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Ariane Web: Conseil d'État 418844, lecture du 30 mai 2018, ECLI:FR:Code Inconnu:2018:418844.20180530

Décision n° 418844
30 mai 2018
Conseil d'État

N° 418844
ECLI:FR:CECHR:2018:418844.20180530
Inédit au recueil Lebon
4ème et 1ère chambres réunies
Mme Sara-Lou Gerber, rapporteur
Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public


Lecture du mercredi 30 mai 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par un mémoire distinct et un nouveau mémoire, enregistrés les 8 mars et 19 mai 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, M. B...A...demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation de l'arrêté du 11 janvier 2018 de la présidente de l'université de Paris VIII le suspendant de ses fonctions à titre conservatoire, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 951-4 du code de l'éducation.



Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de l'éducation, notamment son article L. 951-4 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sara-Lou Gerber, auditeur,

- les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public ;



1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 951-4 du code de l'éducation : " Le ministre chargé de l'enseignement supérieur peut prononcer la suspension d'un membre du personnel de l'enseignement supérieur pour un temps qui n'excède pas un an, sans suspension de traitement " ;

3. Considérant que M.A..., professeur d'université, soutient, en premier lieu, que les dispositions citées ci-dessus de l'article L. 951-4 du code de l'éducation méconnaissent les exigences posées à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et le principe fondamental reconnu par les lois de la République de l'indépendance des enseignants-chercheurs, en ce que, d'une part, elles attribuent au ministre chargé de l'enseignement supérieur, ou par délégation, aux présidents d'université, un pouvoir de suspension qui devrait relever des seules juridictions disciplinaires et, d'autre part, en ce qu'elles n'organisent aucune procédure préalable de nature à assurer le respect des droits de la défense de l'enseignant-chercheur concerné ;

4. Considérant, toutefois, que la mesure prévue à l'article L. 951-4 du code de l'éducation a un caractère conservatoire, s'accompagne d'un maintien du traitement et est exclusivement prise dans le souci de préserver l'intérêt du service public universitaire ; qu'elle ne peut être prononcée que lorsque les faits imputés à un enseignant-chercheur présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité et que la poursuite des activités de l'intéressé au sein de l'établissement présente des inconvénients suffisamment sérieux pour le service ou pour le déroulement des procédures en cours ; qu'en outre, son maintien en vigueur ou sa prorogation sont, en l'absence de poursuites pénales, subordonnés à l'engagement de poursuites disciplinaires dans un délai raisonnable après son édiction ; que, par suite, il ne peut être sérieusement soutenu que les dispositions litigieuses, qui n'instituent pas un dispositif de sanction, méconnaîtraient, pour les motifs mentionnés au point 3, les exigences posées à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et le principe fondamental reconnu par les lois de la République de l'indépendance des enseignants-chercheurs ;

5. Considérant, en deuxième lieu, que M. A...ne peut davantage utilement soutenir que les dispositions de l'article L. 951-4 du code de l'éducation porteraient indirectement atteinte à la liberté d'expression des enseignants-chercheurs et, par suite, méconnaîtraient l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, au motif que le risque de faire l'objet d'une procédure de suspension conservatoire inciterait les enseignants-chercheurs à limiter leur liberté d'expression ; qu'en outre, ces dispositions n'ont, contrairement à ce que soutient M. A...dans ses dernières écritures, ni pour objet ni pour effet de priver l'enseignant-chercheur suspendu de sa liberté d'expression ; que, par suite, le moyen tiré de ce qu'elles méconnaîtraient directement l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 n'est, en tout état de cause, pas sérieux ;

6. Considérant, enfin, que le pouvoir conféré au ministre chargé de l'enseignement supérieur par les dispositions contestées est sans rapport avec le principe énoncé à l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui reconnaît le droit de la société de demander compte à tout agent public de son administration ;

7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, les moyens tirés de ce que les dispositions de l'article L. 951-4 du code de l'éducation porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doivent être écartés ;




D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M.A....
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B...A..., au Premier ministre et à la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.
Copie en sera adressée à l'Université de Paris VIII Vincennes-Saint-Denis et au Conseil constitutionnel.


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