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Ariane Web: Conseil d'État 423060, lecture du 4 décembre 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:423060.20191204

Décision n° 423060
4 décembre 2019
Conseil d'État

N° 423060
ECLI:FR:CECHR:2019:423060.20191204
Inédit au recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir, rapporteur
Mme Marie Sirinelli, rapporteur public
SCP THOUIN-PALAT, BOUCARD, avocats


Lecture du mercredi 4 décembre 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 423060, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 août et 9 novembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association " Le droit de guérir " demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 13 juin 2018 par laquelle le collège de la Haute Autorité de santé a adopté la recommandation de bonne pratique intitulée " Borréliose de Lyme et autres maladies vectorielles à tiques (MVT) " et les fiches associées, ainsi que cette recommandation et ces fiches ;

2°) de mettre à la charge de la Haute Autorité de santé la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


2° Sous le n° 423385, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 20 août et 20 novembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association " Enfance Lyme and co ", Mme F... B..., agissant tant en son nom personnel qu'au nom de ses enfants mineurs Lenaïc, Auxence et Léandre B..., Mme C... M..., agissant tant en son nom personnel qu'au nom de ses enfants mineurs Inès, Tessa et Jérémy M..., M. J... O..., Mme N... L... et Mme D... L... demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 13 juin 2018 par laquelle le collège de la Haute Autorité de santé a adopté la recommandation de bonne pratique intitulée " Borréliose de Lyme et autres maladies vectorielles à tiques (MVT) " et les fiches associées, ainsi que cette recommandation et ces fiches ;

2°) de mettre à la charge de la Haute Autorité de santé la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine, signée à Oviedo le 4 avril 1997 ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Chaduteau-Monplaisir, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Thouin-Palat, Boucard, avocat de l'association Le droit de guérir et à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de l'association Enfance, Lyme and co , de M. F... B..., de Mme H... B..., de M. I... B..., de M. K... B..., de Mme C... M..., de Mme A... M..., de Mme E... M..., de M. G... M..., de M. J... O..., de Mme N... L... et de Mme D... L... ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 25 novembre 2019, présentée pour l'association Le droit de guérir ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 161-37 du code de la sécurité sociale : " La Haute Autorité de santé, autorité publique indépendante à caractère scientifique, est chargée de : (...) / 2° Elaborer (...) les recommandations de bonne pratique, procéder à leur diffusion et contribuer à l'information des professionnels de santé et du public dans ces domaines (...) ". Par une décision du 13 juin 2018, prise sur le fondement de ces dispositions, le collège de la Haute Autorité de santé a adopté une recommandation de bonne pratique intitulée " Borréliose de Lyme et autres maladies vectorielles à tiques (MVT) " ainsi que six fiches associées. Par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre pour qu'il soit statué par une même décision, l'association " Le droit de guérir ", d'une part, et l'association " Enfance Lyme and co " et onze personnes physiques, d'autre part, demandent l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision et de la recommandation elle-même en critiquant, pour la première, son chapitre 4, intitulé " Symptomatologie/syndrome persistant(e) polymorphe après une possible piqûre de tique (SPPT) ", ainsi que la fiche intitulée " Symptomatologie/Syndrome persistant(e) polymorphe après une possible piqûre de tique (SPPT) " et, pour les seconds, les recommandations relatives aux tests de dépistage.

Sur la procédure d'élaboration de la recommandation :

2. En premier lieu, en vertu du I de l'article L. 1451-1 du code de la santé publique, les membres des groupes de travail de la Haute Autorité de santé " sont tenus, lors de leur prise de fonctions, d'établir une déclaration d'intérêts ", rendue publique, qui " mentionne les liens d'intérêts de toute nature, directs ou par personne interposée, que le déclarant a, ou qu'il a eus pendant les cinq années précédant sa prise de fonctions, avec des entreprises, des établissements ou des organismes dont les activités, les techniques et les produits entrent dans le champ de compétence de l'autorité sanitaire au sein de laquelle il exerce ses fonctions ou de l'organe consultatif dont il est membre ainsi qu'avec les sociétés ou organismes de conseil intervenant dans les mêmes secteurs ". Ces personnes " ne peuvent prendre part aux travaux, aux délibérations et aux votes des instances au sein desquelles elles siègent qu'une fois la déclaration souscrite ou actualisée " et " ne peuvent, sous les peines prévues à l'article 432-12 du code pénal, prendre part ni aux travaux, ni aux délibérations, ni aux votes de ces instances si elles ont un intérêt, direct ou indirect, à l'affaire examinée ". En vertu de l'article R. 161-85 du code de la sécurité sociale, ces mêmes personnes " ne peuvent, sous les peines prévues à l'article 432-12 du code pénal, traiter une question dans laquelle elles auraient un intérêt direct ou indirect ".

