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Ariane Web: Conseil d'État 419898, lecture du 18 décembre 2019, ECLI:FR:CECHR:2019:419898.20191218

Décision n° 419898
18 décembre 2019
Conseil d'État

N° 419898
ECLI:FR:Code Inconnu:2019:419898.20191218
Inédit au recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
Mme Airelle Niepce, rapporteur
M. Stéphane Hoynck, rapporteur public


Lecture du mercredi 18 décembre 2019
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 419898, par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 16 avril 2018 et 26 novembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 19 février 2018 du ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire et du ministre de l'agriculture et de l'alimentation fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup (Canis lupus) ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


2° Sous le n° 420016, par une requête et un mémoire en réplique enregistrés le 20 avril 2018 et le 23 juillet 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association One Voice demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le même arrêté du 19 février 2018 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

3° Sous le n° 420100, par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 23 avril 2018 et 26 novembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association France Nature Environnement, la Ligue pour la protection des oiseaux et l'association Humanité et biodiversité demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le même arrêté du 19 février 2018 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à chacune des associations requérantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Airelle Niepce, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes nos 419898, 420016 et 420100 formées respectivement par l'Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS), l'association One Voice et l'association France nature environnement (FNE) et autres, tendent à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 19 février 2018 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup (Canis lupus). Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. D'une part, l'article 12 de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage, dite directive " Habitats " prévoit que : " 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l'annexe IV point a), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant : a) toute forme de capture ou de mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature ; b) la perturbation intentionnelle de ces espèces, notamment durant la période de reproduction et de dépendance (...) ". Le loup est au nombre des espèces figurant au point a) de l'annexe IV de la directive. L'article 16 de la même directive énonce toutefois que : " 1. A condition qu'il n'existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, les Etats membres peuvent déroger aux dispositions des article 12, 13, 14 et de l'article 15 points a) et b) : (...) b) pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ".

3. D'autre part, aux termes du I de l'article L. 411-1 du code de l'environnement, pris pour la transposition de la directive " Habitats " : " Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation (...) d'espèces animales non domestiques (...) et de leurs habitats, sont interdits : 1° (...) la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces (...) ". Aux termes de l'article L. 411-2 du même code, pris pour la transposition de l'article 16 de la même directive : " Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : 1° La liste limitative des habitats naturels, des espèces animales non domestiques (...) ainsi protégés ; 2° La durée et les modalités de mise en oeuvre des interdictions prises en application du I de l'article L. 411-1 ; 3° La partie du territoire sur laquelle elles s'appliquent (...) ; 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : a) Dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; / b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage (...) et à d'autres formes de propriété ".

4. Enfin, pour l'application de ces dernières dispositions, l'article R. 411-1 du code de l'environnement prévoit que la liste des espèces animales non domestiques faisant l'objet des interdictions définies à l'article L. 411-1 est établie par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et du ministre chargé de l'agriculture. L'article R. 411-6 du même code précise que : " Les dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 sont accordées par le préfet, sauf dans les cas prévus aux articles R. 411-7 et R. 411-8. / (...) ". Son article R. 411-13 prévoit que les ministres chargés de la protection de la nature et de l'agriculture fixent par arrêté conjoint pris après avis du Conseil national de la protection de la nature " (...) / 2° Si nécessaire, pour certaines espèces dont l'aire de répartition excède le territoire d'un département, les conditions et limites dans lesquelles les dérogations sont accordées afin de garantir le respect des dispositions du 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement ".

5. Dans ce cadre, l'arrêté du 19 février 2018 attaqué a pour objet de fixer les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction de loups peuvent être accordées par les préfets en vue de la protection des troupeaux domestiques, chacune des dérogations accordées devant respecter les trois conditions posées à l'article L. 411-2 du code de l'environnement. Son article 2 prévoit que le nombre maximum de loups dont la destruction est autorisée, en application de l'ensemble des dérogations qui pourront être accordées par les préfets, est fixé chaque année selon des modalités prévues par arrêté ministériel. Ses articles 3 à 5 prescrivent diverses mesures pour assurer le respect de ce seuil, en particulier l'obligation pour les bénéficiaires de dérogations d'informer les préfets en cas de destruction ou de blessure d'un loup lors des opérations qu'ils mettent en oeuvre et, pour les préfets, d'informer les administrations et établissements publics concernés ainsi que les bénéficiaires de dérogations. L'arrêté encadre les conditions dans lesquelles il peut être recouru à des mesures, d'effet gradué, et pouvant être combinées, destinées à mettre les troupeaux à l'abri de la prédation du loup. Ainsi, peuvent être opérées, des opérations d'effarouchement aux fins d'éviter les tentatives de prédation du loup, des tirs de défense, éventuellement renforcés, destinés directement à défendre les troupeaux et des tirs de prélèvement, éventuellement renforcés, qui permettent la destruction en dehors d'une opération de protection immédiate d'un troupeau. Par ailleurs, dans certains " fronts de colonisation du loup ", définis par voie réglementaire, où il a été établi que les modes de conduite des troupeaux les rendent particulièrement vulnérables aux attaques de loup en l'absence de mesure de protection à la fois efficaces et compatibles avec ces modes de conduite, l'article 37 de l'arrêté permet, sous certaines conditions, de recourir aux tirs de défense et de prélèvement sans que les troupeaux bénéficient de mesure de protection.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

