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Ariane Web: Conseil d'État 430008, lecture du 15 mai 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:430008.20190515

Décision n° 430008
15 mai 2019
Conseil d'État

N° 430008
ECLI:FR:CECHR:2019:430008.20190515
Inédit au recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
Mme Sophie-Caroline de Margerie, rapporteur
M. Guillaume Odinet, rapporteur public


Lecture du mercredi 15 mai 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux mémoires complémentaires, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 19 et 25 avril et 9 mai 2019, Mme A...B...demande au Conseil d'Etat :

1°) de surseoir à statuer et de saisir la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles suivantes :

" 1. Dans l'hypothèse d'une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne avant l'élection européenne, la condition de proportionnalité de la suppression de la citoyenneté européenne posée par l'arrêt C-221/17 du 12 mars 2019 de la Cour de justice de l'Union européenne doit-elle être interprétée en ce sens que les Britanniques vivant dans un des vingt-sept autres Etats membres de l'Union européenne, ayant fondé leur famille et travaillant dans cet autre Etat membre, peuvent voir leur citoyenneté européenne supprimée automatiquement, lorsque leur Etat a décidé de quitter l'Union européenne en application de l'article 50 du traité sur l'Union européenne, afin de déterminer la condition de validité de l'inscription sur les listes électorales européennes '
2. La directive 93/109/CE du Conseil du 6 décembre 1993 fixant les modalités de l'exercice du droit de vote et d'éligibilité aux élections au Parlement européen pour les citoyens de l'Union résidant dans un État membre dont ils ne sont pas ressortissants doit-elle être interprétée comme permettant le silence ou le refus d'inscription sur une liste électorale d'un ressortissant britannique résidant en France désirant participer à l'élection du Parlement européen prévue en mai 2019, au motif que ce ressortissant ne sera plus citoyen européen à la date de sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne potentiellement postérieure à la date de l'élection européenne '
3. La notion de jour de référence prévu à l'article 3 de la directive 93/109/CE du Conseil du 6 décembre 1993 doit-elle être interprétée comme prenant en compte la sortie de l'Etat membre concerné de l'Union européenne mise en oeuvre en application de l'article 50 du traité sur l'Union européenne '
4. La mise en oeuvre d'une prorogation de l'article 50 du traité sur l'Union européenne par le Royaume­Uni (11 avril 2019), après la clôture du répertoire électoral unique d'un Etat membre et ce sans dérogation prévue pour les expatriés dans l'Union ressortissants de cet Etat (31 mars 2019), doit-elle être interprétée comme faisant obstacle à tout refus d'inscription sur les listes électorales françaises avant les élections européennes du 22 au 26 mai 2019 '
5. Les principes communautaires de confiance légitime, d'effectivité du droit actif de participer aux élections européennes, de sécurité juridique quant au maintien des droits acquis doivent-il être interprétés comme imposant aux autorités nationales de prévoir une dérogation pour permettre une inscription tardive et antérieure à l'élection européenne dans les vingt-sept autres Etats, voire de report ou de division de l'élection européenne face au risque de non inscription de milliers de citoyens de l'Etat membre potentiellement tiers en devenir suspendue à la décision tardive de prorogation de la décision de sortie de l'Union '
6. En cas de ratification de l'accord entre le Royaume-Uni et l'Union européenne et de maintien des droits issus de la citoyenneté européenne pendant une longue période après la ratification, tel que prévu par le projet d'accord de retrait en cours de négociation, ou de longue prorogation du délai de sortie de l'article 50, paragraphe 3 du traité sur l'Union européenne, les Britanniques disposent-ils d'un droit de vote pour élire leurs représentants en mai 2019 '

7. En cas de réponse négative à la question 3 et de révocation de la procédure de retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, la directive 93/109/CE du Conseil du 6 décembre 1993 doit-elle être interprétée comme autorisant les autorités nationales à inscrire les ressortissants britanniques sur les listes électorales et à voter aux élections européennes ' "

2°) de déclarer illégaux les articles L. 17 et L. 30 du code électoral, en ce qu'ils ne prévoient pas de possibilité dérogatoire d'inscription, en cas d'application de l'article 50 du traité sur l'Union européenne et de la prorogation de son délai de deux ans, après le sixième vendredi précédant le scrutin ;

