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Ariane Web: Conseil d'État 439877, lecture du 3 avril 2020, ECLI:FR:CEORD:2020:439877.20200403

Décision n° 439877
3 avril 2020
Conseil d'État

N° 439877
ECLI:FR:CEORD:2020:439877.20200403
Inédit au recueil Lebon

SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER, avocats


Lecture du vendredi 3 avril 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 439877, par une requête, enregistrée le 31 mars 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union des jeunes avocats de Paris (UJA de Paris) demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de la circulaire du 26 mars 2020 de la garde des sceaux, ministre de la justice, de présentation des dispositions de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, en ce qu'elle concerne les prolongations de la durée de la détention provisoire prévues par l'article 16 de l'ordonnance ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Elle soutient que :
- sa requête est recevable dès lors que la circulaire contestée contient des dispositions réglementaires et impératives précisant les dispositions de l'article 16 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 ;
- elle a intérêt à agir contre cette circulaire ;
- la condition d'urgence est remplie, dès lors que, d'une part, l'urgence doit être présumée en présence d'une mesure d'allongement de plein droit des délais de détention provisoire au cours de l'instruction, compte tenu de ses effets sur la liberté d'aller et venir, sur la possibilité d'assurer sa défense de manière effective devant un juge et sur la présomption d'innocence et, d'autre part et en tout état de cause, toute personne actuellement en détention provisoire en raison d'un mandat de dépôt sera automatiquement maintenue en détention, par prolongation de la détention provisoire sans débat judiciaire, au risque que la prolongation soit illégale et que la personne soit maintenue en détention provisoire sans titre régulier ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la sûreté et au droit à un procès équitable, garantis par les articles 5 et 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que les dispositions litigieuses de la circulaire du 26 mars 2020, en ce qu'elles prévoient la prolongation de plein droit des détentions provisoires, sans débat judiciaire, est contraire à l'article 16 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 et au 2°, d), de l'article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020, qui autorisent la prolongation des détentions provisoires sous réserve de l'intervention d'un juge.



2° Sous le n° 439887, par une requête, enregistrée le 31 mars 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association des avocats pénalistes (ADAP) demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution des dispositions de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale, en ce qu'elles prolongent automatiquement les délais maximums de détention provisoire sans débat contradictoire ni décision juridictionnelle, et de la circulaire du 26 mars 2020 de la garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qu'elle concerne les prolongations de la durée de la détention provisoire ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre ainsi qu'à la garde des sceaux, ministre de la justice, de modifier l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 ainsi que la circulaire du 26 mars 2020 afin qu'il soit expressément garanti que les audiences initialement prévues pour examiner la prolongation des détentions provisoires, dont la durée légale arrive à échéance au cours de l'état d'urgence sanitaire, soient maintenues et qu'elles puissent se dérouler en recourant à la visioconférence ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Elle soutient que :
- elle a intérêt à agir contre les dispositions litigieuses de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 et contre la circulaire du 26 mars 2020 ;
- la condition d'urgence est remplie eu égard, d'une part, à la situation mondiale actuelle, liée à l'épidémie de covid-19, et, d'autre part, à l'application immédiate des dispositions litigieuses qui font obstacle à la tenue devant le juge des libertés et de la détention des débats contradictoires portant sur la prolongation des titres de détention ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la liberté et à la sûreté, à la possibilité d'assurer de manière effective sa défense devant le juge et au droit de tout détenu de voir sa situation traitée dans le respect des règles de compétence et de procédure fixées par le code de procédure pénale, dès lors que les dispositions litigieuses et leur mise en oeuvre, en ce qu'elles prolongent automatiquement les délais de détention provisoire sans débat contradictoire ni décision juridictionnelle, sont disproportionnées ;
- la suppression du contrôle juridictionnel ne saurait être compensée par la circonstance que des demandes de mise en libertés peuvent être formulées.