En ce qui concerne la légalité externe de l'arrêté attaqué :

6. Aux termes de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement applicable en l'espèce : " I. - Le présent article définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public, prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement, est applicable aux décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement lorsque celles-ci ne sont pas soumises, par les dispositions législatives qui leur sont applicables, à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration. (...) / II. - Sous réserve des dispositions de l'article L. 123-19-6, le projet d'une décision mentionnée au I, accompagné d'une note de présentation précisant notamment le contexte et les objectifs de ce projet, est mis à disposition du public par voie électronique (...). / Le projet de décision ne peut être définitivement adopté avant l'expiration d'un délai permettant la prise en considération des observations et propositions déposées par le public et la rédaction d'une synthèse de ces observations et propositions. Sauf en cas d'absence d'observations et propositions, ce délai ne peut être inférieur à quatre jours à compter de la date de la clôture de la consultation. / Dans le cas où la consultation d'un organisme consultatif comportant des représentants des catégories de personnes concernées par la décision en cause est obligatoire et lorsque celle-ci intervient après la consultation du public, la synthèse des observations et propositions du public lui est transmise préalablement à son avis. / Au plus tard à la date de la publication de la décision et pendant une durée minimale de trois mois, l'autorité administrative qui a pris la décision rend publics, par voie électronique, la synthèse des observations et propositions du public avec l'indication de celles dont il a été tenu compte, les observations et propositions déposées par voie électronique ainsi que, dans un document séparé, les motifs de la décision. / (...) ".

7. En premier lieu, le défaut de publication de la synthèse des observations du public ainsi que des motifs de l'arrêté attaqué est, en tout état de cause, sans incidence sur la légalité de celui-ci. Le moyen tiré d'une méconnaissance sur ces points de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement ne peut, dès lors, qu'être écarté.

8. En deuxième lieu, la circonstance que la majorité des observations formulées à l'occasion de la consultation du public organisée en application des dispositions de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement aient été défavorables au projet n'est pas de nature à rendre illégal l'arrêté attaqué.

9. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier, et il n'est d'ailleurs pas contesté, que la consultation du public sur l'arrêté attaqué est intervenue entre le 8 et le 29 janvier 2018 alors que le Conseil national de la protection de la nature, dont la consultation était obligatoire en application des dispositions de l'article R. 411-13 du code de l'environnement, a examiné le projet d'arrêté lors de sa séance du 12 janvier 2018. Par suite, cette consultation du conseil n'est pas intervenue après celle du public et ne pouvait donc donner lieu à la transmission de la synthèse des observations et propositions émises à cette occasion. Le moyen tiré d'une irrégularité sur ce point de la procédure d'élaboration de l'arrêté ne peut donc qu'être écarté.

10. En quatrième lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement que la personne publique concernée doit mettre à la disposition du public des éléments suffisants pour que la consultation puisse avoir lieu utilement. Elles n'imposent en revanche pas que cette consultation ne puisse intervenir qu'une fois rendus tous les avis des instances techniques et scientifiques dont la consultation est obligatoire en vertu des textes. Il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intervention de l'avis du Conseil national de la protection de la nature relatif à l'arrêté attaqué le 12 janvier 2018, pendant la période de consultation du public organisée entre le 8 et le 29 janvier 2018, aurait privé le public d'éléments lui permettant de se prononcer utilement. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure d'adoption de l'arrêté attaqué sur ce point ne peut qu'être écarté.