3°) d'annuler le décret n° 2019-188 du 13 mars 2019 portant convocation des électeurs pour l'élection des représentants au Parlement européen ;

4°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'édicter sous trois jours un nouveau décret prévoyant la possibilité dérogatoire pour les Britanniques vivant en France de s'inscrire sur les listes électorales françaises pour l'élection européenne du 26 mai 2019 en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative ;

5°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de reporter la tenue des élections européennes en France au 30 juin 2019 afin de permettre à la Cour de justice de l'Union européenne d'interpréter en procédure accélérée les normes européennes relatives à la participation active et égale des citoyens européens aux élections européennes en présence d'une prorogation du délai de l'article 50 du traité sur l'Union européenne et aux Britanniques vivant en France de s'inscrire en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative ;

6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- l'acte du 20 septembre 1976 portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct ;
- le traité sur l'Union européenne ;
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive 93/109/CE du Conseil du 6 décembre 1993 ;
- la décision (UE, Euratom) 2018/767 du Conseil du 22 mai 2018 portant fixation de la période pour la neuvième élection des représentants au Parlement européen au suffrage universel direct ;
- la décision (UE) 2019/584 du Conseil européen du 11 avril 2019 ;
- l'arrêt C-621/18 du 10 décembre 2018 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 ;
- la loi n° 2016-1048 du 1er août 2016 ;
- le code électoral ;
- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 14 mai 2019, présentée par MmeB...,




Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 20 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. Il est institué une citoyenneté de l'Union. Est citoyen de l'Union toute personne ayant la nationalité d'un État membre. (...) 2. Les citoyens de l'Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par les traités. Ils ont, entre autres : (...) b) le droit de vote et d'éligibilité aux élections au Parlement européen ainsi qu'aux élections municipales dans l'Etat membre où ils résident, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet Etat (...) ". Aux termes de l'article 8 de l'acte du 20 septembre 1976 portant élection des membres du Parlement européen au suffrage universel direct : " ... la procédure électorale est régie, dans chaque Etat membre, par les dispositions nationales. / Ces dispositions nationales, qui peuvent éventuellement tenir compte des particularités dans les Etats membres, ne doivent pas globalement porter atteinte au caractère proportionnel du mode du scrutin ". Aux termes de l'article 39 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Tout citoyen ou toute citoyenne de l'Union a le droit de vote et d'éligibilité aux élections au Parlement européen dans l'Etat membre où il ou elle réside, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet Etat. / 2. Les membres du Parlement européen sont élus au suffrage universel direct, libre et secret. ".

2. Pour la mise en oeuvre de ces stipulations, la loi du 7 juillet 1977 relative à l'élection des représentants au Parlement européen a, d'une part, à son article 2-1, reconnu aux ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne autre que la France, y résidant, le droit de participer aux élections des représentants au Parlement européen dans les mêmes conditions que les électeurs français, d'autre part, à son article 2-2, subordonné l'exercice de leur droit de vote à leur inscription sur une liste électorale complémentaire. Son article 2-3 rend applicables à l'établissement et au contrôle de la régularité des listes électorales complémentaires les dispositions applicables aux listes électorales sur lesquelles les électeurs français doivent s'inscrire pour voter, en précisant que les droits conférés par ces dispositions aux nationaux français sont exercés par les ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne autre que la France. Il en va ainsi en particulier du II de l'article 16 de la loi du 1er août 2016 rénovant les modalités d'inscription sur les listes électorales qui, applicable aux scrutins se déroulant au cours de l'année 2019, prévoit, par dérogation à l'article L. 17 du code électoral, que les demandes d'inscription sur les listes électorales sont déposées au plus tard le dernier jour du deuxième mois précédant celui du scrutin, et de l'article L. 30 de ce code qui permet, de manière dérogatoire, dans les cas qu'il énumère, une inscription sur la liste électorale jusqu'au dixième jour précédant le scrutin.

