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Ariane Web: Conseil d'État 414350, lecture du 12 juin 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:414350.20190612

Décision n° 414350
12 juin 2019
Conseil d'État

N° 414350
ECLI:FR:CECHR:2019:414350.20190612
Inédit au recueil Lebon
6ème et 5ème chambres réunies
M. Didier Ribes, rapporteur
M. Stéphane Hoynck, rapporteur public
SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE, avocats


Lecture du mercredi 12 juin 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une décision du 12 juillet 2017, le Conseil supérieur de la magistrature, statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège, a prononcé à l'encontre de M. B... A..., vice-président au tribunal de grande instance de Bastia, la sanction de blâme avec inscription au dossier en application du 1° de l'article 45 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 18 septembre et 18 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, M. B...A...demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler cette décision ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Didier Ribes, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de M.A....



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au Conseil supérieur de la magistrature, statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège, que M.A..., vice-président du tribunal de grande instance de Bastia, a fait l'objet d'une plainte auprès de ce conseil d'une personne mise en examen dans une affaire instruite par l'intéressé, pour divers manquements au devoir d'impartialité. Cette plainte a été renvoyée au conseil de discipline par la commission d'admission des requêtes prévue par l'article 50-3 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. Le conseil a également été saisi par le garde des sceaux, ministre de la justice, de faits motivant les poursuites disciplinaires pour des manquements aux devoirs de réserve, de loyauté et de délicatesse, ainsi qu'au devoir de confidentialité et au secret professionnel. Par une décision du 12 juillet 2017, contre laquelle M. A... se pourvoit en cassation, le Conseil supérieur de la magistrature a retenu que les propos tenus par l'intéressé lors d'une conversation téléphonique avec une partie civile, interceptée dans le cadre d'une enquête pénale concernant une tierce personne et versée au dossier de l'instance disciplinaire, étaient constitutifs de manquements aux devoirs de loyauté et de délicatesse, aux exigences de confidentialité et de secret professionnel et caractérisaient une atteinte à l'image de la justice, et a prononcé à son encontre une sanction de blâme avec inscription au dossier.

2. L'Union syndicale des magistrats justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation de la décision attaquée. Son intervention est donc recevable.

3. Alors que M. A...soutenait devant le Conseil supérieur de la magistrature que l'écoute téléphonique servant de base à la sanction disciplinaire avait été réalisée dans des conditions irrégulières contraires au droit au respect de la vie privée garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la décision attaquée écarte le moyen sans y répondre. Elle est, par suite, entachée d'une insuffisance de motivation et, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, M. A... est fondé, en conséquence, à en demander l'annulation.

4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros à verser à M.A..., au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de l'Union syndicale des magistrats est admise.
Article 2 : La décision du 12 juillet 2017 du Conseil supérieur de la magistrature est annulée.

Article 3 : L'affaire est renvoyée au Conseil supérieur de la magistrature.
Article 4 : L'Etat versera à M. A...une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. B...A..., à l'Union syndicale des magistrats et à la garde des sceaux, ministre de la justice.
Copie en sera adressée au Premier ministre.