3. D'une part, si l'absence de publication de certaines déclarations d'intérêts ne révèle pas, par elle-même, une méconnaissance du principe d'impartialité, il appartient, en revanche, à la Haute Autorité de santé, sous la responsabilité de laquelle a été constitué le groupe de travail chargé de l'élaboration de la recommandation de bonne pratique en litige, pour celles des personnes dont la déclaration obligatoire d'intérêts échapperait ainsi au débat contradictoire, de verser au dossier l'ensemble des éléments permettant au juge de s'assurer, après transmission aux parties, de l'absence ou de l'existence de liens d'intérêts et d'apprécier, le cas échéant, si ces liens sont de nature à révéler des conflits d'intérêts. Les requérants ayant fait valoir que trois des déclarations requises n'avaient pas été rendues publiques, la Haute Autorité de santé a produit au cours de l'instruction les déclarations d'intérêts en question souscrites par les docteurs Sordet et Pommier et par le professeur Trouillas, respectivement établies le 11 mai, le 1er mars et le 5 mars 2017, avant le début de leur participation au groupe de travail chargé d'élaborer la recommandation litigieuse. Le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a ainsi été mis en mesure d'exercer son office.

4. D'autre part, les requérants mettent en cause la participation de neuf membres aux travaux de ce groupe. Il ressort des pièces du dossier, tout d'abord, que certains de ces membres ont ou ont eu des liens, notamment par la perception d'une rémunération au titre d'une activité accessoire de conseil, de participation à des études scientifiques ou à des réunions publiques diverses, avec trois laboratoires commercialisant des anticorps monoclonaux utilisés dans le traitement de certaines pathologies auto-immunes, dont l'un est en outre engagé dans la mise au point d'un vaccin contre la maladie de Lyme et l'autre commercialise un vaccin contre l'encéphalite à tiques, ou encore ont perçu de ces laboratoires des avantages, déclarés sur la base de données publique " Transparence - Santé " en application de l'article L. 1453-1 du code de la santé publique, sous la forme de prise en charge de frais d'inscription à des manifestations, d'hébergement, de transport ou de repas. Toutefois, s'agissant des liens avec des laboratoires au titre de la mise au point ou de la commercialisation de certains vaccins, la recommandation traite des bonnes pratiques de prévention, de diagnostic et de traitement de la borréliose de Lyme et des autres maladies vectorielles à tiques au regard des moyens disponibles au moment de son élaboration, sans prendre en considération les perspectives que pourrait ouvrir un vaccin qui n'est pas encore commercialisé, et la population résidant en France n'est pas affectée par l'encéphalite à tiques, dont le nombre de cas déclarés en France est de moins d'une dizaine par an. S'agissant des liens avec des laboratoires au titre de la commercialisation d'anticorps monoclonaux, les requérants ne sauraient sérieusement se prévaloir d'un risque que la recommandation puisse entretenir une confusion avec les pathologies traitées par ces spécialités. Dans ces conditions, les liens relevés ne sont pas de nature à donner aux membres en cause un intérêt direct ou indirect à l'élaboration de la recommandation en litige au sens des dispositions citées au point 2. Ensuite, si l'un des membres du groupe du travail a eu des liens avec un laboratoire qui commercialise un test diagnostique de la maladie de Lyme et détient les brevets de deux vaccins contre cette maladie, d'une part, ces liens remontaient à plus de cinq ans au moment de sa participation au groupe de travail et, d'autre part, la détention de ces brevets, avant toute mise sur le marché, ne pouvait être regardée, pour le motif déjà indiqué, comme de nature à lui donner un tel intérêt. Enfin, si les requérants font valoir que le président du groupe de travail exerçait les fonctions de président du conseil national professionnel de la fédération française d'infectiologie et de trésorier de la société de pathologie infectieuse de langue française, cette circonstance n'est pas de nature, par elle-même, à établir l'existence d'un lien d'intérêt. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'impartialité doit être écarté.

