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Ariane Web: Conseil d'État 426451, lecture du 18 juillet 2019, ECLI:FR:CECHS:2019:426451.20190718

Décision n° 426451
18 juillet 2019
Conseil d'État

N° 426451
ECLI:FR:CECHS:2019:426451.20190718
Inédit au recueil Lebon
1ère chambre
M. Pierre Boussaroque, rapporteur
M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public
SCP HEMERY, THOMAS-RAQUIN, LE GUERER ; SCP GASCHIGNARD, avocats


Lecture du jeudi 18 juillet 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

L'Union des commerçants d'Uriage, la SARL Boulangerie Pâtisserie Bernard Locquet, la SARL l'Optique des Thermes, la SCI SEEM, la SARL GSJ, la SARL Epicerie CA, la SARL SO.BO.DU., la SAS La Fondue, M. B...A..., l'EURL Le Carillon, la SELARL Pharmacie Cocolomb, la SARL Tempo, la SARL La Marmolada, la SARL 2CDM, Mme C...F..., la SARL Nature et Gourmandises et Mme E...D...ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble de suspendre, en application de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de l'arrêté du 9 août 2018 par lequel le maire de la commune de Saint-Martin-d'Uriage a délivré à cette commune un permis d'aménager en vue de la requalification de " l'allée commerciale " de l'avenue des Thermes. Par une ordonnance n° 1807333 du 5 décembre 2018, le juge des référés a rejeté cette demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés le 20 décembre 2018 et les 3 janvier et 28 juin 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union des commerçants d'Uriage, la SARL Boulangerie Pâtisserie Bernard Locquet, la SARL l'Optique des Thermes, la SCI SEEM, la SARL GSJ, la SARL Epicerie CA, la SARL SO.BO.DU., la SAS La Fondue, la SARL Le Carillon, la SELARL Pharmacie Cocolomb, la SARL Tempo, la SARL La Marmolada, la SARL 2CDM, la SARL Nature et Gourmandises, M.A..., Mme F...et Mme D...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) réglant l'affaire au titre de la procédure de référé engagée, de faire droit à leur demande de suspension ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Martin-d'Uriage la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Pierre Boussaroque, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Rémi Decout-Paolini, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Hémery, Thomas-Raquin, Le Guerer, avocat de l'Union des commerçants d'Uriage et autres ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble que le maire de la commune de Saint-Martin-d'Uriage a délivré à cette commune, le 9 août 2018, un permis d'aménager en vue de la requalification de l'allée commerciale située le long de la route départementale RD 524 à la hauteur de l'avenue des Thermes. L'Union des commerçants d'Uriage, treize sociétés et trois personnes physiques ont saisi le tribunal administratif de Grenoble d'une requête tendant à l'annulation de cet arrêté pour excès de pouvoir et ont demandé au juge des référés de ce tribunal de suspendre son exécution sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative. Ils se pourvoient en cassation contre l'ordonnance par laquelle le juge des référés a rejeté leur demande de suspension comme manifestement irrecevable, faute de justifier d'un intérêt à agir contre l'arrêté litigieux.

Sur le pourvoi en cassation :

2. Aux termes de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable à la demande à fin d'annulation des requérants, enregistrée le 20 novembre 2018 au greffe du tribunal administratif de Grenoble : " Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager que si la construction, l'aménagement ou les travaux sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation ".

3. D'une part, il résulte des termes mêmes de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme que le législateur n'a pas entendu régir, par ses dispositions, l'intérêt pour agir d'une association contre une autorisation d'urbanisme. Dès lors, il appartenait au juge des référés de rechercher si l'Union des commerçants d'Uriage justifiait, au regard de l'objet défini par ses statuts, d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre l'arrêté litigieux. En se bornant à rechercher si les commerçants qu'elle regroupait justifiaient d'atteintes aux conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de leurs biens, le juge des référés a commis une erreur de droit.

