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Ariane Web: Conseil d'État 428530, lecture du 31 juillet 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:428530.20190731

Décision n° 428530
31 juillet 2019
Conseil d'État

N° 428530
ECLI:FR:CECHR:2019:428530.20190731
Publié au recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
Mme Stéphanie Vera, rapporteur
M. Guillaume Odinet, rapporteur public
SCP MARLANGE, DE LA BURGADE, avocats


Lecture du mercredi 31 juillet 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

1°/ Sous le n° 428530, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 février et 5 juillet 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE), l'association " Action des chrétiens pour l'abolition de la torture " (ACAT), l'Association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et transsexuelles à l'immigration et au séjour (ARDHIS), l'association " Avocats pour la défense des droits des étrangers ", l'association Dom'Asile, la Fédération des associations de solidarité avec tou-te-s les immigré-e-s (FASTI), le Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), le Groupe accueil et solidarité (GAS), le Service jésuite des réfugiés (JRS), la Ligue des droits de l'homme et du citoyen, le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2018-1359 du 28 décembre 2018 relatif aux conditions matérielles d'accueil ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



2°/ Sous le n° 428564, par une requête et trois mémoires en réplique, enregistrés les 4 et 26 mars et les 2 et 4 avril 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE), l'association " Action des chrétiens pour l'abolition de la torture " (ACAT), l'Association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et transsexuelles à l'immigration et au séjour (ARDHIS), l'association " Avocats pour la défense des droits des étrangers ", l'association Dom'Asile, la Fédération des associations de solidarité avec tou-te-s les immigré-e-s (FASTI), le Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), le Groupe accueil et solidarité (GAS), le Service jésuite des réfugiés (JRS), la Ligue des droits de l'homme et du citoyen, le Syndicat des avocats de France et le Syndicat de la magistrature demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2018-1359 du 28 décembre 2018 relatif aux conditions matérielles d'accueil ;

2°) d'enjoindre aux ministres le cas échéant, de prendre, sous le contrôle du juge, les mesures qui sont strictement nécessaires au bon fonctionnement de leurs services dans des conditions conformes avec les exigences découlant du respect du droit de l'Union européenne et dans le respect des règles de compétence de droit national ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................


Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ;
- la directive n° 2013/32/UE du 26 juin 2013 du Parlement européen et du Conseil relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale ;
- la directive n° 2013/33/UE du 26 juin 2013 du Parlement européen et du Conseil établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Stéphanie Vera, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de " La Cimade " et autres ;



Considérant ce qui suit :

1. La loi du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie a modifié différentes dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le décret du 28 décembre 2018, pris pour l'application de certaines de ses dispositions, est relatif aux conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile. Les deux requêtes du Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE) et des autres requérants tendent, d'une part, à l'annulation de ce décret en tant que, par son article 1er, il modifie les articles D. 744-17 et suivants du code et, d'autre part, à la suspension de l'exécution de ces dispositions. Il y a lieu de joindre des deux requêtes pour statuer par une même décision.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la légalité externe du décret :

2. S'il résulte du II de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles que les conditions techniques minimales d'organisation et de fonctionnement des établissements et services sociaux et médico-sociaux, catégorie à laquelle appartiennent les centres d'accueil pour demandeurs d'asile, sont définies par décret après avis de la section sociale du Comité national d'organisation sanitaire et sociale, aucune des dispositions du décret attaqué n'est relative à l'organisation ou au fonctionnement de ces centres d'accueil. Par suite, le moyen tiré de ce que le décret serait entaché d'un vice de procédure, faute d'avoir été précédé de la consultation du Comité national d'organisation sanitaire et sociale, ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne du décret :

3. L'incompatibilité d'une disposition législative avec une directive européenne ne peut être utilement invoquée à l'appui de conclusions dirigées contre un acte réglementaire que si ce dernier a été pris pour son application ou si elle en constitue la base légale.