11. Enfin, ni les dispositions de l'article L. 110-1 du code de l'environnement, ni aucune autre disposition législative ou réglementaire ne prévoit la consultation obligatoire de l'Agence française pour la biodiversité préalablement à l'adoption de l'arrêté attaqué. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de sa procédure d'adoption sur ce point ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne de l'arrêté attaqué :

S'agissant des moyens tirés de la méconnaissance de la condition posée à l'article L. 411-2 du code de l'environnement relative à l'existence de dommages importants à l'élevage :

12. En premier lieu, l'article 11 de l'arrêté attaqué, qui figure au sein d'un chapitre relatif aux opérations de destruction par la mise en oeuvre de tirs pour défendre les troupeaux, définit la notion d'attaque comme " toute attaque donnant lieu à au moins une victime indemnisable au titre de la prédation du loup ". Si les associations requérantes soutiennent que cette définition est illégale, faute de prendre en compte le caractère protégé ou non-protégé du troupeau concerné, cette seule circonstance est, à elle seule, sans incidence sur la légalité de la disposition en cause. Au demeurant, la condition relative aux dommages importants causés à l'élevage, posée par l'article L. 411-2 du code de l'environnement ne fait pas obstacle à la prise en compte, pour décider le déclenchement de tirs de destruction, des dommages causés aux troupeaux non protégés.

13. En deuxième lieu, s'il est soutenu que l'arrêté attaqué est illégal faute de comporter des dispositions imposant que le constat des attaques soit réalisé par des agents chargés de cette mission par l'administration et faute, pour les dispositions du II de l'article 6 de cet arrêté, d'être suffisamment précises quant aux conditions et modalités permettant d'attribuer une attaque au loup, il résulte des dispositions de l'article 11 de l'arrêté que le constat d'une attaque est subordonné au caractère indemnisable du dommage, ce qui implique nécessairement la réalisation préalable d'une expertise technique permettant d'attribuer cette attaque au loup, ainsi d'ailleurs que le relève le II de la circulaire ministérielle du 27 juillet 2011 publiée au bulletin officiel du ministère chargé de l'environnement. Par suite, ces moyens doivent être écartés.

14. En troisième lieu, les dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement ne subordonnent pas les tirs de défense à l'existence d'une attaque préalable directe contre chacun des troupeaux susceptibles de faire l'objet de ces tirs. Si, aux termes de l'article 13 de l'arrêté attaqué : " Les tirs de défense simple peuvent intervenir dès lors que des mesures de protection ont été mises en oeuvre ou que le troupeau est reconnu comme ne pouvant être protégé ", ces dispositions, contrairement à ce qui est soutenu, n'ont pas pour objet et ne sauraient, au demeurant, avoir légalement pour effet d'écarter l'exigence que soit remplie la condition tenant au constat de l'existence de dommages importants aux élevages. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article 13 seraient illégales doit être écarté.

15. En quatrième lieu, les dispositions de l'article 16 de l'arrêté attaqué conditionnent le recours à des tirs de défense renforcée soit à l'existence de " dommages importants et récurrents d'une année à l'autre ", soit à l'existence de " dommages exceptionnels depuis le 1er mai de l'année précédente ", soit au fait que le troupeau ait subi " au moins trois attaques dans les douze mois précédant la demande de dérogation ", soit au fait qu'il soit situé " sur une commune sur laquelle au moins trois attaques ont été constatées au cours des douze mois précédant la demande de dérogation dans les troupeaux ayant mis en oeuvre les tirs de défense ". D'une part, ainsi qu'il a été dit au point précédent, les dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement ne subordonnent pas les tirs de défense à l'existence d'une attaque préalable directe contre chacun des troupeaux susceptibles de faire l'objet de ces tirs. D'autre part, les dispositions de l'article 16 de l'arrêté ne permettent le recours à des tirs de défense renforcée que dans l'hypothèse où le troupeau concerné a déjà subi des dommages caractérisés ou se trouve à proximité de troupeaux ayant subi de tel dommages sans que les tirs de défense simple aient montré leur efficacité. Par suite, ces dispositions ne méconnaissent pas les dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement.

