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Ariane Web: Conseil d'État 424178, lecture du 4 décembre 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:424178.20191204

Décision n° 424178
4 décembre 2019
Conseil d'État

N° 424178
ECLI:FR:CECHR:2019:424178.20191204
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Sylvain Humbert, rapporteur
Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public
SCP ROUSSEAU, TAPIE, avocats


Lecture du mercredi 4 décembre 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Rellumix a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2010 et 2011, résultant de la remise en cause du crédit d'impôt en faveur de la recherche au titre de ces deux années, et des intérêts de retard dont elles ont été assorties. Par un jugement n° 1509828 du 28 février 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 17PA01485 du 12 juillet 2018, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Rellumix contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 14 septembre et 17 décembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Rellumix demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Sylvain Humbert, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emilie Bokdam-Tognetti, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Rousseau, Tapie, avocat de la société Rellumix ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 20 novembre 2019, présentée par la société Rellumix ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2010 et 2011, l'administration fiscale a notamment remis en cause l'imputation sur les résultats de ces deux exercices du crédit d'impôt recherche dont la société Rellumix, qui exerce une activité de conception, de fabrication et de commercialisation d'équipements de filtration des fluides, se prévalait. La société Rellumix se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 12 juillet 2018 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son appel contre le jugement du 28 février 2017 du tribunal administratif de Paris rejetant sa demande tendant à la décharge des suppléments d'imposition sur les sociétés qui lui ont été réclamés en conséquence de ces rectifications.

Sur les conclusions dirigées contre l'arrêt en tant qu'il statue sur le crédit d'impôt recherche pour 2010 :

2. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation. / (...) ". Selon l'article R. 57-1 du même livre : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée. / (...) ". Il résulte de ces dispositions que l'administration doit indiquer au contribuable, dans la proposition de rectification, les motifs et le montant des rehaussements envisagés, leur fondement légal et la catégorie de revenus dans laquelle ils sont opérés, ainsi que les années d'imposition concernées. Hormis le cas où elle se réfère à un document qu'elle joint à la proposition de rectification ou à la réponse aux observations du contribuable, l'administration peut satisfaire cette obligation en se bornant à se référer aux motifs retenus dans une proposition de rectification, ou une réponse à ses observations, consécutive à un précédent contrôle et qui lui a été régulièrement notifiée, à la condition qu'elle identifie précisément la proposition ou la réponse en cause et que celle-ci soit elle-même suffisamment motivée.

3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Rellumix a déclaré pour 2010 un crédit d'impôt recherche de 60 505 euros, qu'elle a, d'une part, imputé pour un montant de 48 081 euros sur l'impôt sur les sociétés dû pour l'exercice clos en 2010 et dont elle a, d'autre part, demandé le 15 avril 2011, pour le reliquat, le remboursement. Par une décision du 9 février 2012, réitérée par une décision du 27 février 2012 qui joignait la précédente en annexe, l'administration fiscale a refusé le remboursement sollicité au motif que les travaux menés par la société n'étaient pas éligibles au crédit d'impôt recherche et a, en outre, informé la société de l'engagement d'une procédure visant au rappel de la part du crédit d'impôt recherche imputée sur l'impôt sur les sociétés dû au titre de 2010. A la suite de la vérification de comptabilité diligentée, l'administration fiscale a adressé à la société Rellumix une proposition de rectification datée du 9 décembre 2013 laquelle mentionnait le montant du crédit d'impôt recherche remis en cause ainsi que l'année de la rectification et renvoyait, pour les motifs, à la décision du 9 février 2012 susmentionnée, sans la joindre.

4. Il résulte de ce qui a été dit au point 2 ci-dessus qu'en jugeant que la proposition de rectification du 9 décembre 2013 était suffisamment motivée par la seule référence à la décision du 9 février 2012 qui n'était pas jointe, la cour a commis une erreur de droit. Par suite, son arrêt doit être annulé en tant qu'il se prononce sur les conclusions relatives au crédit d'impôt recherche pour 2010, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi s'y rapportant.