5. En deuxième lieu, le respect, par les médecins membres du groupe de travail, des dispositions de l'article R. 4127-13 du code de la santé publique, relatif aux devoirs d'un médecin participant à une action d'information du public de caractère éducatif et sanitaire, est sans incidence sur la recommandation attaquée. Par suite, l'association " Le droit de guérir " ne peut utilement en invoquer la méconnaissance.

6. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que, compte tenu des controverses existant sur la maladie de Lyme et de l'insuffisant niveau de preuve des données de la littérature sur certaines questions, le groupe de travail a été composé de façon à permettre une participation des différentes catégories de professionnels et des associations de patients concernées ainsi qu'une représentation des différents points de vue, exprimés non seulement par la société de pathologie infectieuse de langue française mais aussi par la fédération française contre les maladies vectorielles à tiques et l'association Lyme sans frontières, sans que la présidence du groupe par un membre de cette société savante permette de considérer que la composition du groupe aurait été manifestement déséquilibrée. En outre, si la société de pathologie infectieuse de langue française a demandé à la présidente de la Haute Autorité de santé, après la mise au point de la recommandation par le groupe de travail chargé de son élaboration, que la réflexion soit poursuivie en vue de la modification du texte, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette circonstance ait eu une influence sur la recommandation adoptée. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que, du fait de l'influence excessive de certains des membres du groupe de travail, la procédure d'élaboration de la recommandation en litige aurait été irrégulière.

7. En dernier lieu, il est loisible à la Haute Autorité de santé de choisir la procédure d'évaluation qui lui semble la plus pertinente lors de l'élaboration d'une recommandation de bonne pratique. A ce titre, elle a pu, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, opter pour la méthode des " recommandations pour la pratique clinique ", reposant en l'espèce, après une analyse critique de la littérature scientifique existante, sur l'intervention d'un groupe de travail, chargé de rédiger, à partir d'un argumentaire scientifique, des propositions de recommandations, sur le recueil de l'avis des différentes parties prenantes et d'un groupe de lecture, puis sur la rédaction de la version définitive de la recommandation par le groupe de travail.

Sur le contenu de la recommandation :

8. Les recommandations de bonne pratique élaborées par la Haute Autorité de santé sur la base des dispositions précitées de l'article L. 161-37 du code de la sécurité sociale ont pour objet de guider les professionnels de santé dans la définition et la mise en oeuvre des stratégies de soins à visée préventive, diagnostique ou thérapeutique les plus appropriées, sur la base des connaissances médicales avérées à la date de leur édiction.

9. Aux termes de son préambule, la recommandation attaquée a été élaborée, sous la responsabilité de la Haute Autorité de santé, dans le but, conformément à l'un des volets du plan national de lutte contre la maladie de Lyme et les autres maladies transmissibles par les tiques, publié en septembre 2016 par la direction générale de la santé, d'améliorer et d'harmoniser la prise en charge des patients. Ce préambule mentionne également, tout d'abord, que la plupart des préconisations formulées, qui ne font pas l'objet d'une gradation selon l'échelle des niveaux de preuve scientifique que la Haute Autorité de santé attribue habituellement à ses recommandations, reposent sur un accord d'experts au sein du groupe de travail, ensuite, que plusieurs des sujets traités par la recommandation ont fait l'objet de controverses au sein de ce groupe, détaillées dans l'argumentaire scientifique qui accompagne la recommandation, et, enfin, que, dans ces conditions, il est proposé une actualisation de cette recommandation au moins tous les deux ans, en fonction de l'avancée des connaissances scientifiques.