3. En vue de la neuvième élection au Parlement européen, le Conseil de l'Union européenne a fixé, par la décision (UE, Euratom) 2018/767 du Conseil du 22 mai 2018, la période électorale dans l'ensemble des Etats membres de l'Union du 23 au 26 mai 2019. En application de cette décision et de l'article 20 de la loi du 7 juillet 1977, le décret n° 2019-188 du 13 mars 2019 a convoqué les électeurs le dimanche 26 mai 2019 en vue de procéder à l'élection des représentants au Parlement européen. Mme A...B..., de nationalité britannique, demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret au motif qu'il se réfère à des dates de clôture des demandes d'inscription sur les listes électorales complémentaires sans tenir compte de la situation des ressortissants britanniques résidant en France, dont l'Etat d'origine est engagé, depuis la lettre qu'il a adressée le 29 mars 2017 au Conseil européen, dans un processus de retrait de l'Union européenne et d'Euratom sur le fondement de l'article 50 du traité sur l'Union européenne.

4. En premier lieu, il résulte des dispositions mentionnées au point 2. que, la date des élections européennes ayant été fixée au 26 mai 2019 par l'article 1er du décret attaqué, les demandes d'inscription sur la liste électorale pouvaient en principe être déposées jusqu'au 31 mars au plus tard, sous réserve du cas des électeurs rentrant dans l'une ou l'autre des hypothèses mentionnées à l'article L. 30, qui peuvent solliciter leur inscription jusqu'au 16 mai. En vertu des mêmes dispositions, les mêmes dates s'appliquent pour l'inscription sur la liste électorale complémentaire des électeurs ressortissants des Etats membres autres que la France. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des articles 22, paragraphe 2 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et 39, paragraphe 1 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne qui exigent que soit assuré aux citoyens de l'Union européenne résidant dans un autre Etat membre que celui dont ils ont la nationalité l'exercice de leur droit de vote aux élections européennes dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet Etat ne peut qu'être écarté.

5. En second lieu, en dépit de l'incertitude prévalant sur l'exercice effectif de leur droit de vote au scrutin de mai 2019, les ressortissants britanniques résidant en France avaient conservé la faculté juridique de s'inscrire sur les listes électorales complémentaires. En outre, ils ne pouvaient exclure l'hypothèse d'une prorogation au-delà du 29 mars 2019 du délai dans lequel interviendrait le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, compte tenu de ce que l'article 50, paragraphe 3 du traité sur l'Union européenne rend possible cette prorogation par décision du Conseil européen prise à l'unanimité en accord avec l'Etat membre concerné, prorogation dont le Conseil européen est d'ailleurs convenu dans sa décision (UE) 2019/584 du 11 avril 2019, ni même d'une révocation unilatérale par le Royaume-Uni de la notification de son intention de se retirer de l'Union européenne, droit qui lui a été reconnu par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 10 décembre 2018. Il leur appartenait, dès lors, de s'inscrire sur les listes électorales complémentaires dans les délais fixés par le code électoral et, en cas de refus de l'autorité compétente, de le contester s'ils s'y estimaient fondés, selon les modalités prévues par ce code. Par suite, les moyens tirés de ce que les dispositions législatives relatives aux délais dans lesquels doivent être déposées les demandes d'inscription sur les listes électorales auraient dû être modifiées afin de permettre aux ressortissants britanniques résidant en France de s'inscrire sur les listes électorales en dehors de ces délais, en raison de l'incompatibilité alléguée de ces dispositions avec les stipulations des articles 22, paragraphe 2 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, 39 paragraphe 1 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et 9 de la directive du Conseil du 6 décembre 1993, ainsi qu'avec les principes d'égalité, d'espérance légitime de voter, de confiance légitime, d'effectivité du droit de participer aux élections européennes, de sécurité juridique et d'un principe allégué de prévisibilité juridique, ne peuvent qu'être écartés.

6. Il résulte de ce qui tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel, que Mme B... n'est pas fondée à demander l'annulation du décret du 13 mars 2019. Les autres conclusions de sa requête, y compris celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées.



D E C I D E :
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Article 1er : La requête de Mme A...B...est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme A...B...et au ministre de l'intérieur.


Voir aussi