Sur les conclusions relatives au crédit d'impôt recherche pour 2011 :

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 45 B du livre des procédures fiscales : " La réalité de l'affectation à la recherche des dépenses prises en compte pour la détermination du crédit d'impôt défini à l'article 244 quater B du code général des impôts peut, sans préjudice des pouvoirs de contrôle de l'administration des impôts qui demeure seule compétente pour l'application des procédures de rectification, être vérifiée par les agents du ministère chargé de la recherche et de la technologie. (...) ".

6. En jugeant que l'administration des impôts peut contrôler les dépenses déclarées au titre du crédit d'impôt recherche sans être tenue de saisir les services du ministère chargé de la recherche et de la technologie, la cour, qui a nécessairement estimé sans incidence la circonstance qu'une demande de dossier pour saisine de ces services ait été adressée, a suffisamment motivé son arrêt sur ce point et n'a pas commis d'erreur de droit.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " (...) Lorsque l'administration rejette les observations du contribuable sa réponse doit également être motivée ".

8. En jugeant que la réponse du 7 avril 2014 aux observations adressées par la société requérante à la suite de la proposition de rectification du 9 décembre 2013 était suffisamment motivée, après avoir relevé que cette réponse réitérait les motifs rejetant l'éligibilité de ses projets au crédit d'impôt recherche pour 2011 et mentionnait en outre que le rapport de la société IFTS que la société Rellumix avait produit à l'appui de ses observations ne remettait pas en cause ces motifs, faute d'éléments nouveaux sur l'état de l'art et sur les incertitudes et verrous scientifiques et techniques, la cour administrative d'appel s'est livrée à une appréciation souveraine des faits de l'espèce exempte de dénaturation.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article 244 quater B du code général des impôts : " I. Les entreprises industrielles et commerciales (...) imposées d'après leur bénéfice réel (...) peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année. (...) ". Aux termes de l'article 49 septies F de l'annexe III au même code : " Pour l'application des dispositions de l'article 244 quater B du code général des impôts, sont considérées comme opérations de recherche scientifique ou technique : (...) c. Les activités ayant le caractère d'opérations de développement expérimental effectuées, au moyen de prototypes ou d'installations pilotes, dans le but de réunir toutes les informations nécessaires pour fournir les éléments techniques des décisions, en vue de la production de nouveaux matériaux, dispositifs, produits, procédés, systèmes, services ou en vue de leur amélioration substantielle. Par amélioration substantielle, on entend les modifications qui ne découlent pas d'une simple utilisation de l'état des techniques existantes et qui présentent un caractère de nouveauté ".

10. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le crédit d'impôt recherche déclaré pour 2011 correspondait à cinq projets relatifs au développement d'une station d'avitaillement autonome, d'une unité de potabilisation de l'eau, d'un filtre séparateur à 0,25 micromètre, d'un filtre automatique haut débit et forte pression, et au développement de composants pour l'aéronautique. D'une part, en jugeant, par une motivation suffisante, que les études et travaux engagés à l'occasion de ces projets ne pouvaient être regardés comme ayant été engagés en vue de la production, au moyen de prototypes ou d'installations pilotes, de nouveaux produits, procédés ou systèmes, la cour a porté sur les sur les faits qui lui étaient soumis une appréciation souveraine exempte de dénaturation. D'autre part, en jugeant que les perfectionnements apportés par la société à certains matériels, procédés ou systèmes constituaient des améliorations de techniques existantes dépourvues de caractère substantiel, la cour n'a pas commis d'erreur de qualification juridique. Par suite, en jugeant que les dépenses en cause n'étaient pas éligibles au crédit d'impôt recherche prévu à l'article 244 quater B du code général des impôts, la cour a exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.

11. Il résulte de ce qui précède que la société Rellumix n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il statue sur les conclusions relatives au crédit d'impôt recherche pour 2011.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à la société Rellumix au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 12 juillet 2018 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions relatives au crédit d'impôt recherche pour 2010.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la mesure de la cassation prononcée à l'article 1er, à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.
Article 4 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à la société Rellumix au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Rellumix et au ministre de l'action et des comptes publics.




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