Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 424582, lecture du 21 juin 2019, ECLI:FR:CECHS:2019:424582.20190621

Décision n° 424582
21 juin 2019
Conseil d'État

N° 424582
ECLI:FR:CECHS:2019:424582.20190621
Inédit au recueil Lebon
4ème chambre
Mme Fabienne Lambolez, rapporteur
Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public
SCP SPINOSI, SUREAU ; SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats


Lecture du vendredi 21 juin 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La présidente de l'université Grenoble Alpes a saisi la section disciplinaire du conseil académique de cette université de poursuites disciplinaires visant M. A...B..., professeur d'université. Par un jugement du 26 janvier 2017, la section disciplinaire de l'université a prononcé à l'encontre de M. B...la sanction d'interdiction d'exercer toutes fonctions d'enseignement et de recherche dans tout établissement public d'enseignement supérieur pendant huit mois, avec privation de la moitié du traitement.

Par une décision n° 1318 du 10 juillet 2018, le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche, statuant en formation disciplinaire a, sur appel de M. B..., annulé ce jugement et prononcé sa relaxe.

Procédures devant le Conseil d'Etat

1° Sous le n° 424582, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 28 septembre et 19 novembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'université Grenoble Alpes demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette décision ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de M.B... ;

3°) de mettre à la charge de M. B...la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


2° Sous le n° 424609, par un pourvoi, enregistré le 1er octobre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation demande au Conseil d'Etat d'annuler cette même décision.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code de l'éducation ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Fabienne Lambolez, Conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Sophie-Justine Lieber, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de l'Université Grenoble Alpes et à la SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocat de M. B...;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 26 janvier 2017, le conseil académique de l'université Grenoble Alpes, siégeant en section disciplinaire, a infligé à M.B..., professeur d'université en anthropologie et sociologie, la sanction d'interdiction d'exercer toute fonction d'enseignement ou de recherche dans tout établissement public d'enseignement supérieur pendant une durée de huit mois, avec privation de la moitié du traitement, au motif qu'il avait tenu, pendant ses cours et sans nécessité pédagogique, des propos déplacés à connotation sexuelle. Saisi en appel par M.B..., le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) statuant en formation disciplinaire a, par une décision du 10 juillet 2018, annulé le jugement de la section disciplinaire et prononcé la relaxe de M.B....

2. Par deux pourvois qu'il y a lieu de joindre, l'université Grenoble Alpes et la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation demandent l'annulation de cette décision du CNESER.

3. Il ressort des termes mêmes de sa décision que, pour juger qu'aucune faute ne pouvait être reprochée à M.B..., le CNESER, statuant en formation disciplinaire, s'est fondé sur ce que les agissements reprochés à l'intéressé s'inscrivaient dans le cadre de son enseignement et n'avaient " pas excédé les limites de la liberté académique ". Or, il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que M. B...avait eu, lors d'un de ses cours, une attitude humiliante à l'égard de deux étudiants, comportant des allusions personnelles à caractère sexuel, de nature à porter atteinte à leur dignité. En jugeant qu'un tel agissement, qui devait être regardé comme détachable des fonctions d'enseignement de ce professeur, pouvait bénéficier de la protection de la liberté d'expression des enseignants-chercheurs garantie par l'article L. 952-2 du code de l'éducation, le CNESER a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis et a commis, par suite, une erreur de droit.

4. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de leurs pourvois, l'université Grenoble Alpes et la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation sont fondées à demander l'annulation de la décision attaquée.

5. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M.B... la somme que demande l'université Grenoble-Alpes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'université Grenoble Alpes, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande, au même titre, M.B....


D E C I D E :
--------------
Article 1er : La décision du 10 juillet 2018 du Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche, statuant en formation disciplinaire, est annulée.

Article 2: L'affaire est renvoyée au Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche.

Article 3: Le surplus des conclusions de l'université Grenoble-Alpes et les conclusions de M. B..., présentés sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetés.

Article 4: La présente décision sera notifiée à l'université Grenoble Alpes, à la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation et à M. A...B....