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Ariane Web: Conseil d'État 430746, lecture du 14 juin 2019, ECLI:FR:CEORD:2019:430746.20190614

Décision n° 430746
14 juin 2019
Conseil d'État

N° 430746
ECLI:FR:CEORD:2019:430746.20190614
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés


Lecture du vendredi 14 juin 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 430746, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 14 mai et 3 juin 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association
SOS Paris, l'association France Nature Environnement et l'Association pour le développement harmonieux de la Porte de Versailles demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution du décret n° 2019-95 du 12 février 2019 pris pour l'application de l'article 20 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Elles soutiennent que :
- leur requête est recevable, dès lors qu'elles ont intérêt à agir ;
- la condition d'urgence est remplie, dès lors qu'en plaçant la construction de la " Tour Triangle " au nombre des opérations et constructions entrant dans le champ du dernier alinéa de l'article 12 de la loi du 26 mars 2018 relative à l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, le décret contesté les prive de la possibilité de faire appel du jugement du 6 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande d'annulation du permis de construire, alors que les travaux pourraient être rapidement engagés ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté ;
- celui-ci a été pris sur le fondement du décret du 26 décembre 2018 qui méconnaît, d'une part, le principe de non-rétroactivité des actes administratifs et, d'autre part, le champ d'application de la loi du 26 mars 2018 relative à l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques en raison de l'introduction à l'article R. 811-1 du code de justice administrative d'un 9° qui supprime l'appel pour les recours relatifs aux constructions et opérations d'aménagement introduits avant le 1er janvier 2019 ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation, dès lors que la construction de la " Tour Triangle " n'affecte pas les conditions de desserte, d'accès, de sécurité ou d'exploitation du site, dont il n'est d'ailleurs pas acquis que s'y dérouleront des épreuves olympiques ;
- il a été pris en méconnaissance du principe d'égalité ;
- il est entaché d'un détournement de pouvoir.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 mai 2019, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et que les moyens soulevés par les associations requérantes ne sont pas fondés.



2° Sous le n° 430775, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 15 mai et 4 juin 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association de sauvegarde du Patrimoine Monts 14 demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution du décret n° 2019-95 du 12 février 2019 pris pour l'application de l'article 20 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Elle soutient que :
- sa requête est recevable dès lors qu'elle a intérêt à agir contre le décret litigieux ;
- la condition d'urgence est remplie, dès lors qu'en plaçant la construction de la " Tour Triangle " au nombre des opérations et constructions entrant dans le champ du dernier alinéa de l'article 12 de la loi du 26 mars 2018 relative à l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, le décret contesté la prive de la possibilité de faire appel du jugement du 6 mai 2019 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'annulation du permis de construire et permet à la " Tour Triangle " de bénéficier de procédures d'urbanisme accélérées et simplifiées, alors que les travaux pourraient être rapidement engagés ;
- l'article 12 de la loi du 26 mars 2018 ne saurait s'appliquer à la construction de la " Tour Triangle ", dès lors qu'à la date de la publication du décret la construction n'était pas engagée et qu'en tout état de cause elle n'affectera pas les conditions de desserte, d'accès, de sécurité ou d'exploitation du site, dont il n'est d'ailleurs pas acquis que s'y dérouleront des épreuves olympiques ;
- en s'appliquant à un projet immobilier, d'une part, conçu et présenté au public sans lien avec les Jeux olympiques et, d'autre part, en cours de contentieux, le décret du 12 février 2019 qui supprime le double degré de juridiction, a porté une atteinte manifestement disproportionnée au droit à un procès équitable ;
- le décret contesté porte une atteinte manifestement disproportionnée au principe de libre administration des collectivités locales, au principe de sécurité juridique et au principe de séparation des pouvoirs ;
- il est entaché de détournement de pouvoir ;
- l'insertion de la " Tour Triangle " dans la liste des constructions et opérations d'aménagements de nature à affecter les conditions de desserte, d'accès, de sécurité ou d'exploitation dudit site pendant les épreuves olympiques ou paralympiques est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 mai 2019, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et que les moyens soulevés par l'association de sauvegarde du Patrimoine Monts 14 ne sont pas fondés.




Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association SOS Paris, l'association France Nature Environnement, l'Association pour le développement harmonieux de la Porte de Versailles et l'Association de sauvegarde du Patrimoine Monts 14 et, d'autre part, la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et le Premier ministre ;


Vu le procès-verbal de l'audience publique du mardi 4 juin 2019 à 14 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Texier, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'Association de sauvegarde du Patrimoine Monts 14 ;

- les représentants de l'Association de sauvegarde du Patrimoine Monts 14 ;

- les représentants de l'association SOS Paris, de l'association France Nature Environnement et de l'Association pour le développement harmonieux de la Porte de Versailles ;

- les représentants de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au vendredi 7 juin 2019 à 13 heures ;


Vu les observations complémentaires, enregistrées le 6 juin 2019, présentées par la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ;

Vu le mémoire complémentaire, enregistré le 7 juin 2019, par lequel l'association SOS Paris et autres maintiennent leurs conclusions et leurs moyens ;

Vu le mémoire complémentaire, enregistré le 7 juin 2019, par lequel l'association de sauvegarde du Patrimoine Monts 14 maintient ses conclusions et ses moyens ;


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la loi n° 2018-202 du 26 mars 2018 ;
- la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 ;
- le décret n° 2018-1249 du 26 décembre 2018 ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.



Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes visées ci-dessus tendent à la suspension de l'exécution du même décret. Il y a donc lieu de les joindre pour statuer par une seule ordonnance.
2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". La condition d'urgence à laquelle est subordonné le prononcé d'une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre.