S'agissant des dispositions relatives aux conséquences de la cessation du droit au séjour et du placement en rétention des demandeurs d'asile sur les conditions matérielles d'accueil :

4. En premier lieu, les modifications apportées par le décret attaqué aux articles D. 744-17 et D. 744-34 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile se bornent à fixer ou rappeler le terme du versement de l'allocation pour demandeur d'asile lorsque le droit au maintien au séjour du bénéficiaire a pris fin. Par suite, les associations requérantes ne sauraient utilement soutenir, par la voie de l'exception, que les articles L. 743-3, L. 743-4 et L. 571-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en tant que ces dispositions législatives organisent les recours juridictionnels contre des décisions d'éloignement des étrangers dont la demande d'asile a été rejetée, lesquelles ne constituent pas la base légale des dispositions réglementaires critiquées qui n'ont pas été prises pour leur application, seraient incompatibles avec les objectifs de la directive 2013/32/UE du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale et de la directive n° 2013/33/UE du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale.

5. En deuxième lieu, aux termes du paragraphe 3 de l'article 8 de la directive n° 2013/33/UE du 26 juin 2013 : " Un demandeur ne peut être placé en rétention que : (...) b) pour déterminer les éléments sur lesquels se fonde la demande de protection internationale qui ne pourraient pas être obtenus sans un placement en rétention, en particulier lorsqu'il y a risque de fuite du demandeur (...) ; d) lorsque le demandeur est placé en rétention dans le cadre d'une procédure de retour au titre de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, pour préparer le retour et/ou procéder à l'éloignement, et lorsque l'Etat membre concerné peut justifier sur la base de critères objectifs, tels que le fait que le demandeur a déjà eu la possibilité d'accéder à la procédure d'asile, qu'il existe des motifs raisonnables de penser que le demandeur a présenté la demande de protection internationale à seule fin de retarder ou d'empêcher l'exécution de la décision de retour; e) lorsque la protection de la sécurité nationale ou de l'ordre public l'exige (...). Les motifs du placement en rétention sont définis par le droit national ". Lorsque le droit au maintien de l'étranger sur le territoire français a pris fin en application du 4° bis ou du 7° de l'article L. 743-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et qu'une obligation de quitter le territoire français a été prise à son encontre, l'étranger ne peut être placé en rétention, aux termes du I de l'article L. 744-9-1 de ce code, " que lorsque cela est nécessaire pour déterminer les éléments sur lesquels se fonde sa demande, notamment pour prévenir le risque mentionné au 3° du II de l'article L. 511-1 ou lorsque la protection de la sécurité nationale ou de l'ordre public l'exige. " Le risque mentionné au 3° du II de l'article L. 511-1 de ce code est le risque que l'étranger se soustraie à ses obligations lequel, selon ces dispositions, peut être regardé comme établi dans les différents cas qu'il énumère.

6. Les associations requérantes soutiennent, à l'appui de leur contestation de l'article D. 744-29 du code en tant qu'il prévoit la suspension des droits à l'allocation pour demandeur d'asile en cas de rétention, que le I de l'article L. 744-9-1 méconnaîtrait le paragraphe 3 de l'article 8 de la directive n° 2013/33/UE. Toutefois, en tout état de cause, la seule circonstance que le I de l'article L. 744-9-1 renvoie, pour la définition du risque de fuite, aux dispositions de l'article L. 511-1, pris pour la transposition de la directive 2008/115 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier et non à une définition des risques de fuite propre aux étrangers ayant présenté une demande d'asile ne saurait faire regarder ces dispositions législatives comme prises en méconnaissance des objectifs de la directive n° 2013/33/UE du 26 juin 2013.