4. D'autre part, il résulte des dispositions de l'article L. 600-1-2 qu'il appartient, en particulier, à tout requérant, autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou les associations, qui saisit le juge administratif d'un recours pour excès de pouvoir tendant à l'annulation d'un permis de construire, de démolir ou d'aménager, de préciser l'atteinte qu'il invoque pour justifier d'un intérêt lui donnant qualité pour agir, en faisant état de tous éléments suffisamment précis et étayés de nature à établir que cette atteinte est susceptible d'affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance de son bien. Il appartient au défendeur, s'il entend contester l'intérêt à agir du requérant, d'apporter tous éléments de nature à établir que les atteintes alléguées sont dépourvues de réalité. Le juge de l'excès de pouvoir apprécie la recevabilité de la requête au vu des éléments ainsi versés au dossier par les parties, en écartant le cas échéant les allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées mais sans pour autant exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve du caractère certain des atteintes qu'il invoque au soutien de la recevabilité de celui-ci. Eu égard à sa situation particulière, le voisin immédiat justifie, en principe, d'un intérêt à agir lorsqu'il fait état devant le juge, qui statue au vu de l'ensemble des pièces du dossier, d'éléments relatifs à la nature, à l'importance ou à la localisation du projet de construction.

5. En jugeant que la SARL Boulangerie Pâtisserie Bernard Locquet, la SARL l'Optique des Thermes, la SCI SEEM, la SARL GSJ, la SARL Epicerie CA, la SARL SO.BO.DU., la SAS La Fondue, la SARL Le Carillon, la SELARL Pharmacie Cocolomb, la SARL Tempo, la SARL La Marmolada, la SARL 2CDM, la SARL Nature et Gourmandises, M. A..., Mme F...et Mme D...ne justifiaient pas d'un intérêt à agir contre le permis d'aménagement en litige, alors qu'ils avaient, d'une part, établi pour la plupart d'entre eux être propriétaires ou occupants réguliers de locaux commerciaux situés le long de l'allée commerciale faisant l'objet du projet d'aménagement et, d'autre part, fait état de l'importance des travaux et des incidences de ce projet pour l'exploitation de ces locaux, en raison notamment de la forte diminution du nombre de places de stationnement prévues, le juge des référés a inexactement qualifié les faits de l'espèce.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que l'Union des commerçants d'Uriage et les autres requérants sont fondés à demander l'annulation de l'ordonnance du 5 décembre 2018 du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble qu'ils attaquent.

7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée.

Sur la demande de suspension du permis d'aménager litigieux :

8. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

9. Ainsi qu'en justifie la commune de Saint-Martin-d'Uriage, à la date à laquelle le Conseil d'Etat statue, les travaux préparatoires, comprenant les abattages d'arbres nécessaires au projet de requalification de l'allée commerciale autorisé par le permis en litige, ainsi que les travaux de renouvellement des réseaux sont achevés, et les travaux de voirie, dont l'achèvement est prévu au mois d'août 2019, sont très avancés. Si, eu égard au caractère difficilement réversible des travaux rendus possibles par un permis d'aménager délivré en application du code de l'urbanisme, la condition d'urgence doit en principe être constatée lorsque les travaux vont commencer ou ont déjà commencé sans être pour autant achevés, il résulte toutefois de l'instruction qu'en l'espèce, compte tenu de l'intérêt s'attachant désormais à l'achèvement rapide des aménagements autorisés par l'arrêté litigieux, eu égard au degré d'avancement des travaux et aux nuisances que leur prolongation entraînerait tant pour les commerçants requérants que pour l'ensemble des usagers du domaine public, l'urgence ne justifie pas la suspension de l'exécution de l'arrêté du 9 août 2018.

10. Il suit de là que, sans qu'il soit besoin de rechercher s'ils font état de moyens propres à créer un doute sérieux quant à sa légalité, les requérants ne sont pas fondés à demander la suspension de l'exécution du permis d'aménager autorisant les travaux de requalification de " l'allée commerciale " de l'avenue des Thermes.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la commune de Saint-Martin-d'Uriage, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions que cette commune présente au même titre.


D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble du 5 décembre 2018 est annulée.
Article 2 : La demande de suspension présentée par l'Union des commerçants d'Uriage, la SARL Boulangerie Pâtisserie Bernard Locquet, la SARL l'Optique des Thermes, la SCI SEEM, la SARL GSJ, la SARL Epicerie CA, la SARL SO.BO.DU., la SAS La Fondue, la SARL Le Carillon, la SELARL Pharmacie Cocolomb, la SARL Tempo, la SARL La Marmolada, la SARL 2CDM, la SARL Nature et Gourmandises, M.A..., Mme F...et Mme D...est rejetée.
Article 3 : Les conclusions des parties présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'Union des commerçants d'Uriage, première dénommée, pour l'ensemble des requérants, et à la commune de Saint-Martin-d'Uriage.