, en tant qu'il concerne les départements du Nord et du Pas-de-Calais, l'arrêté serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation est de nature à faire naître un doute sérieux.

11. La présence dans le département de la Gironde de plusieurs offices d'huissiers de justice ayant développé sur l'ensemble du territoire national une activité très importante, hors monopole, générant un chiffre d'affaire très important qui, pour l'un d'entre eux, serait le plus important de la profession, ne permet pas, alors que le critère d'appréciation retenu est le chiffre d'affaire par huissier libéral, de considérer, en l'état de l'instruction, que le moyen tiré de ce que, en tant qu'il concerne le département de la Gironde, l'arrêté serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation est de nature à faire naître un doute sérieux.

12. Ni la circonstance qu'à Paris la taille et le chiffre d'affaire des offices d'huissiers présenteraient une grande hétérogénéité, qu'en particulier certains offices regroupent de nombreux huissiers salariés qui ne seraient pas désireux de s'installer comme huissiers libéraux et qu'à l'inverse d'autres offices seraient en grande difficulté, ni le fait que c'est à Paris que sont installés la plupart des commissaires priseurs judiciaires dont la profession a été fusionnée avec celle d'huissiers de justice ne permettent de considérer, en l'état de l'instruction, que le moyen tiré de ce que, en ce qu'il concerne Paris, l'arrêté serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation est de nature à faire naître un doute sérieux.

13. Les difficultés rencontrées dans l'exercice de leur profession par les huissiers de justices titulaires d'un office dans l'un des départements des ressorts des cours d'appel d'Aix-en-Provence et de Lyon ainsi que dans les départements de la Réunion et de Mayotte ne sont pas de nature à permettre de considérer, en l'état de l'instruction que les moyens tirés de ce que, faute pour l'arrêté de prendre en compte les spécificités de ces départements, il serait entaché d'erreur manifeste sont de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté en tant qu'il les concerne.

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit, sur leur fondement, mise à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante.




O R D O N N E :
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Article 1er : Les requêtes de la Chambre régionale des huissiers de justice du Nord Pas-de-Calais, la Chambre régionale des huissiers de justice de la cour d'appel de Bordeaux, la Chambre départementale et régionale des huissiers de justice de Paris, la Chambre régionale des huissiers de justice près la cour d'appel d'Aix-en-Provence, la Chambre interdépartementale des huissiers de justice des Iles de la Réunion et Mayotte et de la Chambre régionale des huissiers de justice près la cour d'appel de Lyon sont rejetées.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la Chambre régionale des huissiers de justice du Nord Pas-de-Calais, la Chambre régionale des huissiers de justice de la cour d'appel de Bordeaux, la Chambre départementale et régionale des huissiers de justice de Paris, la Chambre régionale des huissiers de justice près la cour d'appel d'Aix-en-Provence, la Chambre interdépartementale des huissiers de justice des Iles de la Réunion et Mayotte, la Chambre régionale des huissiers de justice près la cour d'appel de Lyon, à la garde des sceaux, ministre de la justice.