S'agissant des dispositions relatives au retrait du bénéfice des conditions matérielles d'accueil :

7. L'article 20 de la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 prévoit que : " 1. Les Etats membres peuvent limiter ou, dans des cas exceptionnels et dûment justifiés, retirer le bénéfice des conditions matérielles d'accueil lorsqu'un demandeur : a) abandonne le lieu de résidence fixé par l'autorité compétente sans en avoir informé ladite autorité ou, si une autorisation est nécessaire à cet effet, sans l'avoir obtenue ; ou b) ne respecte pas l'obligation de se présenter aux autorités, ne répond pas aux demandes d'information ou ne se rend pas aux entretiens personnels concernant la procédure d'asile dans un délai raisonnable fixé par le droit national ; ou c) a introduit une demande ultérieure telle que définie à l'article 2, point q), de la directive 2013/32/UE. / En ce qui concerne les cas visés aux points a) et b), lorsque le demandeur est retrouvé ou se présente volontairement aux autorités compétentes, une décision dûment motivée, fondée sur les raisons de sa disparition, est prise quant au rétablissement du bénéfice de certaines ou de l'ensemble des conditions matérielles d'accueil retirées ou réduites (...). / 5. Les décisions portant limitation ou retrait du bénéfice des conditions matérielles d'accueil ou les sanctions visées aux paragraphes 1, 2, 3 et 4 du présent article sont prises au cas par cas, objectivement et impartialement et sont motivées. Elles sont fondées sur la situation particulière de la personne concernée, en particulier dans le cas des personnes visées à l'article 21, compte tenu du principe de proportionnalité. Les Etats membres assurent en toutes circonstances l'accès aux soins médicaux conformément à l'article 19 et garantissent un niveau de vie digne à tous les demandeurs. / 6. Les Etats membres veillent à ce que les conditions matérielles d'accueil ne soient pas retirées ou réduites avant qu'une décision soit prise conformément au paragraphe 5 ".

8. Selon l'article L. 744-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction issue de la loi du 10 septembre 2018 : " Le bénéfice des conditions matérielles d'accueil prévues à l'article L. 744-1 est subordonné : 1° A l'acceptation par le demandeur de la proposition d'hébergement ou, le cas échéant, de la région d'orientation déterminée en application de l'article L. 744-2. (...) ; / 2° Au respect des exigences des autorités chargées de l'asile, notamment en se rendant aux entretiens, en se présentant aux autorités et en fournissant les informations utiles afin de faciliter l'instruction des demandes. / Le demandeur est préalablement informé, dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend, que le fait de refuser ou de quitter le lieu d'hébergement proposé ou la région d'orientation mentionnés au 1° du présent article ainsi que le non-respect des exigences des autorités chargées de l'asile prévues au 2° entraîne de plein droit le refus ou, le cas échéant, le retrait du bénéfice des conditions matérielles d'accueil ". L'article L. 744-8 du même code prévoit quant à lui que : " Outre les cas, mentionnés à l'article L. 744-7, dans lesquels il est immédiatement mis fin de plein droit au bénéfice des conditions matérielles d'accueil, le bénéfice de celles-ci peut être : 1° Retiré si le demandeur d'asile a dissimulé ses ressources financières, a fourni des informations mensongères relatives à sa situation familiale ou a présenté plusieurs demandes d'asile sous des identités différentes, ou en cas de comportement violent ou de manquement grave au règlement du lieu d'hébergement ; 2° Refusé si le demandeur présente une demande de réexamen de sa demande d'asile ou s'il n'a pas sollicité l'asile, sans motif légitime, dans le délai prévu au 3° du III de l'article L. 723-2. (...) La décision de retrait des conditions matérielles d'accueil prise en application du présent article est écrite et motivée. Elle prend en compte la vulnérabilité du demandeur. Elle est prise après que l'intéressé a été mis en mesure de présenter ses observations écrites selon des modalités définies par décret. ".