3. Aux termes de l'article 12 de la loi du 26 mars 2018 relative à l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024, dans sa rédaction initiale : " Lorsqu'elles sont nécessaires à la préparation, à l'organisation ou au déroulement des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, les constructions et les opérations d'aménagement, dont celles ne contenant que pour partie un ouvrage ou un équipement olympique ou paralympique, peuvent être réalisées selon la procédure définie aux II à VI de l'article L. 300-6-1 du code de l'urbanisme. / Par dérogation aux III et IV du même article L. 300-6-1, la participation du public relative aux procédures de mise en compatibilité et d'adaptation est assurée conformément au I de l'article 9 de la présente loi. / Lorsque la mise en compatibilité des documents d'urbanisme impose l'adaptation d'un plan, d'un programme ou d'une servitude d'utilité publique mentionnés au IV de l'article L. 300-6-1 du code de l'urbanisme, la procédure de participation du public, portant à la fois sur l'adaptation de ces documents et sur la mise en compatibilité des documents d'urbanisme, est organisée par le représentant de l'Etat dans le département selon les modalités définies au I de l'article 9 de la présente loi. " L'article 20 de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique a complété ces dispositions par un dernier alinéa ainsi rédigé : " Le présent article s'applique aux constructions et opérations d'aménagement dont la liste est fixée par décret, situées à proximité immédiate d'un site nécessaire à la préparation, à l'organisation ou au déroulement des jeux Olympiques et Paralympiques, lorsque ces constructions et opérations d'aménagement sont de nature à affecter les conditions de desserte, d'accès, de sécurité ou d'exploitation dudit site pendant les épreuves olympiques ou paralympiques ".

4. Avant même l'intervention du décret prévu par le dernier alinéa de
l'article 12 de la loi du 26 mars 2018, dans sa rédaction issue de l'article 20 de la loi
du 23 novembre 2018, le décret du 26 décembre 2018 attribuant à la cour administrative d'appel de Paris le contentieux des opérations d'urbanisme, d'aménagement et de maîtrise foncière afférentes aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024 est venu modifier le régime des voies de recours pour les litiges relatifs aux actes afférents, notamment, aux constructions et opérations d'aménagement en cause. Ce texte, qui complète les articles R. 311-2, R. 811-1 et R. 811-1-1 du code de justice administrative, donne compétence pour connaître de ces litiges, à compter du
1er janvier 2019, à la cour administrative d'appel statuant en premier et dernier ressort. Pour les litiges engagés avant le 1er janvier 2019 devant le tribunal administratif de Paris, la voie de l'appel est supprimée et les jugements sont ainsi également rendus en premier et dernier ressort.

5. Enfin, le décret du 12 février 2019 pris pour l'application de l'article 20 de la loi du 23 novembre 2018 est venu dresser la liste des constructions et opérations d'aménagement concernées. Les associations requérantes en demandent la suspension en tant qu'il mentionne, au 2° de son article 1er, " le projet immobilier situé 4 à 30, rue Ernest-Renan - parcelles cadastrales BC 22 et BC 23 - sur le territoire de la ville de Paris dans le
15e arrondissement, dans le périmètre délimité par le plan au 1/2000 joint en annexe II du présent décret ", projet usuellement dénommé " Tour Triangle ".

6. Pour soutenir que le décret contesté préjudicie de manière grave et immédiate aux intérêts qu'elles défendent, les associations requérantes font valoir que, par un jugement du 6 mai 2019, le tribunal administratif de Paris a rejeté les demandes d'annulation du permis de construire la " Tour Triangle " dont elles l'avaient saisi et que l'insertion de ce projet de construction dans la liste prévue par le dernier alinéa de l'article 12 de la loi du 26 mars 2018 a pour effet de les priver de la possibilité de faire appel de ce jugement, la voie du pourvoi en cassation demeurant.seule ouverte Elles soulignent que la suppression de la voie de l'appel leur interdit de contester les appréciations factuelles auxquelles a procédé le tribunal administratif et les empêche de saisir la cour administrative d'appel d'un référé-suspension contre le permis de construire, alors même que les travaux pourraient être rapidement engagés. Toutefois, à supposer même, eu égard à la portée provisoire et conservatoire d'une mesure ordonnée en référé, que la suspension de l'exécution du décret contesté puisse avoir pour effet de rouvrir la voie de l'appel contre le jugement du 6 mai 2019, de telles considérations, qui sont susceptibles d'être invoquées à chaque fois qu'un texte réglementaire aménage l'exercice des voies de recours en décidant que des jugements seront désormais rendus en dernier ressort, ne caractérisent pas, par elles-mêmes, une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts des associations requérantes, auxquelles il demeure loisible de saisir le Conseil d'Etat d'un pourvoi en cassation contre le jugement du tribunal administratif.

7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la condition tenant à l'existence d'un doute sérieux sur la légalité du décret, que les requêtes présentées par les associations SOS Paris et France Nature Environnement, l'Association pour le développement harmonieux de la Porte de Versailles et l'Association de sauvegarde du Patrimoine Monts 14 doivent être rejetées, y compris leurs conclusions tendant à l'application de

O R D O N N E :
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Article 1er : Les requêtes des associations SOS Paris et France Nature Environnement, de l'Association pour le développement harmonieux de la Porte de Versailles et de l'Association de sauvegarde du Patrimoine Monts 14 sont rejetées.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association SOS Paris, première dénommée sous le n° 430746, à l'Association de sauvegarde du Patrimoine Monts 14, à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et au Premier ministre.