Par une intervention, enregistrée le 1er avril 2020, la Ligue des droits de l'homme et la section française de l'Observatoire international des prisons demandent que le juge des référés fasse droit aux conclusions de la requête. Ils soutiennent que leur intervention est recevable et reprennent les moyens de la requête.



3° Sous le n° 439890, par une requête, enregistrée le 1er avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conseil national des barreaux, l'association Conférence des bâtonniers de France et d'outre-mer et l'ordre des avocats au barreau de Paris demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) à titre principal, d'ordonner la suspension de l'application des dispositions des articles 15, 16 et 17 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020, en ce qu'elles prolongent de plein droit les effets des titres de détention provisoire délivrés avant le 26 mars 2020 et d'enjoindre au Gouvernement d'abroger ces dispositions ;

2°) à titre subsidiaire, d'ordonner la suspension de l'application des points 1.4.1 et 1.4.2 de la circulaire du 26 mars 2020 de présentation, en ce qu'elles concernent la prolongation de plein droit des effets des titres de détention provisoire délivrés avant le 26 mars 2020 et d'enjoindre à la garde des sceaux, ministre de la justice, d'abroger les points 1.4.1 et 1.4.2 de cette circulaire ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Ils soutiennent que :
- ils ont intérêt à agir contre ces dispositions ;
- la condition d'urgence est remplie, dès lors que, par application des dispositions litigieuses de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 et de la circulaire du 26 mars 2020, des personnes qui n'ont pas été condamnées font aujourd'hui l'objet de détentions arbitraires, leur incarcération n'étant fondée sur aucun titre délivré par le juge judiciaire ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la sûreté et à la liberté d'aller et venir ;
- les dispositions litigieuses de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 et de la circulaire du 26 mars 2020 méconnaissent le champ de l'habilitation législative, d'une part en ce qu'elles ordonnent la prolongation de plein droit des titres de détention provisoire délivrés antérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance, d'autre part en ce qu'elles prolongent, de manière indifférenciée, générale et absolue, les effets des titres de détention délivrés antérieurement à l'entrée en vigueur de l'ordonnance, pour une durée qui excède l'échéance aujourd'hui fixée par le Parlement pour l'état d'urgence sanitaire et, enfin, en ce qu'elles ordonnent la prolongation de plein droit des effets des titres de détention déjà délivrés, sans que cela soit justifié par l'objectif de limitation de la propagation de l'épidémie de covid-19 ;
- l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020, telle qu'interprétée par la circulaire du 26 mars 2020, dépossède le juge judiciaire des pouvoirs qui lui sont attribués par l'article 66 de la Constitution en maintenant des personnes en détention provisoire, de façon automatique, au-delà du terme que l'autorité judiciaire a expressément fixé dans le mandat de dépôt ou l'ordonnance de prolongation ;
- à titre subsidiaire, la circulaire de présentation du 26 mars 2020 est manifestement illégale en ce qu'elle enjoint de maintenir incarcérées des personnes dont le titre de détention a expiré et prescrit, par là même, leur détention provisoire, en méconnaissance des dispositions de l'article 16 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020.



4° Sous le 439898, par une requête, enregistrée le 1er avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Union des jeunes avocats de Paris (UJA de Paris) demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de l'article 16 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Elle soutient que :
- sa requête relève de la compétence du Conseil d'Etat en premier et dernier ressort ;
- elle a intérêt à agir contre l'ordonnance contestée ;
- la condition d'urgence est remplie, dès lors que, d'une part, l'urgence doit être présumée en présence d'une mesure d'allongement de plein droit des délais de détention provisoire au cours de l'instruction, sans débat judiciaire, compte tenu de ses effets sur la liberté d'aller et venir, la possibilité d'assurer sa défense de manière effective devant un juge et la présomption d'innocence et, d'autre part et en tout état de cause, toute personne actuellement en détention provisoire en raison d'un mandat de dépôt sera automatiquement maintenue en détention, par prolongation de la détention provisoire sans débat judiciaire, au risque que la prolongation soit illégale et que la personne soit maintenue en détention provisoire sans titre régulier ;
- s'il est interprété comme ayant, par lui-même, pour effet de prolonger les détentions provisoires sans débat judiciaire, l'article 16 de l'ordonnance n °2020-303 du 25 mars 2020 porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit à la sûreté et au droit à un procès équitable, garantis par les articles 5 et 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'aucun texte n'autorisait le pouvoir exécutif à prolonger de plein droit, par ordonnance, la détention provisoire de dizaines de milliers de détenus.



Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;
- le code de justice administrative ;





Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes de l'Union des jeunes avocats de Paris, de l'association des avocats pénalistes et du Conseil national des barreaux et autres soulèvent des questions communes. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule ordonnance.

2. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut rejeter une requête par une ordonnance motivée, sans instruction contradictoire ni audience publique, lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

Sur l'intervention :

3. La Ligue des droits de l'homme et la section française de l'Observatoire international des prisons justifient, eu égard à la nature et l'objet du litige, d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la requête présentée par l'association des avocats pénalistes. Leur intervention est, par suite, recevable.

Sur les circonstances :

4. L'émergence d'un nouveau coronavirus (covid-19), de caractère pathogène et particulièrement contagieux, et sa propagation sur le territoire français ont conduit le ministre des solidarités et de la santé à prendre, par plusieurs arrêtés à compter du 4 mars 2020, des mesures sur le fondement des dispositions de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique. En particulier, par un arrêté du 14 mars 2020, un grand nombre d'établissements recevant du public ont été fermés au public, les rassemblements de plus de 100 personnes ont été interdits et l'accueil des enfants dans les établissements les recevant et les établissements scolaires et universitaires a été suspendu. Puis, par un décret du 16 mars 2020 motivé par les circonstances exceptionnelles découlant de l'épidémie de covid-19, modifié par décret du 19 mars, le Premier ministre a interdit le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d'exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées, à compter du 17 mars à 12h, sans préjudice de mesures plus strictes susceptibles d'être ordonnées par le représentant de l'Etat dans le département. Le ministre des solidarités et de la santé a pris des mesures complémentaires par des arrêtés des 17, 19, 20, 21 mars 2020.

5. Par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a été déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois sur l'ensemble du territoire national. Par un nouveau décret du 23 mars 2020 pris sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique issu de la loi du 23 mars 2020, le Premier ministre a réitéré les mesures qu'il avait précédemment ordonnées tout en leur apportant des précisions ou restrictions complémentaires. Leurs effets ont été prolongés par décret du 27 mars 2020.

6. L'article 11 de la même loi du 23 mars 2020 a habilité le Gouvernement, pendant trois mois, à prendre par ordonnances, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, toute mesure relevant du domaine de la loi afin de faire face aux conséquences de la propagation de l'épidémie de covid-19, que ce soit en matière économique, financière et sociale, en matière administrative ou juridictionnelle, pour ce qui concerne le financement des établissements de santé, pour la garde des jeunes enfants des parents dont l'activité professionnelle est maintenue sur leur lieu de travail, pour assurer la continuité de l'accompagnement et la protection des personnes en situation de handicap et des personnes âgées, pour assurer la continuité des droits des assurés sociaux et leur accès aux soins et aux droits, pour assurer la continuité de l'indemnisation des victimes et pour assurer la continuité du fonctionnement des institutions locales et de l'exercice de leurs compétences.

Sur les demandes en référé :

7. En particulier, le Gouvernement a été autorisé, en vertu du d) du 2° du I de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020, " afin de faire face aux conséquences, notamment de nature administrative ou juridictionnelle, de la propagation de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation " à prendre " toute mesure, pouvant entrer en vigueur, si nécessaire, à compter du 12 mars 2020, relevant du domaine de la loi (...) d) adaptant, aux seules fins de limiter la propagation de l'épidémie de covid-19 parmi les personnes participant à ces procédures, (...) les règles relatives au déroulement et à la durée des détentions provisoires et des assignations à résidence sous surveillance électronique, pour permettre l'allongement des délais au cours de l'instruction et en matière d'audiencement, pour une durée proportionnée à celle de droit commun et ne pouvant excéder trois mois en matière délictuelle et six mois en appel ou en matière criminelle, et la prolongation de ces mesures au vu des seules réquisitions écrites du parquet et des observations écrites de la personne et de son avocat ".