9. Pour l'application de ces dispositions, l'article 1er du décret attaqué a notamment, à son 12°, inséré au code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile un article D. 744-37-1 prévoyant que la décision de refus et de retrait prise sur le fondement de l'article L. 744-7 de ce code n'est pas précédée d'une procédure contradictoire et que tout recours contentieux contre une telle décision est précédé d'un recours administratif préalable devant l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Son 14° modifie l'article D. 744-39 de ce code pour tirer les conséquences du nouveau régime de retrait des conditions matérielles d'accueil sur l'information initiale des demandeurs d'asile en prévoyant que l'offre de prise en charge faite au demandeur d'asile fait mention de la possibilité pour le demandeur d'asile de se voir refuser ou retirer le bénéfice des conditions matérielles d'accueil ou qu'il y soit mis fin dans les conditions prévues par le code.

10. En premier lieu, les termes précités de la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 ne s'opposent pas à ce que les demandeurs d'asile ne bénéficient des conditions matérielles d'accueil que sous réserve d'accepter le lieu d'hébergement proposé par l'Office français de l'immigration et de l'intégration ou, le cas échéant, la région d'orientation déterminée en application de l'article L. 744-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, les associations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que l'article L. 744-7 de ce code et les dispositions du décret pris pour leur application méconnaîtraient les objectifs de cette directive sur ce point.

11. En deuxième lieu, toutefois, il résulte de l'article 20 de la directive que s'il est possible dans des cas exceptionnels et dûment justifiés de retirer les conditions matérielles d'accueil à un demandeur d'asile, d'une part ce retrait ne peut intervenir qu'après examen de la situation particulière de la personne et être motivé, d'autre part l'intéressé doit pouvoir solliciter le rétablissement des conditions matérielles d'accueil lorsque le retrait a été fondé sur l'abandon du lieu de résidence sans information ou autorisation de l'autorité compétente, sur la méconnaissance de l'obligation de se présenter aux autorités ou de se rendre aux rendez-vous qu'elle fixe ou sur l'absence de réponse aux demandes d'information. Il suit de là que les associations requérantes sont fondées à soutenir qu'en créant des cas de refus et de retrait de plein droit des conditions matérielles d'accueil sans appréciation des circonstances particulières et en excluant, en cas de retrait, toute possibilité de rétablissement de ces conditions, les articles L. 744-7 et L. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur rédaction résultant de la loi du 10 septembre 2018, s'avèrent incompatibles avec les objectifs de la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013. Il en résulte qu'elles sont fondées à demander l'annulation des dispositions des 12° et 14° de l'article 1er du décret du 28 décembre 2018, pris pour l'application de ces dispositions législatives.

12. Il résulte de tout ce qui précède que les associations requérantes sont seulement fondées à demander l'annulation pour excès de pouvoir des 12° et 14° de l'article 1er du décret qu'elles attaquent. Dès lors qu'il est ainsi statué sur leurs conclusions à fin d'annulation, leurs conclusions tendant à la suspension en référé de l'exécution du décret attaqué deviennent sans objet.

Sur les conséquences de l'annulation :

En ce qui concerne le sort des dispositions litigieuses :

13. L'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu. Toutefois, s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur, que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif - après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l'ensemble des moyens, d'ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l'acte en cause - de prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation. Il lui revient d'apprécier, en rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit dérogé au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l'affirmative, de prévoir dans sa décision d'annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de sa décision prononçant l'annulation contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine. S'agissant d'une annulation résultant d'une méconnaissance du droit de l'Union européenne, cette faculté ne peut être utilisée qu'à titre exceptionnel et en présence d'une nécessité impérieuse.

14. Si le ministre de l'intérieur fait état de difficultés administratives s'attachant à une annulation immédiate et rétroactive des dispositions règlementaires attaquées, tenant en particulier au nombre de décisions de retrait de plein droit intervenues depuis le 1er janvier 2019, il n'apparaît que ces difficultés constitueraient une nécessité impérieuse justifiant de différer l'annulation des dispositions jugées illégales ou d'en réputer définitifs les effets passés.