16. En cinquième lieu, les dispositions de l'article 2 de l'arrêté attaqué prévoient que " le nombre maximum de spécimens de loups (...) dont la destruction est autorisée, en application de l'ensemble des dérogations qui pourront être accordées par les préfets, est fixé chaque année selon des modalités prévues par arrêté ministériel ". Par ailleurs, le II et III du même article et les articles 3 à 5 de l'arrêté comportent des dispositions destinées à éviter que ce plafond, d'une part, ne soit pas trop précocement atteint au cours d'une année civile, d'autre part, ne soit pas dépassé du fait de la mise en oeuvre concomitante des différentes dérogations accordées. A cet égard, les dispositions du II de l'article 3 prévoient la possibilité de suspendre les dérogations délivrées sur des territoires déterminés notamment en considération " du nombre de spécimens abattus ". Enfin, s'agissant des tirs de prélèvement, l'article 22 de l'arrêté attaqué prévoit que l'arrêté préfectoral organisant ces tirs précise, d'une part, la " zone où les opérations peuvent être conduites ", d'autre part, " le nombre de loups pouvant être détruits " dans ce cadre. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué serait illégal dès lors qu'il permettrait des tirs de défense et de prélèvement sans prendre en considération les effectifs de loups dans une zone donnée doit être écarté.

17. En sixième lieu, aux termes de l'article 25 de l'arrêté attaqué, des " tirs de prélèvements renforcés peuvent être autorisés dans les conditions prévues à l'article 23 auxquelles s'ajoute une situation de récurrence de dommages importantes d'une année à l'autre ". Par ailleurs, selon l'article 26, " les opérations de tirs de prélèvement renforcés peuvent être mises en oeuvre que les troupeaux demeurent exposés ou non au risque de prédation du loup ". S'il résulte de ces dispositions que les tirs de prélèvements renforcés qui, à la différence des tirs de défense, ne visent pas directement à défendre un troupeau identifié contre une attaque de loup, peuvent être mis en oeuvre même à un moment où les troupeaux ne sont plus exposés à une attaque, leur mise en oeuvre est, contrairement à ce que soutient l'association requérante, conditionnée à l'existence préalable de dommages importants. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article L. 411-2 du code de l'environnement sur ce point doit être écarté.

18. Enfin, si l'association One Voice fait valoir que la notion de " dommages importants ", employée aux articles 1er, 16, 23 et 25 de l'arrêté attaqué, serait trop imprécise, celle-ci implique que la prédation du loup constitue une perturbation d'ampleur portée aux activités pastorales. Au demeurant, les dispositions de l'arrêté ainsi mises en cause ne font que reprendre les termes de l'article 16 de la directive du 21 mai 1992 et de l'article L. 411-2 du code de l'environnement.

S'agissant des moyens tirés de la méconnaissance de la condition posée à l'article L. 411-2 du code de l'environnement relative à l'absence d'autre solution satisfaisante :

19. En premier lieu, eu égard à l'objet et à la portée des dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, qui prévoient la possibilité de déroger aux dispositions de l'article L. 411-1 afin de préserver les troupeaux eux-mêmes, et non uniquement la valeur patrimoniale qu'ils représentent, il ne peut être utilement soutenu qu'une indemnisation systématique des animaux victimes de prédation constituerait une solution alternative satisfaisante au sens de ces dispositions, de nature à faire obstacle aux tirs de destruction des loups.

20. En deuxième lieu, le III de l'article 6 de l'arrêté attaqué précise, à la différence des dispositions réglementaires applicables antérieurement, qu'un troupeau peut être reconnu comme ne pouvant être protégé " sur la base d'une analyse technico-économique réalisée au cas par cas par la DDT (M) et soumise pour avis au préfet coordonnateur du plan national d'actions sur le loup ". Par ailleurs, ce III précise la notion de troupeau bénéficiant de la mise en oeuvre de mesures de protection par référence à " l'installation effective et proportionnée de moyens de prévention de la prédation par le loup " en application de l'arrêté du 19 juin 2009 relatif à l'opération de protection de l'environnement dans les espaces ruraux portant sur la protection des troupeaux contre la prédation ou de mesures jugées équivalentes par les services techniques compétents. Ainsi, contrairement à ce qui est soutenu, ces dispositions définissent de façon suffisamment précise tant la notion de " troupeau reconnu comme ne pouvant être protégé " que celle de " troupeau protégé ".

21. En troisième lieu, l'arrêté attaqué précise les conditions dans lesquelles il peut être recouru à des actions d'effet gradué, consistant en des mesures de protection ou d'effarouchement, des tirs de défense puis des tirs de prélèvements des loups. Dans ce cadre, le recours à des tirs de destruction du loup ne peut être autorisé par le préfet que si les conditions posées à l'article L. 411-2 du code de l'environnement et donc notamment si les mesures d'effarouchement ou de protection susceptibles d'être mises en oeuvre, qui peuvent être différentes en fonction des circonstances locales, ne permettent pas de protéger efficacement les troupeaux. Par ailleurs, l'article 6 de l'arrêté impose aux préfets la mise en place d'un suivi des dommages dus au loup en fonction des caractéristiques locales dont il pourra être tenu compte en cours d'année pour suspendre voire révoquer les dérogations accordées si nécessaire, comme le permettent les dispositions des articles 3 et 4 de cet arrêté.