8. Sur le fondement de cette habilitation, l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 a adapté les règles de la procédure pénale afin, comme l'indique son article 1er, " de permettre la continuité de l'activité des juridictions pénales essentielle au maintien de l'ordre public ", en édictant des règles dérogatoires applicables, ainsi que le détermine son article 2, " sur l'ensemble du territoire de la République jusqu'à l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré dans les conditions de l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 ".

9. S'agissant, ainsi que l'indique l'article 15 de l'ordonnance, des détentions provisoires en cours ou débutant entre la date de publication de l'ordonnance et la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré et, le cas échéant, prorogé sur le fondement des articles L. 3131-12 à L. 3131-14 du code de la santé publique, l'article 16 de l'ordonnance a décidé la prolongation de plein droit des délais maximums de détention provisoire ou d'assignation à résidence sous surveillance électronique, prévus par les dispositions du code de procédure pénale, qu'il s'agisse des détentions au cours de l'instruction ou des détentions pour l'audiencement devant les juridictions de jugement des affaires concernant des personnes renvoyées à l'issue de l'instruction. En matière correctionnelle, ces délais sont prolongés de plein droit de deux mois lorsque la peine d'emprisonnement encourue est inférieure ou égale à cinq ans et de trois mois dans les autres cas ; en matière criminelle et en matière correctionnelle pour l'audiencement des affaires devant la cour d'appel, la prolongation est de six mois. Ainsi que le précise l'article 16 de l'ordonnance, ces prolongations ne s'appliquent qu'une seule fois au cours de chaque procédure et s'entendent sans préjudice de la possibilité pour la juridiction compétente d'ordonner à tout moment, d'office, sur demande du ministère public ou sur demande de l'intéressé, la mainlevée de la mesure, le cas échéant avec assignation à résidence sous surveillance électronique ou sous contrôle judiciaire lorsqu'il est mis fin à une détention provisoire. Conformément au second alinéa de l'article 15 de l'ordonnance, les prolongations de détention provisoire qui découlent de ces dispositions continuent de s'appliquer après la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire déclaré et, le cas échéant, prorogé sur le fondement des articles L. 3131-12 à L. 3131-14 du code de la santé publique.

10. L'article 17 de l'ordonnance, pour sa part, allonge les délais prévus, pour le cas de la comparution immédiate, par le troisième alinéa de l'article 396 du code de procédure pénale, par les deux premiers alinéas de l'article 397-1 du même code, par les troisième et dernier alinéas de l'article 397-3, par le deuxième alinéa de l'article 397-4, et, pour le cas de la comparution à délai différé, par le troisième alinéa de l'article 397-1-1.

11. Par ailleurs, l'article 19 de l'ordonnance a prévu que, par dérogation aux dispositions des articles 145-1 et 145-2 du code de procédure pénale, " les décisions du juge des libertés et de la détention statuant sur la prolongation de la détention provisoire interviennent au vu des réquisitions écrites du procureur de la République et des observations écrites de la personne et de son avocat, lorsque le recours à l'utilisation du moyen de télécommunication audiovisuelle prévu par l'article 706-71 de ce code n'est matériellement pas possible. / S'il en fait la demande, l'avocat de la personne peut toutefois présenter des observations orales devant le juge des libertés et de la détention, le cas échéant par un moyen de télécommunication audiovisuelle. / Dans les cas prévus au présent article, le juge organise et conduit la procédure en veillant au respect des droits de la défense et en garantissant le caractère contradictoire des débats ".