En ce qui concerne le droit applicable à compter de l'annulation prononcée :

15. L'incompatibilité, dans la mesure précisée au point 11, des dispositions des articles L. 744-7 et L. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur rédaction issue de la loi du 10 septembre 2018, avec les objectifs de l'article 20 de la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013, n'a pas pour effet par elle-même de faire disparaître rétroactivement ces dispositions législatives de l'ordonnancement juridique, ni, par suite, de rétablir dans cet ordonnancement les dispositions antérieures abrogées et remplacées par cette loi. Cette incompatibilité fait, en revanche, obstacle à ce que les autorités administratives compétentes adoptent, sur leur fondement, des décisions individuelles mettant fin aux conditions matérielles d'accueil dans des conditions contraires au droit de l'Union.

16. Elle implique, en outre, que les demandeurs d'asile ayant été privés du bénéfice des conditions matérielles d'accueil en vertu d'une décision, prise après le 1er janvier 2019, y mettant fin dans un cas mentionné à l'article L. 744-7 du code puissent demander le rétablissement de ce bénéfice. Il appartient alors à l'Office français de l'immigration et de l'intégration de statuer sur une telle demande de rétablissement en appréciant la situation particulière du demandeur à la date de la demande de rétablissement au regard notamment de sa vulnérabilité, de ses besoins en matière d'accueil ainsi que, le cas échéant, des raisons pour lesquelles il n'a pas respecté les obligations auxquelles il avait consenti au moment de l'acceptation initiale des conditions matérielles d'accueil.

17. Enfin, compte tenu des motifs d'incompatibilité des dispositions des articles L. 744-7 et L. 744-8 qui ne s'opposent pas à ce que l'autorité compétente puisse limiter ou supprimer le bénéfice des conditions matérielles d'accueil aux demandeurs d'asile qui quittent leur lieu d'hébergement ou la région d'orientation déterminée en application de l'article L. 744-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou qui ne respectent pas les exigences des autorités chargées de l'asile, il y a lieu de préciser les conditions dans lesquelles les autorités compétentes peuvent, dans l'attente de la modification des articles L. 744-7 et L. 744-8 par le législateur, tirer des conséquences de tels comportements sur le bénéfice des conditions matérielles d'accueil.

18. Ainsi, il reste possible à l'Office français de l'immigration et de l'intégration de refuser le bénéfice des conditions matérielles d'accueil, après examen de sa situation particulière et par une décision motivée, au demandeur qui a refusé le lieu d'hébergement proposé ou la région d'orientation. Il lui est également possible, dans les mêmes conditions et après avoir mis, sauf impossibilité, l'intéressé en mesure de présenter ses observations, de suspendre le bénéfice de ces conditions lorsque le demandeur a quitté le lieu d'hébergement proposé ou la région d'orientation ou n'a pas respecté les exigences des autorités chargées de l'asile, notamment de se rendre aux entretiens, de se présenter aux autorités et de fournir les informations utiles afin de faciliter l'instruction des demandes. Si le bénéfice des conditions matérielles d'accueil a été suspendu, le demandeur d'asile peut en demander le rétablissement à l'Office, qui devra apprécier la situation particulière du demandeur à la date de la demande de rétablissement au regard notamment de sa vulnérabilité, de ses besoins en matière d'accueil ainsi que, le cas échéant, des raisons pour lesquelles il n'a pas respecté les obligations auxquelles il avait consenti au moment de l'acceptation initiale des conditions matérielles d'accueil.

Sur les conclusions relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

19. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 250 euros à chacun des requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
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Article 1er : Sont annulés les 12° et 14° de l'article 1er du décret du 28 décembre 2018. Cette annulation comporte pour les autorités administratives les obligations énoncées par les motifs de la présente décision.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 250 euros à chacun des requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de La Cimade et autres, enregistrée sous le n° 428530, est rejeté.
Article 4 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête de La Cimade et autres enregistrée sous le n° 428564.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à La Cimade, premier dénommé, pour l'ensemble des requérants, à l'Office français de l'immigration et de l'intégration, au ministre de l'intérieur et au Premier ministre.



Voir aussi