En ce qui concerne le chapitre 4 de la recommandation et la fiche intitulée " Symptomatologie/syndrome persistant(e) polymorphe après une possible piqûre de tique (SPPT) " :

10. Le chapitre 4 de la recommandation définit la " symptomatologie/syndrome persistant(e) polymorphe après une possible piqûre de tique " (SPPT) par la possibilité d'une piqûre de tique, avec ou sans érythème migrant, et par la " triade clinique associant, plusieurs fois par semaine, depuis plus de six mois, un syndrome polyalgique (...) à une fatigue persistante avec réduction des capacités physiques et à des plaintes cognitives (...) ". Dans de tels cas, la recommandation préconise un bilan étiologique infectieux, guidé selon " l'interrogatoire minutieux et l'examen clinique complet ", et un bilan des diagnostics différentiels non infectieux, pouvant être, selon le contexte clinique du patient, endocriniens, métaboliques, néoplasiques, dysimmunitaires, neuro-psychologiques ou psychiatriques et relatifs aux troubles du sommeil. S'agissant de la prise en charge, au vu de la complexité du SPPT et de l'état des connaissances scientifiques, la recommandation propose une nouvelle organisation des soins, reposant sur la création de centres spécialisés hospitaliers régionaux, destinée à permettre une prise en charge multidisciplinaire des patients et la poursuite de recherches sur cette maladie et les autres maladies vectorielles à tiques. Elle préconise, si le bilan des diagnostics différentiels est négatif, un traitement anti-infectieux reposant sur une antibiothérapie par doxycycline ou azithromycine, pendant généralement 28 jours, une antibiothérapie plus longue n'étant pas exclue mais devant en principe, lorsqu'auront été désignés les centres spécialisés, être documentée dans le cadre de protocoles de recherche définis au sein de l'un d'entre eux. Enfin, elle préconise la prise en charge de la souffrance psychique et de la douleur, ainsi qu'une prise en charge sociale des patients.

11. En premier lieu, d'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier que la qualification retenue par la recommandation de " symptomatologie " ou de " syndrome " persistant polymorphe, pour décrire la pathologie de patients présentant certains signes cliniques, plutôt que de " maladie de Lyme chronique " serait, au vu des connaissances scientifiques existantes, entachée d'inexactitude matérielle. D'autre part, la recommandation ne prend pas partie sur la possibilité d'une transmission de la maladie de la mère au foetus durant la grossesse, qu'elle n'évoque pas, et propose de développer la recherche sur les voies de transmission de la maladie. Par suite, l'association " Le droit de guérir " n'est pas fondée à soutenir que la recommandation serait entachée d'erreur de fait sur ces deux points.

12. En deuxième lieu, si l'association soutient que ces préconisations seraient obsolètes, voire dangereuses, dès lors que seul un traitement continu et prolongé par une association de trois antibiotiques permettrait d'éliminer, chez l'homme, la bactérie responsable de la " forme persistante " de la maladie de Lyme, aucune des pièces qu'elle produit n'établit cette allégation. Au demeurant, si elle fait valoir que dix-neuf des trente-cinq membres du groupe de travail n'ont pas endossé le texte du chapitre 4 de la recommandation, ce désaccord n'est, pour la plupart des membres concernés, pas lié aux réserves qu'elle émet quant à la durée de l'antibiothérapie souhaitable. Eu égard au caractère peu spécifique des symptômes considérés, susceptibles d'être associés à d'autres maladies, aux risques que présentent des antibiothérapies prolongées et à la nécessité d'améliorer les connaissances sur les symptômes considérés et sur leur traitement, c'est sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation ni méconnaître, en tout état de cause, le droit à la protection de la santé, découlant du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et rappelé par l'article L. 1110-1 du code de la santé publique, non plus que l'article L. 1110-5 de ce code, en vertu duquel les actes de prévention, d'investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, faire courir au patient de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté, que la recommandation prévoit qu'une antibiothérapie prolongée au-delà de 28 jours, comportant la prise d'un ou de plusieurs antibiotiques, devrait en principe s'inscrire, lorsqu'auront été désignés des centres spécialisés hospitaliers régionaux, dans le cadre d'un protocole de recherche défini au sein d'un tel centre.

13. En troisième lieu, ainsi qu'il a été au point 1, la recommandation litigieuse a été adoptée par la Haute Autorité de santé sur le fondement des dispositions de l'article L. 161-37 du code de la sécurité sociale, pour contribuer à mettre à disposition des professionnels de santé les données acquises de la science. Par suite, et alors qu'il n'est pas établi que la recommandation litigieuse ne correspondrait pas à l'état de ces données, l'association " Le droit de guérir " ne peut utilement invoquer la méconnaissance des dispositions de l'article R. 4127-8 du code de la santé publique, aux termes duquel : " Dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu'il estime les plus appropriées en la circonstance ".

