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Ariane Web: Conseil d'État 397127, lecture du 13 juin 2018, ECLI:FR:CECHS:2018:397127.20180613

Décision n° 397127
13 juin 2018
Conseil d'État

N° 397127
ECLI:FR:CECHS:2018:397127.20180613
Inédit au recueil Lebon
9ème chambre
Mme Ophélie Champeaux, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
SCP BRIARD, avocats


Lecture du mercredi 13 juin 2018
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




La société par actions simplifiées (SAS) Eurotrade Fish a demandé au tribunal administratif de Marseille de prononcer la décharge de la retenue à la source prélevée sur les dividendes qu'elle a versés en 2008 à la SARL Jolora. Par un jugement n° 1105768 du 26 novembre 2013, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 14MA00697 du 17 décembre 2015, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par la SAS Eurotrade Fish contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 février et 18 mai 2016 et le 20 avril 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SAS Eurotrade Fish demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la directive 90/435/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Briard, avocat de la SAS Eurotrade Fish.



Considérant ce qui suit :

1. Le 2 de l'article 119 bis du code général des impôts soumet à une retenue à la source les revenus distribués par des personnes morales françaises à des personnes qui n'ont pas leur domicile fiscal ou leur siège en France. Les dispositions du 1 et 2 de l'article 119 ter de ce code prévoient, sous certaines conditions, d'exonérer de cette retenue à la source la distribution de revenus à une personne morale qui justifie auprès du débiteur ou de la personne qui assure le paiement de ses revenus être le bénéficiaire effectif des dividendes et avoir son siège de direction effective dans un Etat membre de l'Union européenne sans être considérée, aux termes d'une convention en matière de double imposition conclue avec un Etat tiers, comme ayant sa résidence fiscale hors de l'Union. Toutefois, le 3 de cet article 119 ter prévoit que cette exonération ne s'applique pas "lorsque les dividendes distribués bénéficient à une personne morale contrôlée directement ou indirectement par un ou plusieurs résidents d'Etats qui ne sont pas membres de la Communauté, sauf si cette personne morale justifie que la chaîne de participations n'a pas comme objet principal ou comme un de ses objets principaux de tirer avantage" de l'exonération.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à l'issue de la vérification de comptabilité dont elle a fait l'objet, la société par actions simplifiées (SAS) Eurotrade Fish a été assujettie à la retenue à la source prévue au 2 de l'article 119 bis du code général des impôts au titre de l'année 2008, à raison des dividendes versés le 30 juin 2008 à la SARL Jolora, société résidente du Luxembourg détenue par la société Topusco Ltd, domiciliée..., dont M.Abboud, domicilié..., était l'unique associé, au motif que cette distribution entrait dans le champ de l'exception prévue par les dispositions du 3 de l'article 119 ter du même code. La SAS Eurotrade Fish demande l'annulation de l'arrêt du 17 décembre 2015 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté son appel contre le jugement du 26 novembre 2013 du tribunal administratif de Marseille rejetant sa demande en décharge de cette retenue à la source.

3. En premier lieu, le moyen tiré de ce que les dispositions du 3 de l'article 119 ter du code général des impôts sont incompatibles avec les stipulations de l'article 43 du traité instituant la Communauté européenne devenu article 49 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, qui n'est pas d'ordre public, est nouveau en cassation et par suite inopérant.

4. En deuxième lieu, la cour n'a pas commis d'erreur de droit ni d'erreur de qualification juridique des faits en jugeant, au terme d'appréciations souveraines exemptes de dénaturation, que la chaîne des participations en litige avait comme objet principal, au sens des dispositions du 3 de l'article 119 ter du code général des impôts, de tirer avantage de l'exonération de retenue à la source prévue au 1 du même article et que la société requérante ne pouvait dès lors bénéficier de cette exonération.

5. En dernier lieu, aux termes du second alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. ". La société requérante se prévalait en appel, sur le fondement de ces dispositions, du paragraphe 5 de l'instruction fiscale référencée 4 C-7-07 publiée au bulletin officiel des impôts le 10 mai 2007, aux termes duquel : "(...) en l'absence de montage artificiel, lorsqu'une société européenne bénéficie de dividendes de source française afférents à une participation supérieure à 5'% du capital de la société distributrice et se trouve, du fait d'un régime d'exonération applicable dans son Etat de résidence, privée de toute possibilité d'imputer la retenue à la source en principe prélevée en France sur le fondement du 2. de l'article 119 bis du CGI, les distributions en question ne seront plus soumises à ladite retenue". Il résulte de ce qui a été dit au point 4 que la distribution de dividendes réalisée par la société Eurotrade Fish en faveur de la SARL Jolora avait pour principal objet de faire échapper cette distribution à la retenue à la source prévue par le 2 de l'article 119 bis du code général des impôts et que ce montage revêtait en conséquence un caractère artificiel visant à dissimuler le véritable bénéficiaire de cette distribution. La société requérante n'entrant pas dans les prévisions du paragraphe 5 de l'instruction du 10 mai 2007, la cour administrative d'appel n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales en jugeant, par un arrêt suffisamment motivé, que la société n'était pas fondée à s'en prévaloir.

6. Il résulte de ce qui précède que la SAS Eurotrade Fish n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque. Par suite, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la SAS Eurotrade Fish est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SAS Eurotrade Fish et au ministre de l'action et des comptes publics.