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Ariane Web: Conseil d'État 426486, lecture du 8 juillet 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:426486.20190708

Décision n° 426486
8 juillet 2019
Conseil d'État

N° 426486
ECLI:FR:CECHR:2019:426486.20190708
Inédit au recueil Lebon
1ère et 4ème chambres réunies
M. Arnaud Skzryerbak, rapporteur
M. Charles Touboul, rapporteur public


Lecture du lundi 8 juillet 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés le 19 décembre 2018 et les 18 février et 10 juin 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A...B..., M.D..., l'association Collectif Baclohelp et l'association Aubes demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'ordonner, à défaut de constater qu'elle ne permet pas de fonder des décisions sanitaires, une expertise indépendante sur le niveau de preuve à accorder à l'étude conjointe de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, sur sa validité scientifique, statistique et épistémologique et sur sa pertinence au regard de la période sur laquelle les données ont été collectées et d'enjoindre à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé de produire la liste de ses auteurs, la liste des cas de décès imputés au baclofène dans les conditions prudentielles usuelles définies par la communauté scientifique et la liste des événements graves associés à la prise des médicaments concurrents ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir le rapport du comité scientifique spécialisé temporaire relatif au baclofène et le relevé d'avis qui y est rattaché ;

3°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 22 octobre 2018 par laquelle le directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a accordé aux spécialités Baclocur une autorisation de mise sur le marché limitant la posologie maximale à 80 milligrammes par jour ainsi que le résumé des caractéristiques du produit, notamment en tant qu'il prévoit une contre-indication pour les femmes en âge de procréer et les personnes souffrant de troubles psychiatriques, et d'enjoindre à l'agence de procéder à un nouvel examen de la demande d'autorisation au vu de toutes données scientifiques disponibles, de l'expertise de la commission ad hoc réunie en juillet 2018 et de celle d'un nouveau comité scientifique spécialisé temporaire ;

4°) subsidiairement, de réformer cette autorisation de mise sur le marché en portant la posologie maximale à 300 milligrammes par jour et en l'assortissant de diverses mesures de protection des patients ;

5°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, révélée par communiqué de presse du 23 octobre 2018, de mettre un terme à la recommandation temporaire d'utilisation du baclofène ;

6°) de réformer la recommandation temporaire d'utilisation du baclofène pour porter la posologie maximale à 300 milligrammes par jour et de l'assortir de diverses mesures de protection des patients ;

7°) d'enjoindre à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé de rétablir le fonctionnement du " portail RTU ", de s'abstenir de tout excès de communication alarmiste et d'adresser aux professionnels de santé une lettre les informant des dispositions prises.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative, notamment son article R. 611-8 ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Arnaud Skzryerbak, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Charles Touboul, rapporteur public.


Vu les notes en délibéré, enregistrées les 17 et 19 juin 2019, présentées par Mme B...et autres.



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que, par décisions du 22 octobre 2018, le directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a autorisé la mise sur le marché des spécialités Baclocur 10 milligrammes, 20 milligrammes et 40 milligrammes, comprimé pelliculé sécable, dont le principe actif est le baclofène, indiquées à des fins de réduction de la consommation d'alcool, après échec des autres traitements médicamenteux disponibles, chez les patients adultes ayant une dépendance à l'alcool et une consommation d'alcool à risque élevé. Par un communiqué de presse du 23 octobre suivant, le directeur général de l'agence a annoncé la délivrance de ces autorisations et indiqué que la recommandation temporaire d'utilisation du baclofène dans la prise en charge des patients alcoolo-dépendants, établie par l'agence en 2014, serait prolongée jusqu'à la commercialisation effective de la spécialité Baclocur. MmeB..., M. C...et les associations Collectif Baclohelp et Aubes demandent au Conseil d'Etat, notamment, d'annuler pour excès de pouvoir ces autorisations de mise sur le marché et les décisions qu'ils estiment révélées par le communiqué de presse du 23 octobre 2018.

Sur les conclusions tendant à l'annulation du relevé d'avis et du rapport d'expertise sur le rapport entre les bénéfices et les risques du baclofène dans le traitement des patients alcoolo-dépendants :

2. Le relevé d'avis émis le 17 avril 2018 et le rapport d'expertise rendu le 27 juin 2018 par le comité scientifique spécialisé temporaire chargé d'émettre un avis sur les bénéfices et les risques du baclofène dans le traitement des patients alcoolo-dépendants sont des éléments de la procédure d'examen des demandes d'autorisation de mise sur le marché des spécialités Baclocur présentées par la société Ethypharm. Ils ont, dès lors, le caractère d'actes préparatoires et ne constituent pas par eux-mêmes des décisions susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Les conclusions tendant à leur annulation sont, par suite, irrecevables.

Sur les conclusions tendant à l'annulation des décisions accordant l'autorisation de mise sur le marché des spécialités Baclocur :

3. Aux termes de l'article L. 311-1 du code de justice administrative : " Les tribunaux administratifs sont, en premier ressort, juges de droit commun du contentieux administratif, sous réserve des compétences que l'objet du litige ou l'intérêt d'une bonne administration de la justice conduisent à attribuer à une autre juridiction administrative ".

