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Ariane Web: Conseil d'État 440130, lecture du 29 avril 2020, ECLI:FR:CEORD:2020:440130.20200429

Décision n° 440130
29 avril 2020
Conseil d'État

N° 440130
ECLI:FR:CEORD:2020:440130.20200429
Inédit au recueil Lebon



Lecture du mercredi 29 avril 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 16 et 26 avril 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution du décret n° 2020-314 du 25 mars 2020, complétant le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, en ce qu'il est interdit aux médecins de ville de prescrire à des malades de l'hydroxychloroquine et du lopinavir associé au ritonavir ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement des entiers dépens au titre de l'article R. 761-1 du code de justice administrative.


Il soutient que :
- la condition d'urgence est remplie dès lors que l'exécution de la décision contestée a pour effet, d'une part, de priver les malades d'un traitement pouvant leur sauver la vie et, d'autre part, de le priver personnellement d'un traitement de nature à lui éviter un risque grave alors même qu'il ne saurait, en l'état des procédures, être admis à l'hôpital ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté ;
- le décret contesté est entaché d'un vice de forme dès lors qu'il n'est pas contresigné par le ministre de l'action et des comptes publics en méconnaissance des dispositions de l'article 22 de la Constitution ;
- il est entaché d'incompétence dès lors que la définition des droits et obligations des médecins relève de la compétence du législateur au titre de l'article 34 de la Constitution ;
- il porte une atteinte excessive à la liberté de prescription des médecins et aux droits des patients ;
- il méconnaît le principe d'égalité, en premier lieu, en distinguant les médecins de ville de ceux exerçant au sein d'un établissement de santé, en deuxième lieu, en distinguant les malades selon qu'ils consultent un praticien de ville ou un praticien en établissement de santé, en dernier lieu, en distinguant parmi les malades ayant consulté un médecin de ville ceux qui ont fait l'objet d'une prescription d'hydroxychloroquine et ceux qui n'en n'ont pas fait l'objet ;
- il méconnaît la liberté de choisir son médecin, rappelée à l'article L. 1110 du code de la santé publique, en ce qu'il subordonne le renouvellement du médicament à l'existence d'une prescription d'un prescripteur initial ;
- il méconnaît l'obligation positive de l'Etat de prendre des mesures concrètes pour protéger le droit à la vie, rappelé notamment par l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en ce qu'il ne permet pas aux médecins de ville de prescrire les traitements adéquates lors de la phase modérée du covid-19 ;
- il est entaché d'une contradiction entre son contenu et ses motifs ;
- il est entaché d'un détournement de pouvoir.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- le code de justice administrative ;



Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. L'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue. L'urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'affaire.

Sur les dispositions applicables :

3. D'une part, aux termes de l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique : " I.- Une spécialité pharmaceutique peut faire l'objet d'une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché en l'absence de spécialité de même principe actif, de même dosage et de même forme pharmaceutique disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation dans l'indication ou les conditions d'utilisation considérées, sous réserve qu'une recommandation temporaire d'utilisation établie par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé sécurise l'utilisation de cette spécialité dans cette indication ou ces conditions d'utilisation. Lorsqu'une telle recommandation temporaire d'utilisation a été établie, la spécialité peut faire l'objet d'une prescription dans l'indication ou les conditions d'utilisations correspondantes dès lors que le prescripteur juge qu'elle répond aux besoins du patient. La circonstance qu'il existe par ailleurs une spécialité ayant fait l'objet, dans cette même indication, d'une autorisation de mise sur le marché, dès lors qu'elle ne répondrait pas moins aux besoins du patient, ne fait pas obstacle à une telle prescription. / En l'absence de recommandation temporaire d'utilisation dans l'indication ou les conditions d'utilisation considérées, une spécialité pharmaceutique ne peut faire l'objet d'une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché qu'en l'absence d'alternative médicamenteuse appropriée disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation et sous réserve que le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l'état clinique de son patient. / (...) ".

4. D'autre part, aux termes de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, applicable, en vertu de l'article 4 de cette loi, pendant une durée de deux mois à compter de l'entrée en vigueur de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 : " Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : / (...) / 9° En tant que de besoin, prendre toute mesure permettant la mise à la disposition des patients de médicaments appropriés pour l'éradication de la catastrophe sanitaire (...). / Les mesures prescrites en application des 1° à 10° du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires. (...) ".

Sur les dispositions critiquées :

5. Par un décret du 25 mars 2020 pris sur le fondement du 9° de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, modifié par un décret du lendemain 26 mars, le Premier ministre a complété d'un article 12-2 le décret du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, pour prévoir notamment les conditions dans lesquelles l'hydroxychloroquine peut être prescrite, dispensée et administrée aux patients atteints de covid-19, en dehors des indications de l'autorisation de mise sur le marché du Plaquenil, spécialité pharmaceutique à base d'hydroxychloroquine. A ce titre, d'une part, par dérogation aux dispositions du code de la santé publique relatives aux autorisations de mise sur le marché, il autorise, sous la responsabilité d'un médecin, la prescription, la dispensation et l'administration de l'hydroxychloroquine aux patients atteints par le covid-19, dans les établissements de santé qui les prennent en charge, ainsi que, pour la poursuite de leur traitement si leur état le permet et sur autorisation du prescripteur initial, à domicile. Il précise que ces prescriptions interviennent, après décision collégiale, dans le respect des recommandations du Haut Conseil de la santé publique et, en particulier, de l'indication pour les patients atteints de pneumonie oxygéno-requérante ou d'une défaillance d'organe. D'autre part, il subordonne la dispensation par les pharmacies d'officine de la spécialité pharmaceutique Plaquenil, dans le respect des indications de son autorisation de mise sur le marché, ainsi que des préparations à base d'hydroxychloroquine, à une prescription initiale émanant de spécialistes en rhumatologie, médecine interne, dermatologie, néphrologie, neurologie ou pédiatrie, ou au renouvellement d'une prescription émanant de tout médecin.
6. M. A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'ordonner la suspension de l'exécution du décret n° 2020-314 du 25 mars 2020, complétant le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020, en ce qu'il interdit aux médecins de ville de prescrire à des malades de l'hydroxychloroquine ou un traitement associant le lopinavir au ritonavir.
7. Pour justifier de l'urgence à ordonner la suspension demandée, M. A... se borne à affirmer que l'exécution du décret attaqué prive les malades d'un traitement pouvant leur sauver la vie et que la délivrance immédiate de ce traitement est de nature à lui faire éviter un risque très grave.
8. Eu égard, en premier lieu, aux circonstances exceptionnelles au vu desquelles le décret contesté a été pris et qui ont conduit le législateur à déclarer l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois, en deuxième lieu, à l'intérêt public qui s'attache au respect des précautions prises et à la compétence du Premier ministre pour permettre la mise à disposition de médicaments appropriés et, en dernier lieu, à l'absence d'éléments de nature à établir l'existence d'une atteinte grave et immédiate à la situation du requérant, la condition d'urgence requise par l'article L. 521-1 du code de justice administrative ne saurait être regardée comme remplie.


9. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de M. A... ne peut être accueillie. Par suite, il y a lieu de la rejeter selon la procédure prévue par l'article L. 522-3 du code de justice administrative.


O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... A....