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Ariane Web: Conseil d'État 430523, lecture du 13 décembre 2019, ECLI:FR:CECHS:2019:430523.20191213

Décision n° 430523
13 décembre 2019
Conseil d'État

N° 430523
ECLI:FR:CECHS:2019:430523.20191213
Inédit au recueil Lebon
8ème chambre
Mme Liza Bellulo, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
CABINET BRIARD, avocats


Lecture du vendredi 13 décembre 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société anonyme (SA) Faurecia a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'ordonner le remboursement de crédits d'impôts afférents aux exercices clos en 2011, 2012 et 2013. Par un jugement n° 1504343 du 6 octobre 2016, ce tribunal a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 16VE03453 du 5 mars 2019, la cour administrative d'appel de Versailles, après avoir donné acte à la société Faurecia d'un désistement partiel de ses conclusions, a rejeté l'appel formé par celle-ci contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 6 mai et 6 août 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Faurecia demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 2 de cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et le Maroc du 29 mai 1970 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et le Portugal du 14 janvier 1971 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et le Brésil le 10 septembre 1971 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et la Tunisie le 28 mai 1973 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et l'Iran le 7 novembre 1973 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et la Roumanie du 27 septembre 1974 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et la Thaïlande du 27 décembre 1974 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et la Pologne du 20 juin 1975 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et l'Argentine du 4 avril 1979 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et la Corée du Sud du 19 juin 1979 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et la Chine du 30 mai 1984 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et la Turquie du 18 février 1987 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et l'Italie le 5 octobre 1989 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et le Mexique du 7 novembre 1991 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et l'Inde du 29 septembre 1992 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et le Japon le 3 mars 1995 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et l'Espagne du 10 octobre 1995 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et la Slovénie le 7 avril 2004 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 2003-1311 du 30 décembre 2003 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Liza Bellulo, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, au Cabinet Briard, avocat de la société Faurecia ;


Considérant ce qui suit :

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes du 1 de l'article 223 O du code général des impôts : " La société mère est substituée aux sociétés du groupe pour l'imputation sur le montant de l'impôt sur les sociétés dont elle est redevable au titre de chaque exercice : / a. Des crédits d'impôt attachés aux produits reçus par une société du groupe et qui n'ont pas ouvert droit à l'application du régime des sociétés mères visé aux articles 145 et 216 (...) ". Il ne résulte ni de ces dispositions, ni d'aucune autre disposition ou d'aucun principe de droit interne que le crédit d'impôt attaché aux produits reçus par une société membre d'un groupe fiscal intégré n'ayant pu faire l'objet d'une imputation sur l'impôt dû sur l'ensemble du résultat du groupe, du fait du caractère déficitaire de ce dernier, doive être restitué par la France à la société mère de ce groupe.

3. La société Faurecia soutient les dispositions précitées du a du 1 de l'article 223 O du code général des impôts, telles qu'interprétées au point 2 ci-dessus selon une jurisprudence constante du Conseil d'Etat, méconnaissent, en tant qu'elles ne prévoient pas la possibilité d'obtenir la restitution des crédits d'impôts prévus par les conventions fiscales bilatérales conclues en vue d'éviter les doubles impositions qui n'ont pu être imputés sur le montant de l'impôt sur les sociétés du groupe, d'une part, le principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et, d'autre part, le droit de propriété protégé par les articles 2 et 17 de la même Déclaration.

4. En premier lieu, les dispositions contestées, qui prévoient l'imputation des crédits d'impôt attachés aux produits reçus par une société membre du groupe sur l'impôt sur les sociétés dont la société mère du groupe est seule redevable, traitent de la même manière toutes les sociétés mères, quels que soient leurs résultats. Au surplus, au regard de l'objet des dispositions du a du 1 de l'article 223 O, qui est, s'agissant des crédits d'impôt prévus par une convention fiscale bilatérale conclue en vue d'éviter les doubles impositions, de neutraliser par cette imputation la double imposition résultant de l'exercice conjoint par l'Etat de source et l'Etat de résidence de leur compétence fiscale respective, une société mère dont le résultat du groupe est bénéficiaire et qui subit de ce fait une imposition en France n'est pas dans la même situation qu'une société mère dont le résultat du groupe est déficitaire et qui ne subit par là même aucune imposition en France. Si la société requérante soutient également que les crédits d'impôt attachés aux produits reçus par une filiale bénéficiaire d'un groupe déficitaire suivent un sort différent selon que celle-ci a rejoint le périmètre d'intégration fiscale ou non, cette circonstance est, en tout état de cause, la conséquence de l'accord donné par cette société pour devenir membre du groupe fiscal intégré, dont elle a, par là-même, accepté tous les effets. Par suite, la circonstance que le a du 1 de l'article 223 O ne prévoie pas que les crédits d'impôt qui n'ont pu être imputés sur l'impôt sur les sociétés du groupe soient restituables n'est pas de nature à méconnaître le principe d'égalité devant la loi.

5. En second lieu, contrairement à ce que soutient la requérante, ni les retenues à la source prélevées à l'étranger sur les produits perçus par les sociétés membres d'un groupe fiscal intégré, ni les crédits d'impôt auxquels ces retenues peuvent donner droit et qui sont imputables, en vertu du a du 1 de l'article 223 O précité, sur l'impôt sur les sociétés dû par la société mère de ce groupe, ne constituent un acompte sur le paiement au Trésor de cet impôt. Ces crédits d'impôts n'étant restituables ni, ainsi qu'il a été dit au point 2, en vertu du droit interne, ni, au demeurant, en vertu des conventions fiscales bilatérales qui en constituent le fondement légal, ils ne sauraient, dès lors, être regardés comme un bien entrant dans les prévisions des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Le grief tiré de la méconnaissance du droit de propriété est, par suite, inopérant.

6. Par suite, la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.


Sur l'autre moyen du pourvoi :

7. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ".

8. Pour demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque, la société Faurecia soutient que la cour administrative d'appel de Versailles a méconnu la portée des stipulations des conventions fiscales conclues par la France avec l'Argentine, le Brésil, la Chine, la Corée du Sud, l'Espagne, l'Inde, l'Iran, l'Italie, le Japon, le Maroc, le Mexique, la Pologne, le Portugal, la Roumanie, la Slovénie, la Thaïlande, la Tunisie et la Turquie, qui traduisent l'engagement de la France de renoncer à percevoir les recettes fiscales qu'elle retirerait de l'imposition à l'impôt sur les sociétés des redevances et intérêts de source étrangère, en jugeant qu'elle n'était pas fondée à se prévaloir de ces stipulations pour obtenir le remboursement des crédits d'impôt correspondant aux retenues à la source supportées à l'étranger alors que le groupe d'intégration fiscale est déficitaire au motif qu'aucune des stipulations de ces conventions ne prévoit un tel remboursement.

9. Ce moyen n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi.



D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Faurecia.
Article 2 : Le pourvoi de la société Faurecia n'est pas admis.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société anonyme Faurecia.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et au ministre de l'action et des comptes publics.