4. Les requérants demandent l'annulation pour excès de pouvoir des décisions du 22 octobre 2018 par lesquelles le directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a autorisé la mise sur le marché des spécialités Baclocur 10 milligrammes, 20 milligrammes et 40 milligrammes, comprimé pelliculé sécable, en limitant la posologie maximale à 80 milligrammes par jour. Même si elles sont assorties de prescriptions relatives aux conditions de leur utilisation, de telles autorisations, délivrées à une société en vue de la mise sur le marché d'un produit déterminé, sont dépourvues de caractère réglementaire. Elles ne relèvent d'aucun des autres cas de compétence du Conseil d'Etat en premier et dernier ressort énumérés par l'article R. 311-1 du code de justice administrative. Ainsi, il n'appartient pas au Conseil d'Etat de connaître de conclusions tendant à l'annulation de telles décisions.

5. Le tribunal administratif territorialement compétent pour connaître de ces conclusions est, en vertu des dispositions de l'article R. 312-10 du code de justice administrative, celui dans le ressort duquel a son siège la société qui a déposé les demandes d'autorisation de mise sur le marché. Dans ces conditions, ces conclusions, ainsi que les conclusions de la requête qui y sont subsidiaires ou accessoires, doivent être attribuées au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, dans le ressort duquel se trouve le siège de la société Ethypharm.

Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision du directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé de mettre un terme à la recommandation temporaire d'utilisation du baclofène :

6. Aux termes de l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique : " I. - Une spécialité pharmaceutique peut faire l'objet d'une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché en l'absence de spécialité de même principe actif, de même dosage et de même forme pharmaceutique disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation dans l'indication ou les conditions d'utilisation considérées, sous réserve qu'une recommandation temporaire d'utilisation établie par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé sécurise l'utilisation de cette spécialité dans cette indication ou ces conditions d'utilisation et que le prescripteur juge indispensable le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l'état clinique de son patient. (...) / II. - Les recommandations temporaires d'utilisation mentionnées au I sont établies pour une durée maximale de trois ans, renouvelable (...) ".

7. Les requérants demandent l'annulation pour excès de pouvoir de la décision, révélée par le communiqué de presse du 23 octobre 2018, du directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé d'abroger la recommandation temporaire d'utilisation du baclofène dans la prise en charge des patients alcoolo-dépendants. Il résulte des dispositions de l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique citées ci-dessus qu'une recommandation temporaire d'utilisation a pour objet, pendant une durée en principe limitée, de sécuriser l'utilisation d'une spécialité dans une indication ou des conditions d'utilisation autres que celles de son autorisation de mise sur le marché, en l'absence de spécialité de même principe actif, de même dosage et de même forme pharmaceutique disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation dans l'indication ou les conditions d'utilisation considérées. Or il ressort des pièces du dossier que la spécialité Baclocur 10 milligrammes, comprimé pelliculé sécable, a le même principe actif, le même dosage et la même forme pharmaceutique que les spécialités Lioresal 10 milligrammes, comprimé sécable, et Baclofène Zentiva 10 milligrammes, comprimé sécable, objets de la recommandation temporaire d'utilisation en litige, et que la décision du 22 octobre 2018 autorise sa mise sur le marché dans la même indication de réduction de la consommation d'alcool, après échec des autres traitements médicamenteux disponibles, chez les patients adultes ayant une dépendance à l'alcool et une consommation d'alcool à risque élevé, avec la même posologie maximale de 80 milligrammes par jour. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le directeur général de l'agence aurait méconnu le principe d'égalité ou commis une erreur manifeste d'appréciation en décidant que la recommandation temporaire d'utilisation du baclofène dans la prise en charge des patients alcoolo-dépendants ne serait pas prolongée au-delà de la commercialisation effective de la spécialité Baclocur.

Sur les conclusions tendant à la réformation de la recommandation temporaire d'utilisation du baclofène et au prononcé d'injonctions relatives au " portail RTU ", à la communication de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et à l'information des professionnels de santé :

8. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision (...) ". Par suite, les conclusions par lesquelles les requérants demandent au Conseil d'Etat, statuant au contentieux, de réformer la recommandation temporaire d'utilisation du baclofène, pour porter la posologie maximale à 300 milligrammes par jour, le cas échéant en l'assortissant de différentes mesures, sans faire état d'aucune décision administrative se prononçant sur une demande de modification de cet acte, sont irrecevables.

9. D'autre part, en dehors de dispositions le prévoyant expressément, le juge administratif ne peut en principe adresser des injonctions à une autorité administrative. Il résulte des articles L. 911-1 et L. 911-2 du code de justice administrative que le juge dispose d'un tel pouvoir lorsque sa décision implique nécessairement que cette autorité prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé ou prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction. La présente décision, qui rejette les conclusions des requérants tendant à l'annulation de la décision du directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé de mettre un terme à la recommandation temporaire d'utilisation du baclofène et à la réformation de cette recommandation, n'implique par elle-même aucune mesure d'exécution. Leurs conclusions tendant au prononcé d'injonctions relatives au " portail RTU ", à la communication de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et à l'information des professionnels de santé ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.


D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement des conclusions de la requête de Mme B...et autres dirigées contre les décisions du 22 octobre 2018 du directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé accordant à la société Ethypharm l'autorisation de mise sur le marché des spécialités Baclocur et des conclusions accessoires à fin d'injonction et d'expertise est attribué au tribunal administratif de Cergy-Pontoise.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme B...et autres est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée, pour l'ensemble des requérants, à M.D..., représentant désigné, et à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.
Copie en sera adressée à la ministre des solidarités et de la santé et à la société Ethypharm.