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Ariane Web: Conseil d'État 417299, lecture du 6 mai 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:417299.20190506

Décision n° 417299
6 mai 2019
Conseil d'État

N° 417299
ECLI:FR:CECHR:2019:417299.20190506
Inédit au recueil Lebon
4ème - 1ère chambres réunies
M. Jean-François de Montgolfier, rapporteur
M. Frédéric Dieu, rapporteur public
HAAS, avocats


Lecture du lundi 6 mai 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 417299, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 15 janvier et 16 avril 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Confédération générale du travail - Force ouvrière demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2017-1702 du 15 décembre 2017 relatif à la procédure de précision des motifs énoncés dans la lettre de licenciement ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


2° Sous le n° 418289, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 16 février et 2 octobre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union syndicale solidaire demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir ce même décret du 15 décembre 2017 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la convention internationale du travail n° 158 concernant la cessation de la relation de travail à l'initiative de l'employeur adoptée à Genève le 22 juin 1982, publiée par le décret n° 90-140 du 9 février 1990 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code du travail ;
- l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 ratifiée par la loi la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-François de Montgolfier, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Haas, avocat de la Confédération générale du travail-force ouvriere ;



Considérant ce qui suit :

1. Dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail, l'article L. 1235-2 du code du travail dispose : " Les motifs énoncés dans la lettre de licenciement prévue aux articles L. 1232-6, L. 1233-16 et L. 1233-42 peuvent, après la notification de celle-ci, être précisés par l'employeur, soit à son initiative soit à la demande du salarié, dans des délais et conditions fixés par décret en Conseil d'Etat. / La lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l'employeur, fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs de licenciement. / A défaut pour le salarié d'avoir formé auprès de l'employeur une demande en application de l'alinéa premier, l'irrégularité que constitue une insuffisance de motivation de la lettre de licenciement ne prive pas, à elle seule, le licenciement de cause réelle et sérieuse et ouvre droit à une indemnité qui ne peut excéder un mois de salaire. / En l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, le préjudice résultant du vice de motivation de la lettre de rupture est réparé par l'indemnité allouée conformément aux dispositions de l'article L. 1235-3. / Lorsqu'une irrégularité a été commise au cours de la procédure, notamment si le licenciement d'un salarié intervient sans que la procédure requise aux articles L. 1232-2, L. 1232-3, L. 1232-4, L. 1233-11, L. 1233-12, L. 1233-13 ait été observée ou sans que la procédure conventionnelle ou statutaire de consultation préalable au licenciement ait été respectée, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire ". Le décret du 15 décembre 2017 relatif à la procédure de précision des motifs énoncés dans la lettre de licenciement a été pris pour l'application de ces dispositions. Il introduit dans le code du travail les articles R. 1232-13 et R. 1233-2-2, qui sont applicables respectivement au licenciement pour motif personnel et au licenciement pour motif économique. Rédigés dans les mêmes termes, ces articles disposent : " Dans les quinze jours suivant la notification du licenciement, le salarié peut, par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé, demander à l'employeur des précisions sur les motifs énoncés dans la lettre de licenciement. / L'employeur dispose d'un délai de quinze jours après la réception de la demande du salarié pour apporter des précisions s'il le souhaite. Il communique ces précisions au salarié par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé. / Dans un délai de quinze jours suivant la notification du licenciement et selon les mêmes formes, l'employeur peut, à son initiative, préciser les motifs du licenciement ". La Confédération générale du travail - Force ouvrière (CGT-FO) et l'Union syndicale solidaire demandent l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret. Il y a lieu de joindre leurs requêtes pour statuer par une seule décision.

