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Ariane Web: Conseil d'État 437851, lecture du 11 juin 2020, ECLI:FR:CECHS:2020:437851.20200611

Décision n° 437851
11 juin 2020
Conseil d'État

N° 437851
ECLI:FR:CECHS:2020:437851.20200611
Inédit au recueil Lebon
7ème chambre
M. Yohann Bouquerel, rapporteur
M. Gilles Pellissier, rapporteur public


Lecture du jeudi 11 juin 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

1° Sous le numéro 437851, par un mémoire et quatre nouveaux mémoires, enregistrés les 21 janvier, 5 mars, 8 mars, 25 et 26 mai 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. H... B... demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 29 novembre 2019 relatif aux lignes directrices de gestion et à l'évolution des attributions des commissions administratives paritaires, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution :
- d'une part, des articles 4 (en tant qu'il porte sur les comités sociaux territoriaux), 25-I (en tant qu'il instaure une durée minimale et maximale d'occupation de certains emplois), 68, 75 et 78-I de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique et de l'article 1er de l'ordonnance du 13 avril 2017 portant diverses mesures relatives à la mobilité dans la fonction publique ;
- d'autre part, des articles 3 et 15 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, 3, 6 bis, 6 ter, 6 septies et 7 ter de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, 3-3 , 3-4, 3-5, 47, 110-1 et 136 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et 3, 4, 9 et 9-5 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière.


2° Sous le numéro 438129, par un mémoire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 31 janvier, 8 mars et 26 mai 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. D... F... demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2019-1265 du 29 novembre 2019 relatif aux lignes directrices de gestion et à l'évolution des attributions des commissions administratives paritaires, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des mêmes articles que ceux mentionnés dans la question prioritaire de constitutionnalité enregistrée sous le n° 437851.


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3° Sous le numéro 438195, par un mémoire et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 4 février, 8 mars et 24 mai 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. E... N... I... demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2019-1265 du 29 novembre 2019 relatif aux lignes directrices de gestion et à l'évolution des attributions des commissions administratives paritaires, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des mêmes articles que ceux mentionnés dans la question prioritaire de constitutionnalité enregistrée sous le n° 437851.


....................................................................................

4° Sous le numéro 438266, par un mémoire, un mémoire en réplique et un nouveau mémoire, enregistrés les 4 février, 31 mars et 26 mai 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. J... A... demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2019-1265 du 29 novembre 2019 relatif aux lignes directrices de gestion et à l'évolution des attributions des commissions administratives paritaires, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des mêmes articles que ceux mentionnés dans la question prioritaire de constitutionnalité enregistrée sous le n° 437851.


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Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la Constitution, notamment son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 ;
- l'ordonnance n° 2017-543 du 13 avril 2017 ;
- le décret n° 2019-1265 du 29 novembre 2019 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2019-790 DC du 1er août 2019 ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Yohann Bouquerel, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;


Considérant ce qui suit :

1. MM. B..., F..., I... et A... demandent la transmission au Conseil constitutionnel de la question de conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution, d'une part, des articles 4 (en tant qu'il porte sur les comités sociaux territoriaux), 25-I (en tant qu'il instaure une durée minimale et maximale d'occupation de certains emplois), 68, 75 et 78-I de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique et de l'article 1er de l'ordonnance du 13 avril 2017 portant diverses mesures relatives à la mobilité dans la fonction publique, d'autre part, de divers articles des lois constituant le statut général des fonctionnaires. Les demandes présentant à juger les mêmes questions, il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

En ce qui concerne les interventions de MM. C..., G... et K... :

3. MM. C..., G... et K... justifient d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la requête de M. B.... Leur intervention doit, par suite, être admise.

En ce qui concerne les dispositions de l'article 25-I de la loi de transformation de la fonction publique :

4. Le I de l'article 25 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique a réécrit l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat. Aux termes du III de l'article 60, dans sa rédaction issue de ces dispositions: " L'autorité compétente peut définir, dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat, des durées minimales et maximales d'occupation de certains emplois ".

5. Ces dispositions sont applicables au litige, qui tend à l'annulation de l'article 11 du décret du 29 novembre 2019 relatif aux lignes directrices de gestion et à l'évolution des attributions des commissions administratives paritaires qui énumère les critères pouvant être pris en compte pour définir une durée minimale ou maximale d'occupation de certains emplois des administrations et établissements de l'Etat. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

6. Les requérants soutiennent, en premier lieu, que les dispositions citées au point 3 seraient contraires aux principes à valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi et de continuité du service public en ce qu'elles ne précisent ni le périmètre des emplois dont la durée d'occupation est susceptible d'être limitée, ni la position de l'agent à l'issue de la période maximale d'occupation. Toutefois, le principe d'intelligibilité et de clarté de la loi est un objectif à valeur constitutionnelle qui ne peut être invoqué utilement à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité. Les dispositions contestées n'ont, par ailleurs, ni pour objet ni pour effet de porter atteinte au principe de continuité du service public.