12. Les requérants, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, demandent au juge des référés du Conseil d'Etat de suspendre l'exécution des dispositions des articles 15, 16 et 17 de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020, de suspendre l'exécution de la circulaire de la garde des sceaux, ministre de la justice, en date du 26 mars 2020 en ce qu'elle présente ces dispositions de l'ordonnance et d'enjoindre aux autorités compétentes de modifier ou d'abroger ces textes, en faisant essentiellement valoir que les dispositions contestées de l'ordonnance outrepassent l'habilitation qui a été donnée au Gouvernement et excèdent, par la généralité des prolongations de plein droit, sans intervention d'un juge, qu'elles décident, ce qui est nécessaire pour faire face aux conséquences de l'épidémie.

13. Toutefois, il résulte des dispositions du d) du 2° du I de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020 que le législateur a, sur le fondement de l'article 38 de la Constitution, spécialement habilité le Gouvernement agissant par voie d'ordonnance, d'une part, à allonger les délais des détentions provisoires, quels qu'ils soient, pour une durée proportionnée à celle de droit commun dans la limite de trois mois en matière délictuelle et de six mois en appel ou en matière criminelle, et, d'autre part, à permettre la prolongation de ces mesures au vu des seules réquisitions écrites du parquet et des observations écrites de la personne et de son avocat.

14. En allongeant de façon générale les délais maximums de détention provisoire fixés par la loi, pour les détentions provisoires en cours comme celles débutant entre la date de publication de l'ordonnance et la date de cessation de l'état d'urgence sanitaire, l'ordonnance contestée a mis en oeuvre l'habilitation donnée par la loi du 23 mars 2020, dans le respect des conditions qu'elle y a mises. Elle s'est bornée à allonger ces délais, sans apporter d'autre modification aux règles du code de procédure pénale qui régissent le placement et le maintien en détention provisoire. Elle a précisé que ces prolongations ne s'appliquent qu'une seule fois au cours de chaque procédure et a rappelé qu'elles s'entendent sans préjudice de la possibilité pour la juridiction compétente d'ordonner à tout moment, d'office, sur demande du ministère public ou sur demande de l'intéressé, la mainlevée de la mesure. En adoptant de telles mesures et en retenant des allongements de deux, trois ou six mois, dans les limites imparties par la loi d'habilitation, l'ordonnance contestée ne peut être regardée, eu égard à l'évolution de l'épidémie, à la situation sanitaire et aux conséquences des mesures prises pour lutter contre la propagation du covid-19 sur le fonctionnement des juridictions, sur l'action des auxiliaires de justice et sur l'activité des administrations, en particulier des services de police et de l'administration pénitentiaire, comme d'ailleurs sur l'ensemble de la société française, comme portant une atteinte manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées par les requérants.

15. Pour sa part, la circulaire contestée du 26 mars 2020 présente les dispositions adoptées par l'ordonnance du 25 mars 2020, en explicite la portée et expose les conséquences qui découlent nécessairement de la prolongation exceptionnelle des délais de détention provisoire telle que voulue par l'ordonnance dans le contexte très particulier des circonstances liées à l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour lutter contre la propagation de cette maladie. Eu égard à son contenu et à sa portée, elle ne peut être regardée comme portant une atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale.

16. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence, qu'il est manifeste que les demandes en référé ne sont pas fondées. Il y a lieu, dès lors, de rejeter les conclusions des requêtes par application de l'article L. 522-3 du code de justice administrative, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


O R D O N N E :
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Article 1er : L'intervention de la Ligue des droits de l'homme et de la section française de l'Observatoire international des prisons est admise.
Article 2 : Les requêtes de l'Union des jeunes avocats de Paris, de l'Association des avocats pénalistes et du Conseil national des barreaux et autres sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l'Union des jeunes avocats de Paris, à l'Association des avocats pénalistes, à la Ligue des droits de l'homme, premier intervenant dénommé, et au Conseil national des barreaux, premier requérant dénommé de la requête n° 439890.
Copie en sera adressée à la garde des sceaux, ministre de la justice et au Premier ministre.