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Ariane Web: Conseil d'État 432339, lecture du 23 juillet 2019, ECLI:FR:CEORD:2019:432339.20190723

Décision n° 432339
23 juillet 2019
Conseil d'État

N° 432339
ECLI:FR:CEORD:2019:432339.20190723
Inédit au recueil Lebon

LE PRADO, avocats


Lecture du mardi 23 juillet 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :
Mme DadoB...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de constater la caducité de la décision de transfert aux autorités espagnoles prise à son encontre par le préfet de police le 7 août 2018, de mettre fin aux mesures de privation de liberté dont elle fait l'objet et d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer une attestation de demande d'asile et de lui remettre le formulaire de saisine de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Par une ordonnance n° 1905762 du 28 juin 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 8 et 18 juillet 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B...demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande et d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer l'attestation de demande d'asile prévue à l'article L. 741-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que le formulaire de demande d'asile afin qu'elle introduise sa demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, dans un délai de quarante-huit heures à compter de l'ordonnance à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Elle soutient que :
- sa requête est recevable dès lors qu'elle a été présentée dans le délai de quinze jours prévu par l'article L. 523-1 du code de justice administrative ;
- la condition d'urgence est remplie dès lors qu'elle risque d'être transférée vers l'Espagne à tout moment ;
- le juge des référés du tribunal administratif de Melun a entaché son ordonnance d'une erreur de droit en ce qu'il a retenu qu'elle était en fuite alors que le recours contre la décision de transfert exercé devant le tribunal administratif de Paris était en instance et que ce recours est suspensif en application de l'article L. 742-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'exécution de la décision de transfert porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit à un recours juridictionnel effectif et au droit d'asile, dès lors que le préfet a considéré à tort que Mme B...était en fuite et qu'en conséquence le délai de transfert avait expiré le 24 avril 2019.


Par un mémoire en défense, enregistré le 22 juillet 2019, le ministre de l'intérieur conclut à ce qu'il n'y ait plus lieu de statuer sur la requête et, à titre subsidiaire, à son rejet. Il fait valoir que l'arrêté de transfert a été exécuté le 11 juillet 2019, ce qui prive d'objet les conclusions de la requête, et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par une intervention, enregistrée le 11 juillet 2019, La Cimade demande que le Conseil d'Etat fasse droit à la requête de MmeB.... Elle soutient que son intervention est recevable et fait valoir que l'intéressée ne pouvait être regardée comme étant en fuite, dès lors qu'à la date à laquelle elle a été convoquée par la préfecture pour organiser son transfert, la décision de transfert faisait l'objet d'un recours présentant un caractère suspensif.



Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, Mme B...et, d'autre part, le ministre de l'intérieur et La Cimade ;

Vu la lettre informant les parties de la radiation de l'affaire du rôle de l'audience publique du 23 juillet 2019 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;



Considérant ce qui suit :

Sur l'intervention de La Cimade :

1. Eu égard à la nature et l'objet du litige, l'association La Cimade justifie d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la requête de MmeB.... Son intervention est, par suite, recevable.



Sur la requête de MmeB... :

2. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".

3. Aux termes de l'article L. 522-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés statue au terme d'une procédure contradictoire écrite ou orale. / Lorsqu'il lui est demandé de prononcer les mesures visées aux articles L. 521-1 et L. 521-2, de les modifier ou d'y mettre fin, il informe sans délai les parties de la date et de l'heure de l'audience publique (...) ". Selon l'article L. 522-3 du même code : " Lorsque la demande ne présente pas un caractère d'urgence ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée, le juge des référés peut la rejeter par une ordonnance motivée sans qu'il y ait lieu d'appliquer les deux premiers alinéas de l'article L. 522-1 ".

4. Lorsque le juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative a estimé, au vu de la requête dont il est saisi, qu'il y avait lieu, non de la rejeter en l'état pour l'un des motifs mentionnés à l'article L. 522-3 du code de justice administrative, mais d'engager la procédure prévue à l'article L. 522-1 de ce code, il lui incombe de poursuivre cette procédure et, notamment, de tenir une audience publique. Il en va différemment lorsque, après que cette procédure a été engagée, intervient un désistement ou un évènement rendant sans objet la requête. Dans ce cas, le juge des référés peut, dans le cadre de son office, donner acte du désistement ou constater un non-lieu sans tenir d'audience.

5. Il résulte de l'instruction que MmeB..., ressortissante malienne, a présenté une demande d'asile qui a été enregistrée le 3 mai 2018 à Paris. A l'occasion de cet enregistrement, le relevé de ses empreintes a fait apparaître que ses empreintes avaient déjà été enregistrées en Espagne le 22 octobre 2017. Par un arrêté en date du 7 août 2018, notifié le 13 août 2018, le préfet de police a décidé son transfert aux autorités espagnoles, qui avaient accepté, le 24 mai 2018, sa reprise en charge en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013. Mme B...n'ayant pas déféré le 19 septembre 2018 à la convocation qui lui avait été adressée par les services de la préfecture de police, elle a été déclarée, le 18 octobre 2018, comme ayant pris la fuite et les autorités espagnoles ont été informées de la prolongation corrélative du délai de transfert à dix-huit mois. Le recours formé par Mme B...le 13 août 2018 contre l'arrêté de transfert a été rejeté par un jugement du 16 octobre 2018 du tribunal administratif de Paris, confirmé par la cour administrative d'appel de Paris le 9 avril 2019. Par un arrêté du 12 juin 2019, le préfet de police a placé Mme B...en rétention en vue de son transfert vers l'Espagne. Mme B...a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Melun, le 25 juin 2019, d'une demande, fondée sur l'article L. 521-2 du code de justice administrative, tendant notamment au constat de la caducité de l'arrêté de transfert du 7 août 2018 et à ce qu'il soit enjoint au préfet de police de lui délivrer une attestation de demande d'asile et de lui remettre un formulaire de demande d'asile. Par une ordonnance du 28 juin 2019 dont Mme B...relève appel, le juge des référés du tribunal administratif a rejeté cette demande.

6. Postérieurement à l'introduction de l'appel, Mme B...a été transférée en Espagne le 11 juillet 2019. L'arrêté de transfert du 7 août 2018, objet de la présente procédure en référé, ayant ainsi été entièrement exécuté, les conclusions de Mme B...tendant à ce que soit constatée, en référé, la caducité de cet arrêté et à ce qu'il soit, en conséquence, enjoint au préfet de police de lui délivrer une attestation de demande d'asile, sont devenues sans objet. Il n'y a, dès lors, plus lieu d'y statuer.

7. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme demandée par Mme B...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



O R D O N N E :
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Article 1er : L'intervention de La Cimade est admise.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de Mme B...tendant au constat de la caducité de l'arrêté du 7 août 2018 du préfet de police et à ce qu'il soit enjoint au préfet de police de lui délivrer une attestation de demande d'asile et un formulaire de demande d'asile.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme DadoB..., au ministre de l'intérieur et à La Cimade.