2. En premier lieu, il résulte des termes mêmes du premier alinéa de l'article L. 1235-2 du code du travail cité ci-dessus qu'il appartient à un décret en Conseil d'Etat de fixer les " délais et conditions " dans lesquels l'employeur peut, après la notification de la lettre de licenciement, en préciser les motifs. Aucune disposition ni aucun principe n'imposaient au pouvoir réglementaire d'épuiser par le décret attaqué la compétence qu'il tenait de ces dispositions législatives. Ainsi le moyen tiré de ce que le décret attaqué serait entaché d' " incompétence négative " pour n'avoir pas prévu que l'employeur doit informer le salarié de son droit de demander que les motifs de la lettre de licenciement soient précisés ne peut qu'être écarté. Par ailleurs, le moyen tiré de ce que le décret n'a pas défini les conséquences qui résultent, pour le salarié, de l'exercice de son droit de demander à l'employeur de préciser les motifs du licenciement ou, à l'inverse, de l'absence de mise en oeuvre de ce droit doit, en tout état de cause, être écarté, dès lors que ces conséquences sont fixées par les dispositions, citées au point précédent, de l'article L. 1235-2 du code du travail.

3. En deuxième lieu, la possibilité offerte à l'employeur de préciser, après la notification de la lettre de licenciement, les motifs du licenciement énoncés dans cette lettre résulte des termes mêmes de l'article L. 1235-2 du code du travail. Les dispositions du décret attaqué se bornent ainsi, comme il a été dit au point précédent, à fixer les conditions et délais dans lesquels une telle précision peut être demandée par le salarié et apportée par l'employeur. Par suite, les moyens tirés de ce qu'en prévoyant une telle possibilité de préciser les motifs de la lettre de licenciement, le décret attaqué porterait atteinte au principe du contradictoire et aux droits de la défense et serait incompatible avec les engagements internationaux de la France ne peuvent qu'être écartés. Au demeurant, la possibilité donnée à l'employeur de préciser les motifs du licenciement n'est incompatible ni avec les exigences qui résultent de l'article 4 de la convention internationale du travail n° 158 concernant la cessation de la relation de travail à l'initiative de l'employeur, qui impose que tout licenciement repose sur un motif valable, ni avec celles de son article 7, qui stipule qu' " un travailleur ne devra pas être licencié pour des motifs liés à sa conduite ou à son travail avant qu'on ne lui ait offert la possibilité de se défendre contre les allégations formulées (...) " et qui a d'ailleurs été interprété par la Conférence générale de l'Organisation internationale du travail, dans sa recommandation n° 166 sur le licenciement adoptée le 22 juin 1982, comme permettant seulement au salarié auquel le licenciement a été notifié de se faire délivrer par l'employeur " une déclaration écrite du motif ou des motifs du licenciement ".

4. En troisième lieu, en fixant à quinze jours, à compter de la notification de la lettre de licenciement, le délai dans lequel le salarié licencié peut demander à l'employeur de préciser les motifs mentionnés dans cette lettre, les articles R. 1232-13 et R. 1233-2-2 ne portent pas atteinte au droit des salariés licenciés de contester, devant la juridiction compétente, le licenciement ou, le cas échéant, l'autorisation administrative de licenciement. Dès lors, même si les requérants allèguent que cette demande du salarié n'a pas d'effet interruptif sur son délai d'action en justice, les dispositions attaquées ne sont pas incompatibles avec les exigences qui résultent de l'article 6, paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, il ne ressort pas des pièces du dossier que ce délai serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation alors même qu'en raison de son point de départ et de sa durée, il peut arriver à échéance avant que le salarié n'ait effectivement quitté son emploi et contraindre, par suite, ce dernier, à formuler sa demande alors qu'il encore lié à son employeur par un contrat de travail.

5. Il résulte de tout ce qui précède que les requêtes de la CGT-FO et de l'Union syndicale solidaire doivent être rejetées, y compris les conclusions qu'elles présentent au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de la Confédération générale du travail - Force ouvrière et de l'Union syndicale solidaire sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Confédération générale du travail - Force ouvrière, à l'Union syndicale solidaire, à la ministre du travail et au Premier ministre.