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Ariane Web: Conseil d'État 440387, lecture du 8 mai 2020, ECLI:FR:CEORD:2020:440387.20200508

Décision n° 440387
8 mai 2020
Conseil d'État

N° 440387
ECLI:FR:CEORD:2020:440387.20200508
Inédit au recueil Lebon



Lecture du vendredi 8 mai 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 4 mai 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 23 avril 2020 complétant l'arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d'organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire.



Il soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite dans la mesure où il ne dispose plus de masques lui permettant de garantir la sécurité de sa belle-fille, polyhandicapée et sans autonomie, qu'il prend en charge avec la mère de celle-ci depuis le début du confinement en qualité d'aidant bénévole ;
- la suspension de la vente par internet de spécialités contenant de la nicotine porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie, dès lors qu'elle incite les intéressés à se déplacer physiquement pour obtenir de la nicotine ou à consommer du tabac et qu'elle repose sur une confusion entre tabac et nicotine, laquelle n'entraîne aucune addiction.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'hommes et des libertés fondamentales ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;
- le code de justice administrative ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". En vertu de l'article L. 522-3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou qu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

Sur le cadre juridique et les dispositions critiquées :
2. L'émergence d'un nouveau coronavirus, le SARS-CoV-2, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19, de caractère pathogène et particulièrement contagieux, et sa propagation sur le territoire français ont conduit à la déclaration de l'état d'urgence sanitaire sur l'ensemble du territoire national pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020, par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19.

3. Aux termes de l'article L. 3131-16 du code de la santé publique, applicable pendant la durée de l'état d'urgence sanitaire : " Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le ministre chargé de la santé peut prescrire, par arrêté motivé, toute mesure réglementaire relative à l'organisation et au fonctionnement du dispositif de santé, à l'exception des mesures prévues à l'article L. 3131-15, visant à mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l'article L. 3131-12. / (...) / Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement nécessaires et proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires ".
4. Sur ce fondement, par un arrêté du 23 avril 2020, le ministre des solidarités et de la santé a complété l'arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d'organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, pour prévoir que : " Jusqu'au 11 mai 2020, la dispensation par les pharmacies d'officine de spécialités contenant de la nicotine et utilisées dans le traitement de la dépendance tabagique est limitée au nombre de boîtes nécessaire pour un traitement d'une durée de 1 mois. Le nombre de boîtes dispensées est inscrit au dossier pharmaceutique, que le patient ait ou non présenté une ordonnance médicale. / La vente par internet des spécialités mentionnées à l'alinéa précédent est suspendue ".

Sur la demande en référé :
5. M. A... doit être regardé comme demandant au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté du 23 avril 2020 en ce qu'il fait obstacle à la vente par internet de spécialités contenant de la nicotine. Il soutient que cet arrêté repose sur une confusion entre tabac et nicotine, alors que celle-ci n'entraîne aucune addiction, et qu'il porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie, dès lors qu'il incite les personnes concernées à se déplacer physiquement pour obtenir de la nicotine ou à consommer du tabac.

6. Ainsi qu'il ressort des pièces jointes par M. A... à sa demande, la presse a fait état, au cours de la semaine du 20 avril 2020, de ce que plusieurs publications avaient mentionné le faible taux de fumeurs parmi les patients atteints de covid-19 et que des chercheurs français émettaient l'hypothèse d'un rôle du récepteur nicotinique d'un neurotransmetteur, l'acétylcholine, dans la propagation du SARS-CoV-2 dans l'organisme. Le ministre des solidarités et de la santé a alors considéré, ainsi qu'il ressort des motifs de son arrêté du 23 avril 2020, publié au Journal officiel de la République française, " qu'il y a lieu d'encadrer la dispensation en officines et la vente par internet des substituts nicotiniques afin, d'une part, de prévenir les risques sanitaires liés à une consommation excessive ou un mésusage liés à la médiatisation d'une éventuelle action protectrice de la nicotine contre le covid-19 et, d'autre part, de garantir l'approvisionnement continu et adapté des personnes nécessitant un accompagnement médicamenteux dans le cadre d'un sevrage tabagique ".

7. En premier lieu, il résulte des motifs mêmes de l'arrêté critiqué que celui-ci ne repose pas, contrairement à ce que soutient M. A..., sur une confusion entre les propriétés du tabac et celles de la nicotine.

8. En second lieu, en limitant la dispensation, par les pharmacies d'officine, de spécialités contenant de la nicotine et utilisées dans le traitement de la dépendance tabagique au nombre de boîtes nécessaire pour un traitement d'une durée d'un mois et en suspendant la vente par internet de ces spécialités, de façon temporaire, le ministre des solidarités et de la santé a apporté une restriction limitée aux possibilités de se les procurer, appropriée au besoin de prévenir les risques de consommation excessive ou de mésusage des substituts nicotiniques et de garantir l'approvisionnement des personnes qui en ont besoin dans le cadre d'un sevrage tabagique. En outre, eu égard, d'une part, aux précautions prises par les officines de pharmacie lors de la dispensation de médicaments et, d'autre part, à la circonstance que l'achat de produits du tabac manufacturé par internet est interdit en vertu de l'article 568 ter du code général des impôts, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la mesure prise ferait courir des risques excessifs aux personnes concernées ou bien les inciterait à consommer du tabac.
9. Dans ces conditions, il apparaît manifeste, au vu de la requête, que M. A... n'est pas fondé à soutenir que la suspension temporaire de la vente par internet des spécialités contenant de la nicotine et utilisées dans le traitement de la dépendance tabagique porterait une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie.

10. Par suite, il y a lieu de rejeter la requête, selon la procédure prévue à l'article L. 522-3 du code de justice administrative.


O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... A... et au ministre des solidarités et de la santé.