22. En quatrième lieu, en vertu de l'article 37 de l'arrêté attaqué, le recours à des tirs de défense et de prélèvement peut être autorisé " sans que les troupeaux bénéficient de mesures de protection " dans " des zones délimitées par voie réglementaire au sein des fronts de colonisation, dans lesquelles, du fait des modes de conduite des troupeaux d'animaux domestiques, la mise en oeuvre des mesures de protection des troupeaux contre la prédation du loup présente des difficultés importantes, constatées à la suite d'une ou plusieurs attaques de loup sur les troupeaux. Pour la détermination de ces zones, sont pris en compte l'importance des adaptations des modes de conduite et de protection des troupeaux, le coût économique en résultant pour les éleveurs et la collectivité publique ainsi que le niveau d'efficacité de ces adaptations pour maîtriser la prédation au regard des éléments suivants : / - les caractéristiques topographiques et écologiques des milieux exploités par les troupeaux ; / - le type d'élevage, son mode de conduite et la taille des troupeaux ; / - l'étendue des parcours et surfaces utilisés par les troupeaux ; / - le nombre de lots composant les troupeaux ; / - la durée et le niveau d'exposition des troupeaux à la prédation ". Il résulte de ces dispositions que la possibilité ainsi ouverte de recourir à des tirs de destruction de loups sans que les troupeaux bénéficient de mesures de protection, qui ne peut s'exercer que dans la limite du plafond annuel fixé par l'arrêté prévu à l'article 2 de l'arrêté attaqué, est limitée à des zones répondant à des critères cumulatifs et précis, identifiées par voie réglementaire, sous le contrôle du juge administratif. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de la condition relative à l'absence d'autre solution satisfaisante posée à l'article L. 411-2 du code de l'environnement doivent être écartés.

S'agissant des moyens tirés de la méconnaissance de la condition posée à l'article L. 411-2 du code de l'environnement relative au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations de l'espèce dans son aire de répartition naturelle :

23. D'une part, si les associations requérantes soutiennent que l'arrêté du 19 février 2018 fixant le nombre maximum de spécimens de loups dont la destruction pourra être autorisée chaque année serait illégal, cette circonstance est, en tout état de cause, dépourvue d'incidence sur la légalité de l'arrêté attaqué. D'autre part, contrairement à ce que soutient l'association One Voice, les dispositions des articles 3, 13, 14 et 15 de l'arrêté attaqué n'autorisent, en tout état de cause, pas le dépassement du plafond de prélèvements fixé par cet autre arrêté du 19 février 2018. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de la condition relative au maintien dans un état de conservation favorable des populations de loups dans leur aire de répartition naturelle ne peuvent qu'être écartés.

24. Il résulte de tout ce qui précède que les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement et de ce que les mesures prévues par l'arrêté attaqué ne seraient ni nécessaires, ni proportionnées à l'objectif de protection des troupeaux domestiques ne peuvent être accueillis.

S'agissant des autres moyens :

25. En premier lieu, s'agissant des tirs de défense, il résulte des articles 12 et suivants de l'arrêté attaqué que ceux-ci ne peuvent être réalisés qu'à proximité du troupeau concerné, par des personnes titulaires du permis de chasse autorisées, selon les modalités fixées par l'arrêté, dès lors que des mesures de protection ont été mises en oeuvre ou que le troupeau est reconnu comme ne pouvant être protégé. S'agissant des tirs de prélèvement, il résulte des articles 20 et suivants de l'arrêté qu'ils sont interdits dans les coeurs de parc et les réserves naturelles nationales constituées pour des motifs incluant la conservation de la faune sauvage et ne sont autorisés en vertu de l'article 21 de l'arrêté qu'entre le 1er septembre et le 31 décembre. En vertu de l'article 22, ces tirs sont par ailleurs subordonnés à un arrêté préfectoral précisant la zone où les opérations peuvent être conduites et le nombre de loups pouvant être détruits, les opérations étant réalisées selon les modalités techniques définies par l'Office national de la chasse et de la faune sauvage. Ce faisant, et compte tenu également de ce qui a été dit précédemment, l'arrêté attaqué précise les conditions de recours à des mesures d'effets gradués, qui ne peuvent être autorisées qu'au cas par cas par les préfets, dans des conditions encadrées et en fonction des circonstances locales, le suivi mis en place en cours d'année permettant en outre de suspendre ou révoquer les autorisations délivrées afin de garantir le respect des conditions posées à l'article L. 411-2 du code de l'environnement. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de conciliation défini à l'article 6 de la Charte de l'environnement ainsi que des dispositions de l'article L. 110-2 du code de l'environnement, ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

26. En deuxième lieu, dès lors que les dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, qui ont notamment pour objet de mettre en oeuvre les objectifs de protection de l'environnement reconnus par la Charte de l'environnement, prévoient expressément la possibilité de déroger, sous certains conditions, à l'interdiction de destruction de certaines espèces protégées, les moyens tirés de ce que l'arrêté attaqué méconnaîtrait le troisième considérant de la Charte de l'environnement aux termes duquel " l'environnement est le patrimoine commun des êtres humains ", les objectifs de développement durable et du droit des générations futures posés par le II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement ainsi que l'article 515-14 du code civil reconnaissant aux animaux la qualité d'" êtres vivants doués de sensibilité ", en ce qu'il conduit à autoriser la destruction d'animaux, ne peuvent, en tout état de cause, qu'être écartés.

27. En troisième lieu, si l'association One Voice soutient que l'arrêté attaqué méconnaîtrait une obligation de vigilance environnementale qui découlerait des articles 1er et 2 de la Charte de l'environnement ainsi que le principe de précaution tel que défini par le 2° du II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement, les risques invoqués pour la viabilité de l'espèce, qui sont des risques par hypothèse connus, s'agissant d'une règlementation ayant pour objet d'organiser les conditions de mise en oeuvre de dérogation au principe de protection des espèces protégées et de leurs habitats posé par la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 et les articles L. 411-1 et suivants du code de l'environnement pris pour sa transposition, ne sont pas au nombre de ceux, mentionnés au 1° de l'article L. 110-1 du code de l'environnement, présentant des incertitudes quant à leur réalité et à leur portée en l'état des connaissances scientifiques. Dès lors, le moyen soulevé ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

28. En quatrième lieu, d'une part, la seule circonstance que certaines études émettent des doutes quant à l'efficacité des tirs de destruction de loups pour protéger les troupeaux n'est pas de nature à caractériser une protection moindre de l'environnement au sens du II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement. D'autre part, si les dispositions de l'article 37 de l'arrêté attaqué conduisent à un assouplissement des conditions de recours aux tirs de défense et aux tirs de prélèvement dans certaines zones, les autorisations de tirs délivrées dans ce cadre demeurent .soumises au plafond annuel de destruction déterminé en application de l'article 2 de l'arrêté De plus, elles sont limitées à des zones préalablement déterminées par voie réglementaire, sous le contrôle du juge administratif, sur la base de critères stricts tenant notamment à la spécificité des troupeaux eux-mêmes, de leurs modes de conduite et de la géographie des sites de pâture, rendant particulièrement difficile la mise en oeuvre de mesure de protection. En outre, cet assouplissement s'inscrit dans un contexte d'expansion confirmé de la population tant d'un point de vue démographique que géographique. Par suite, contrairement à ce qui est soutenu, ces dispositions ne méconnaissant pas le principe de non-régression de la protection de l'environnement énoncé au II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement.

29. Enfin, si l'association One Voice invoque une méconnaissance des principes d'action préventive et de correction, de solidarité écologique, d'utilisation durable et de complémentarité, tels que définis respectivement aux 2°, 6°, 7° et 8° de l'article L. 110-1 du code de l'environnement, les moyens qu'elle soulève ne sont, en tout état de cause, pas assortis des précisions nécessaires pour permettre d'en apprécier le bien-fondé.

30. Il résulte de tout qui précède que les associations requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation de l'arrêté qu'elles attaquent.

Sur les conclusions relatives aux frais d'instance :

31. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans les présentes instances.



D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de l'Association pour la protection des animaux sauvages, de l'association One Voice et des associations France nature environnement et autres sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'Association pour la protection des animaux sauvages, à l'association One Voice, et à l'association France Nature Environnement, désignée représente unique pour la requête n° 420100, à la ministre de la transition écologique et solidaire et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.