14. En quatrième lieu, d'une part, contrairement à ce qui est soutenu, la recommandation n'affecte en rien le droit du malade, reconnu par l'article L. 1110-8 du code de la santé publique, de choisir librement son praticien. D'autre part, s'il résulte des stipulations de l'article 5 de la convention pour la protection des droits de l'homme et de la dignité de l'être humain à l'égard des applications de la biologie et de la médecine, signé à Oviedo le 4 avril 1997, comme de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique qu'aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne, et s'il découle de l'article L. 1110-5 du même code que toute personne a le droit de recevoir les traitements et les soins les plus appropriés à son état de santé, tels qu'appréciés par le médecin, en revanche, il ne résulte ni de ces textes, ni de l'article 9 de la convention européenne ni, en tout état de cause, de l'article 3 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, qu'existerait un droit du patient à choisir son traitement, dont l'association " Le droit de guérir " pourrait invoquer la méconnaissance.

15. En dernier lieu, l'association " Le droit de guérir " n'est pas fondée à soutenir que la recommandation litigieuse, qui a été adoptée pour faire le point des connaissances scientifiques sur la maladie de Lyme et les autres maladies vectorielles à tiques et améliorer la prise en charge thérapeutique des patients, serait entachée d'un détournement de procédure.

En ce qui concerne les préconisations relatives à la stratégie diagnostique :

16. La recommandation attaquée préconise, dans les hypothèses où une sérologie sanguine est recommandée, de recourir à un test de type " ELISA " dans un premier temps puis, en cas de résultat positif ou douteux, à un test " Western Blot ". Toutefois, elle propose une stratégie diagnostique fondée en grande partie sur un examen clinique, tenant compte de ce que les anticorps ne sont souvent pas détectables au premier stade de la maladie et, inversement, peuvent persister même après un traitement efficace, et précise que les patients confrontés à une symptomatologie/syndrome persistant polymorphe après une possible piqûre de tique " doivent pouvoir bénéficier d'un bilan étiologique et d'une prise en charge adaptée à leurs symptômes, quel que soit leur statut sérologique vis-à-vis de la borréliose de Lyme ". Si les requérants soutiennent, en produisant des témoignages de médecins, que la subordination de la réalisation du test " Western Blot " à un résultat positif du test " ELISA " ferait perdre une chance de détection de la maladie à certains patients atteints de la maladie de Lyme, d'une part, il ne ressort pas de la revue des études cliniques à laquelle le groupe de travail a procédé, de façon très complète, que le " Western Blot " aurait une sensibilité supérieure au test " ELISA " et permettrait ainsi de réduire le nombre de tests négatifs chez des personnes atteintes de la maladie et, d'autre part, il appartient aux praticiens de choisir le réactif le plus approprié, en fonction des antigènes utilisés parmi les différents tests " ELISA " disponibles, ainsi que le souligne l'argumentaire scientifique de la recommandation, qui indique que seuls les derniers tests les plus performants doivent être utilisés. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que la recommandation litigieuse serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation ni, en tout état de cause, qu'elle méconnaîtrait, pour le même motif, les articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

17. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation des actes qu'ils attaquent. Il n'est, dès lors, pas nécessaire d'examiner les fins de non-recevoir soulevées en défense par la Haute Autorité de santé.

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les sommes demandées par les requérants à ce titre soient mises à la charge de la Haute Autorité de santé, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Par ailleurs, il résulte de ces mêmes dispositions que si une personne publique qui n'a pas eu recours au ministère d'avocat peut néanmoins demander au juge l'application de cet article au titre des frais spécifiques exposés par elle à l'occasion de l'instance, elle ne saurait se borner à faire état d'un surcroît de travail de ses services. En l'espèce, la Haute Autorité de santé, qui ne se prévaut pas de frais particuliers, n'est pas fondée à demander qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge des requérants.


D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de l'association " Le droit de guérir " et de l'association " Enfance Lyme and Co " et des autres requérants sont rejetées.
Article 2 : Les conclusions de la Haute Autorité de santé présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association " Le droit de guérir ", à l'association " Enfance Lyme and co ", représentante unique, pour l'ensemble des auteurs de la requête n° 423385, et à la Haute Autorité de santé.
Copie en sera adressée à la ministre des solidarités et de la santé.