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Ariane Web: Conseil d'État 427540, lecture du 12 avril 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:427540.20190412

Décision n° 427540
12 avril 2019
Conseil d'État

N° 427540
ECLI:FR:CECHR:2019:427540.20190412
Inédit au recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Sylvain Humbert, rapporteur


Lecture du vendredi 12 avril 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE




Vu la procédure suivante :

Par un jugement n° 1702353 du 1er février 2019, enregistré le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le tribunal administratif de Caen, avant de statuer sur la demande de restitution partielle des cotisations de taxe sur les salaires établies au titre de 2010 et de 2011 et de remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période couvrant les années 2010 et 2011, a décidé, en application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les deux questions suivantes :
- l'examen de la distorsion dans les conditions de la concurrence provoquée par un non-assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée d'une personne morale de droit public doit-il procéder d'une évaluation de cette distorsion au cas d'espèce ou d'une analyse selon laquelle une différence de traitement au regard de cette taxe entre deux prestations identiques ou semblables du point de vue du consommateur et satisfaisant aux mêmes besoins suffit à établir la violation du principe de neutralité de cette taxe '
- le cas échéant, comment et à quelle partie appartient-il d'établir l'existence et le caractère identique ou semblable de ces prestations '



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;
- le code général des impôts ;
- le code de justice administrative, notamment son article L. 113-1 ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Sylvain Humbert, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;



REND L'AVIS SUIVANT :

1. D'une part, aux termes de l'article 256 du code général des impôts : " I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel (...) ". Aux termes de l'article 256 A du même code : " Sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au troisième alinéa, quels que soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention. / (...) Les activités économiques visées au premier alinéa se définissent comme toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services (...) ". Aux termes de l'article 256 B du même code : " Les personnes morales de droit public ne sont pas assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée pour l'activité de leurs services administratifs, sociaux, éducatifs, culturels et sportifs lorsque leur non-assujettissement n'entraîne pas de distorsions dans les conditions de la concurrence (...) ". D'autre part, aux termes du paragraphe 1 de l'article 13 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, qui reprend les dispositions du paragraphe 5 de l'article 4 de la directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 : " Les États, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu'ils accomplissent en tant qu'autorités publiques, même lorsque, à l'occasion de ces activités ou opérations, ils perçoivent des droits, redevances, cotisations ou rétributions. / Toutefois, lorsqu'ils effectuent de telles activités ou opérations, ils doivent être considérés comme des assujettis pour ces activités ou opérations dans la mesure où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d'une certaine importance (...) ".

2. En premier lieu, il résulte de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, telle qu'interprétée par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans son arrêt du 29 octobre 2015 (C-174/14) Saudaçor - Sociedade Gestora de Recursos e Equipamentos da Saúde dos Açores SA, que le non-assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée prévue en faveur des personnes morales de droit public énumérées au paragraphe 1 de son article 13, qui déroge à la règle générale de l'assujettissement de toute activité de nature économique, est subordonné à deux conditions cumulatives tenant, d'une part, à ce que l'activité soit exercée par un organisme agissant en tant qu'autorité publique et, d'autre part, à ce que le non-assujettissement ne conduise pas à des distorsions de concurrence d'une certaine importance.

Par suite, avant toute recherche d'une éventuelle distorsion de concurrence qui résulterait du non-assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée d'une personne morale de droit public, il convient de vérifier au préalable si l'activité économique est réalisée par l'organisme public en tant qu'autorité publique. Selon la jurisprudence de la Cour de justice, cette condition est remplie lorsque l'activité en cause est exercée dans le cadre du régime juridique particulier aux personnes morales de droit public. Ainsi, l'activité en cause doit être exercée dans des conditions juridiques différentes de celles des opérateurs économiques privés, notamment, lorsque sont mises en oeuvre des prérogatives de puissance publique, lorsque l'activité est accomplie en raison d'une obligation légale ou dans le cadre d'un monopole ou encore lorsqu'elle relève par nature des attributions d'une personne publique. Si tel n'est pas le cas, la personne morale de droit public est nécessairement assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée à raison de cette activité économique sans préjudice des éventuelles exonérations applicables, notamment celles prévues à l'article 132 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006.

3. En second lieu, par un arrêt du 16 septembre 2008 (C-288/07) Commissioners of Her Majesty's Revenue et Customs contre Isle of Wight Council et autres, la Cour de justice a dit pour droit que les distorsions de concurrence d'une certaine importance auxquelles conduirait le non-assujettissement des organismes de droit public agissant en tant qu'autorités publiques doivent être évaluées par rapport à l'activité en cause, en tant que telle, indépendamment de la question de savoir si ces organismes font face ou non à une concurrence au niveau du marché local sur lequel ils accomplissent cette activité, ainsi que par rapport non seulement à la concurrence actuelle, mais également à la concurrence potentielle, pour autant que la possibilité pour un opérateur privé d'entrer sur le marché pertinent soit réelle, et non purement hypothétique. Par un arrêt du 19 janvier 2017 (aff. 344/15) National Roads Authority, la Cour de justice a précisé que les distorsions de concurrence d'une certaine importance doivent être évaluées en tenant compte des circonstances économiques et que la seule présence d'opérateurs privés sur un marché, sans la prise en compte des éléments de fait, des indices objectifs et de l'analyse de ce marché, ne saurait démontrer ni l'existence d'une concurrence actuelle ou potentielle ni celle d'une distorsion de concurrence d'une certaine importance.

Il résulte ainsi de la directive du 28 novembre 2006, telle qu'interprétée par la jurisprudence de la Cour de justice, que les distorsions de concurrence mentionnées au paragraphe 1 de son article 13 s'apprécient à la fois au regard de l'activité en cause et des conditions d'exploitation de cette activité. L'existence de telles distorsions ne saurait, dès lors, résulter de la seule constatation que des prestations réalisées par un organisme de droit public sont identiques à celles réalisées par un opérateur privé, sans examen de l'état de la concurrence réelle, ou à défaut potentielle, sur le marché en cause.

4. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve au contribuable, il appartient au juge de l'impôt, au vu de l'instruction et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si la situation du contribuable entre dans le champ de l'assujettissement à l'impôt ou, le cas échéant, s'il remplit les conditions légales d'une exonération.


Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Caen, au Centre hospitalier de Vire et au ministre de l'action et des comptes publics.





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