Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 408867, lecture du 15 février 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:408867.20190215

Décision n° 408867
15 février 2019
Conseil d'État

N° 408867
ECLI:FR:CECHR:2019:408867.20190215
Mentionné aux tables du recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
M. Vincent Daumas, rapporteur
Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats


Lecture du vendredi 15 février 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. et Mme B...A...ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2006 et des pénalités correspondantes. Par un jugement n° 1209307 du 17 juillet 2014, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a fait droit à cette demande, par son article 1er, en prononçant la décharge sollicitée, et, par son article 2, a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un arrêt n° 14VE02824 du 26 janvier 2017, la cour administrative d'appel de Versailles a, sur appel du ministre de l'économie et des finances, annulé les articles 1er et 2 de ce jugement et remis à la charge de M. et Mme A...la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2006.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 13 mars, 13 juin et 23 novembre 2017 et le 29 janvier 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. et Mme A... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel du ministre de l'économie et des finances ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Daumas, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. et Mme A...;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 31 décembre 2002, M. A...a constitué avec cinq fonds de capital développement une société holding, la société Action Sport Holding (ASH), afin d'acquérir pour un montant de 8 275 204 euros, dans le cadre d'une opération de rachat avec effet de levier, dite " leverage buy-out " (LBO), le capital d'une autre société holding, la société Financière Royal Moto France (FRMF), dont il était président ainsi qu'actionnaire et qui était à la tête d'un groupe spécialisé dans les accessoires de motos et de vélos. En échange d'une partie des actions de la société FRMF qu'il détenait, il a reçu 37 999 des 596 999 actions de la société ASH d'une valeur unitaire de 10 euros. Une convention a été conclue, le même jour, entre lui-même et ses associés, par laquelle ces derniers se sont engagés à lui accorder une fraction de la plus-value qu'ils réaliseraient en cas de cession concomitante de leurs actions respectives de la société ASH les faisant bénéficier d'un important taux de rendement interne, en contrepartie de l'apport par M. A... des actions qu'il détenait dans la société FRMF et de son engagement d'y conserver ses fonctions pour accompagner l'opération de LBO. A la suite de la cession de l'ensemble des titres de la société ASH intervenue le 16 février 2006, dans le cadre d'une nouvelle opération de LBO qui a valorisé la société à 23 770 000 euros, M. et Mme A...ont déclaré la totalité des gains qu'ils ont réalisés dans la catégorie des plus-values de cession de valeurs mobilières. A la suite d'un contrôle sur pièce, l'administration a calculé le prix de cession moyen de chaque action lors de cette cession et a estimé que la partie du gain réalisé par les contribuables qui excédait la différence entre ce prix de cession moyen et la valeur unitaire de 10 euros, multipliée par les 37 999 actions qu'ils détenaient, devait être imposée dans la catégorie des traitements et salaires. Les intéressés ont demandé la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis à la suite de ce redressement. Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a fait droit à leur demande par un jugement du 17 juillet 2014. Ils se pourvoient en cassation contre l'arrêt du 26 janvier 2017 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a annulé les articles 1er et 2 de ce jugement et remis à leur charge l'imposition dont ils avaient été déchargés ainsi que les pénalités correspondantes.

2. En premier lieu, aux termes de l'article 79 du code général des impôts : " Les traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères concourent à la formation du revenu global servant de base à l'impôt sur le revenu ". Aux termes de l'article 82 du même code : " Pour la détermination des bases d'imposition, il est tenu compte du montant net des traitements, indemnités et émoluments, salaires, pensions et rentes viagères, ainsi que de tous les avantages en argent ou en nature accordés aux intéressés en sus des traitements, indemnités, émoluments, salaires, pensions et rentes viagères proprement dits. (...) ". Aux termes du 1 du I de l'article 150-0 A du même code, dans sa rédaction applicable pour l'imposition des revenus de l'année 2006 : " Sous réserve des dispositions propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices non commerciaux et aux bénéfices agricoles ainsi que des articles 150 UB et 150 UC, les gains nets retirés des cessions à titre onéreux (...) de valeurs mobilières (...) sont soumis à l'impôt sur le revenu lorsque le montant de ces cessions excède, par foyer fiscal, 15 000 euros par an. (...) ".

3. Lorsque les associés d'une société conviennent que la plus-value qu'ils sont susceptibles de réaliser lors de la cession concomitante de leurs actions avec celles d'un autre associé sera partagée avec celui-ci, la fraction de cette plus-value qui revient à ce dernier ne constitue pas pour lui un gain net retiré de la cession à titre onéreux de ses valeurs mobilières, au sens du 1 du I de l'article 150-0 A du code général des impôts. Lorsque les sommes en cause trouvent essentiellement leur source dans l'exercice par l'intéressé de fonctions de dirigeant ou de salarié, elles constituent un avantage en argent, au sens de l'article 82 du même code.

4. La cour a relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, qu'eu égard à ses conditions de versement et à ses modalités de calcul, la fraction de leurs plus-values de cession que les principaux associés de la société ASH étaient convenus d'attribuer à M. A... avait essentiellement la nature, non de la compensation d'un risque que celui-ci aurait couru en sa qualité d'investisseur, mais celle d'un versement, à caractère incitatif, destiné à rétribuer l'exercice effectif de ses fonctions de manager ainsi que les résultats et performances ayant résulté de cet engagement professionnel. La cour a pu en déduire, sans commettre ni erreur de qualification juridique, ni erreur de droit, alors même que M. A... aurait supporté un risque significatif en tant qu'investisseur au titre des actions qu'il détenait et des garanties d'actifs et de passifs qu'il avait consenties lors des deux opérations de LBO, que cette fraction de plus-value constituait un avantage en argent devant être imposé dans la catégorie des traitements et salaires.

5. En second lieu, en vertu du premier alinéa de l'article L. 48 du livre des procédures fiscales, lorsqu'à un stade de la procédure de rectification contradictoire postérieur à la proposition de rectification prévue par l'article L. 57 du même livre, l'administration modifie les rehaussements envisagés, pour tenir compte des observations et avis recueillis au cours de cette procédure, cette modification est portée par écrit à la connaissance du contribuable avant la mise en recouvrement, qui peut alors intervenir sans délai.

6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'en première instance, M. et M. A...soutenaient que la procédure d'imposition était irrégulière au regard de l'article L. 48 du livre des procédures fiscales, dès lors que le montant des impositions supplémentaires figurant sur l'avis d'imposition était supérieur à celui qui était mentionné dans la réponse aux observations du contribuable du 11 octobre 2011, l'écart correspondant au montant d'un dégrèvement que l'administration s'était engagée à leur accorder. Dès lors que ce moyen a été écarté par la cour dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel au seul motif, au demeurant exempt d'erreur de droit, que les dispositions mentionnées au point 5, qui ne s'imposent à l'administration que lorsqu'elle a procédé à un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle d'un contribuable ou à une vérification de comptabilité, n'étaient pas applicables à l'espèce, les requérants, qui relèvent que le dégrèvement annoncé n'a pas été mis en oeuvre, ne peuvent utilement soutenir que la cour aurait entaché, à cet égard, l'arrêt attaqué de dénaturation. Il ressort, au surplus, des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'administration leur avait précisé que le dégrèvement en cause, qui résultait de la requalification des gains déclarés en traitements et salaires, ne serait exécuté que s'ils acceptaient le rehaussement ou lorsque l'ensemble de leurs voies de recours seraient épuisées.

7. Il résulte de tout ce qui précède que le pourvoi doit être rejeté, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
--------------
Article 1er : Le pourvoi de M. et Mme A...est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme B...A...et au ministre de l'action et des comptes publics.


Voir aussi