7. Les requérants soutiennent, en deuxième lieu, que ces dispositions méconnaîtraient le principe d'égalité de traitement dans le déroulement de carrière, en ce que seuls certains fonctionnaires seraient soumis à des durées d'occupation d'emploi. Si les durées minimales ou maximales d'occupation ne s'appliqueront qu'à certains emplois de la fonction publique d'Etat, afin notamment de tenir compte de difficultés de recrutement et de garantir la continuité du service public, une telle distinction se justifie par les situations différentes de ces emplois et les fonctionnaires qui occupent ces emplois y seront soumis sans distinction. Dès lors, il ne saurait être sérieusement soutenu que la disposition contestée serait contraire au principe d'égalité.

8. En troisième lieu, il ne saurait non plus être sérieusement soutenu que ces dispositions méconnaitraient le droit d'obtenir un emploi, garanti par le cinquième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, en ce qu'elles ne précisent pas la position des fonctionnaires lorsqu'ils atteignent la durée maximale fixée pour un emploi, dès lors que l'article litigieux n'entraine pas, par lui-même, une privation d'emploi à l'issue de la période maximale d'occupation.

9. En quatrième lieu, le grief tiré de ce que les dispositions contestées porteraient atteinte à la liberté syndicale, protégée par le sixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

10. En cinquième lieu, il ne saurait être sérieusement soutenu que ces dispositions porteraient atteinte à l'indépendance des enseignants-chercheurs, garantie par un principe fondamental reconnu par les lois de la République, alors qu'elles ne font qu'ouvrir une faculté qu'il appartiendra à l'autorité administrative de mettre en oeuvre dans le respect des principes applicables à l'enseignement supérieur.

11. Enfin, s'il est soutenu que les dispositions en cause méconnaîtraient les dispositions de l'article 34 de la Constitution en ce qu'elles ne fixent pas les règles relatives à la garantie fondamentale des fonctionnaires qu'est le droit à l'emploi, les dispositions contestées n'ont, ainsi qu'il a été dit au point 8, ni pour objet ni pour effet de priver le fonctionnaire du droit d'être affecté à un emploi à l'issue de son affectation sur un emploi dont la durée d'occupation est limitée. Dès lors, le moyen tiré de ce que les durées minimales et maximales auraient dû être déterminées par la loi ne présente pas de caractère sérieux.

12. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée, en tant qu'elle porte sur le I de l'article 25 de la loi de transformation de la fonction publique, n'est pas nouvelle et ne présente pas de caractère sérieux.

En ce qui concerne les autres dispositions législatives contestées :

13. Les requérants contestent la constitutionnalité de l'article 4 de la loi de transformation de la fonction publique, en ce qu'il détermine les attributions des comités sociaux d'administration, de l'article 68 de la même loi, relatif à la position normale d'activité, de l'article 75 relatif aux dispositifs d'accompagnement des restructurations et de l'article 78 relatif à la suppression d'emplois dans la fonction publique territoriale. Toutefois, aucune de ces dispositions n'est applicable au présent litige, qui porte sur le décret du 29 novembre 2019 uniquement en tant qu'il fixe, à son article 11, des critères pour définir une durée minimale ou maximale d'occupation de certains emplois de l'Etat et de ses établissements publics.

14. Les requérants contestent également la constitutionnalité de l'article 1er de l'ordonnance du 13 avril 2017 portant diverses mesures relatives à la mobilité dans la fonction publique, qui a complété l'article 13 de la loi du 13 juillet 1983 par un alinéa ainsi rédigé : " Des corps et cadres d'emplois des fonctionnaires relevant de la même catégorie et d'au moins deux des trois fonctions publiques pourront être régis par des dispositions statutaires communes, fixées par décret en Conseil d'État. Ce même décret peut prévoir que les nominations ou les promotions dans un grade puissent être prononcées pour pourvoir un emploi vacant dans l'un des corps ou cadres d'emploi régi par des dispositions communes ". Toutefois, ces dispositions, qui ne sont au demeurant pas applicables au présent litige, n'ont pas été ratifiées. Les requérants ne peuvent par suite exciper de leur inconstitutionnalité dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité.

15. Si les requérants contestent également, dans leurs dernières écritures, la constitutionnalité des articles 3 et 15 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, 3, 6 bis, 6 ter, 6 septies et 7 ter de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, 3-3, 3-4, 3-5, 47, 110-1 et 136 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, 3,4, 9 et 9-5 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, leurs griefs ne sont pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

16. Il résulte de tout ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par les requérants.


D E C I D E :
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Article 1er : Les interventions de MM. C..., G... et K... au soutien du pourvoi n° 437851 sont admises.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par MM. B..., F..., A... et I....
Article 3 : La présente décision sera notifiée à MM. H... B..., D... F..., J... A..., E...-N... I..., M... C..., E... G... et L... K..., au Premier ministre et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel.