Conseil d'État
N° 440964
ECLI:FR:CEORD:2020:440964.20200622
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
Lecture du lundi 22 juin 2020
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 et 16 juin 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de la délibération n° 2020-49 du 31 mars 2020 de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique en ce qu'elle a émis un avis négatif sur son projet de conclure un contrat avec le Groupement des industriels français de l'énergie nucléaire (GIFEN) à l'effet de présider l'édition 2020 du salon " World Nuclear Exhibition " (WNE) ;
2°) de suspendre l'exécution de la décision du 16 avril 2020 du ministre de l'Europe et des affaires étrangères en tant qu'elle lui a, en conséquence, refusé l'autorisation de présider l'édition 2020 du salon WNE ;
3°) d'enjoindre à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique de réexaminer son projet dans un délai de cinq jours et d'enjoindre au ministre, dans un délai de cinq jours suivant cet avis, de réexaminer sa demande, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
4°) d'enjoindre à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique de s'abstenir de publier la délibération du 31 mars 2020 ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- sa requête relève de la compétence de premier ressort du Conseil d'Etat ;
- la délibération attaquée présente un caractère décisoire ;
- la condition d'urgence est remplie, dès lors que les décisions contestées lui causent un préjudice grave et immédiat, en portant irrémédiablement atteinte à la liberté d'entreprendre, eu égard au début de la préparation du salon le 23 juin 2020 et que la publication de la délibération de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique porte atteinte à sa réputation, à sa stratégie professionnelle et à sa vie privée ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées ;
- la décision de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique est dépourvue de base légale en ce qu'elle se fonde sur un risque de prise illégale d'intérêts par succession de fonctions, alors que le Groupement des industriels français de l'énergie nucléaire, syndicat professionnel, ne constitue pas une entreprise privée au sens de l'article de l'article 423-13 du code pénal et qu'il n'a pas été établi qu'il constituerait une entreprise qu'il aurait contrôlée ou surveillée dans le cadre de ses fonctions publiques ou une entreprise disposant d'au moins 30 % de capital commun avec une entreprise qu'il aurait contrôlée ou surveillée ;
- elle est dépourvue de fondement eu égard à l'absence manifeste de risque déontologique, en l'absence de risque pénal et déontologique, compte tenu de la nature du groupement, de la nature de son projet et de l'absence d'intervention du ministère de l'Europe et des affaires étrangères lors du salon WNE et que le risque, à le supposer existant, aurait pu, en tout état de cause, être surmonté par des réserves consistant notamment à lui enjoindre d'éviter tout contact avec les représentants du ministre de l'Europe et des affaires étrangères ;
- le Groupement des industriels français de l'énergie nucléaire, qui justifie d'une vie propre et d'une indépendance décisionnelle et financière à l'égard d'EDF et d'Orano, ne peut être regardée comme une personne transparente et que l'invocation de cette prétendue transparence ne peut être substituée aux motifs retenus par la délibération attaquée ;
- subsidiairement, la délibération est irrégulière faute d'avoir été précédée d'une procédure contradictoire ;
- la délibération est insuffisamment motivée ;
- la décision du ministre de l'Europe et des affaires étrangères est entachée des mêmes illégalités, dès lors qu'elle a été édictée dans le cadre d'une situation de compétence liée par rapport à la délibération de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 juin 2020, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères s'en remet à la sagesse du Conseil d'Etat, en faisant valoir qu'il était tenu de rejeter la demande dont il était saisi après l'avis rendu par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 12 et 17 juin 2020, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique conclut au rejet de la requête. Elle soutient que les conclusions dirigées contre son avis sont irrecevables, que le Conseil d'Etat n'est pas compétent pour connaître du litige en premier ressort, que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'aucun des moyens n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'avis contesté.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code pénal ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 ;
- la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 ;
- l'ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014 ;
- le décret n° 2007-611 du 26 avril 2007 ;
- le décret n° 2007-658 du 2 mai 2007 ;
- le décret n° 2020-69 du 30 janvier 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. B... et, d'autre part, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères et la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 18 juin 2020, à 15 heures :
- M. B... ;
- les représentants de M. B... ;
- les représentants de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ;
- la représentante du ministre de l'Europe et des affaires étrangères ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (...) ".
2. L'article 25 octies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction résultant de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, dispose que : " I. - La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique apprécie le respect des principes déontologiques inhérents à l'exercice d'une fonction publique. / II. - A ce titre, la Haute Autorité est chargée : (...) 4° D'émettre un avis sur le projet de cessation temporaire ou définitive des fonctions d'un fonctionnaire qui souhaite exercer une activité privée lucrative dans les conditions prévues aux III et IV du présent article ; / (...) III. - Le fonctionnaire cessant définitivement ou temporairement ses fonctions saisit à titre préalable l'autorité hiérarchique dont il relève afin d'apprécier la compatibilité de toute activité lucrative, salariée ou non, dans une entreprise privée ou un organisme de droit privé ou de toute activité libérale avec les fonctions exercées au cours des trois années précédant le début de cette activité. / Pour l'application du premier alinéa du présent III, est assimilé à une entreprise privée tout organisme ou toute entreprise exerçant son activité dans un secteur concurrentiel conformément aux règles du droit privé. (...) / IV. - Lorsque la demande prévue au premier alinéa du III émane d'un fonctionnaire ou d'un agent contractuel occupant un emploi dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient, mentionné sur une liste établie par décret en Conseil d'Etat, l'autorité hiérarchique soumet cette demande à l'avis préalable de la Haute Autorité. A défaut, le fonctionnaire peut également saisir la Haute Autorité. / (...) VI. - Dans l'exercice de ses attributions mentionnées aux 3° à 5° du II, la Haute Autorité examine si l'activité qu'exerce le fonctionnaire risque de compromettre ou de mettre en cause le fonctionnement normal, l'indépendance ou la neutralité du service, de méconnaître tout principe déontologique mentionné à l'article 25 de la présente loi ou de placer l'intéressé en situation de commettre les infractions prévues aux articles 432-12 ou 432-13 du code pénal (...) IX. - Lorsqu'elle est saisie en application des 3° à 5° du II du présent article, la Haute Autorité rend un avis :/ 1° De compatibilité ; / 2° De compatibilité avec réserves, celles-ci étant prononcées pour une durée de trois ans ; / 3° D'incompatibilité. / (...) Lorsqu'elle se prononce en application des 3° et 4° du II, la Haute Autorité rend un avis dans un délai de deux mois à compter de sa saisine. L'absence d'avis dans ce délai vaut avis de compatibilité. / X. - Les avis rendus au titre des 2° et 3° du IX lient l'administration et s'imposent à l'agent. Ils sont notifiés à l'administration, à l'agent et à l'entreprise ou à l'organisme de droit privé d'accueil de l'agent. / Lorsqu'elle est saisie en application des 3° à 5° du II, la Haute Autorité peut rendre publics les avis rendus, après avoir recueilli les observations de l'agent concerné. / Les avis de la Haute Autorité sont publiés dans le respect des garanties prévues aux articles L. 311-5 et L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration. (...) ". L'article 2 du décret du 30 janvier 2020 relatif aux contrôles déontologiques dans la fonction publique a notamment fait figurer au nombre des emplois visés par le IV de l'article 25 octies de la loi du 13 juillet 1983 ceux qui sont soumis à l'obligation de transmission d'une déclaration de situation patrimoniale et d'une déclaration d'intérêts au titre du 7° du I de l'article 11 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, c'est-à-dire ceux, pourvus en conseil des ministres, qui sont à la décision du Gouvernement.
3. En application de ces dispositions, M. B..., qui a exercé jusqu'au mois de juillet 2019 les fonctions de secrétaire général du ministère de l'Europe et des affaires étrangères auxquelles il avait été nommé par un décret délibéré en conseil des ministres du 22 juin 2017, a saisi le ministre de l'Europe et des affaires étrangères d'une demande relative à l'exercice d'activités privées, d'une part, la présidence de la société unipersonnelle MGM-GO (Global Outlook) qu'il entendait créer ayant pour objet une activité de conseil, d'autre part, la présidence du salon " World Nuclear Exhibition " (WNE), organisé par le Groupement des industries françaises de l'énergie nucléaire (GIFEN) et devant se tenir en 2020 à Paris. Conformément à ce que prévoit le IV de l'article 25 octies de la loi du 13 juillet 1983 modifiée, le ministre a soumis cette demande à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Par une délibération du 31 mars 2020, la Haute Autorité a émis un avis de compatibilité sous réserves s'agissant de la présidence de la société MGM-GO, mais a estimé que l'activité tenant à la présidence du salon WNE, rémunérée par le GIFEN, n'était pas compatible avec les fonctions antérieurement exercées de secrétaire général du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Par une décision du 16 avril 2020, le ministre a tiré les conséquences qui s'attachent nécessairement à cet avis en vertu du X de l'article 25 octies de la loi du 13 juillet 1983. M. B... a saisi le juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une demande tendant principalement à la suspension de l'exécution de la délibération de la Haute Autorité du 31 mars 2020 et de la décision du ministre en date du 16 avril 2020, en tant qu'elles portent sur la présidence du salon WNE.
Sur la compétence du juge des référés :
4. En vertu du 3° de l'article R. 311-1 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat n'est compétent pour connaître en premier et dernier ressort des litiges relatifs à la situation individuelle des agents publics nommés par décret du Président de la République en vertu des dispositions de l'article 13 (3ème alinéa) de la Constitution et des articles 1er et 2 de l'ordonnance n° 58-1136 du 28 novembre 1958 que dans la mesure où ils concernent le recrutement ou la discipline de ces agents. Le Conseil d'Etat est, en revanche, compétent, en vertu du 4° du même article, pour connaître en premier et dernier ressort des recours dirigés contre les décisions prises, au titre de sa mission de contrôle, par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
5. Si, selon les dispositions précédemment citées de l'article 25 octies de la loi du 13 juillet 1983 modifiée, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique est appelée non à prendre une décision mais à émettre un avis sur la compatibilité d'une activité privée lucrative avec les fonctions préalablement exercées par un fonctionnaire avant que l'autorité hiérarchique ne statue sur la demande que lui a présentée le fonctionnaire, l'avis qu'elle émet, s'il conclut à l'incompatibilité de l'activité privée avec les fonctions précédemment exercées ou s'il n'admet leur compatibilité que sous réserve, a pour effet de lier l'administration. Dans ces conditions, et alors que le Conseil d'Etat, statuant au contentieux n'a pas à ce jour statué sur l'étendue de sa compétence de premier ressort en la matière, le présent litige ne peut être regardé, au regard du 4° de l'article R. 311-1 et eu égard au lien de connexité qui existe entre la délibération de la Haute Autorité et la décision prise par le ministre, comme étant manifestement insusceptible de ressortir à la compétence directe du juge des référés du Conseil d'Etat.
Sur la demande en référé :
6. Les dispositions précédemment citées de l'article 25 octies de la loi du 13 juillet 1983 modifiée chargent la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique d'apprécier le respect des principes déontologiques inhérents à l'exercice d'une fonction publique, par la voie notamment des avis qu'elle est appelée à émettre sur la compatibilité, avec les fonctions exercées au cours des trois années précédentes, de l'exercice d'activités privées lucratives par les fonctionnaires qui cessent définitivement leurs fonctions. Il appartient, dans ce cadre, à la Haute Autorité d'examiner si l'activité qu'entend exercer le fonctionnaire risque de compromettre ou de mettre en cause le fonctionnement normal, l'indépendance ou la neutralité du service, de méconnaître tout principe déontologique mentionné à l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 ou de placer l'intéressé en situation de commettre les infractions prévues aux articles 432-12 ou 432-13 du code pénal. A ce dernier égard, la loi n'appelle pas la Haute Autorité à statuer sur le point de savoir si les éléments constitutifs des infractions réprimées par ces dispositions pénales seraient effectivement réunis, mais à apprécier le risque qu'ils puissent l'être et à se prononcer de telle sorte qu'il soit évité à l'intéressé comme à l'administration d'être mis en cause.
7. Les dispositions de l'article 432-13 du code pénal interdisent à toute personne ayant été chargée, en tant que fonctionnaire, dans le cadre des fonctions qu'elle a effectivement exercées, d'assurer la surveillance ou le contrôle d'une entreprise privée, de prendre ou de recevoir une participation par travail, conseil ou capitaux dans cette entreprise avant l'expiration d'un délai de trois ans suivant la cessation de ces fonctions.
8. Il ressort des pièces versées au dossier et des éléments indiqués lors de l'audience de référé que M. B..., alors qu'il était secrétaire général du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, a été nommé, sur proposition de l'Etat, administrateur de la société Electricité de France (EDF) le 20 septembre 2017 et administrateur de la société New Areva Holding, devenue ultérieurement Orano, le 31 octobre 2017. Il a démissionné de ces fonctions d'administrateur le 28 juin 2019, s'agissant d'EDF, et le 1er juillet 2019, s'agissant d'Orano. Le Groupement des industries françaises de l'énergie nucléaire (GIFEN) est un syndicat professionnel, créé en 2018 par une trentaine d'entreprises et associations exerçant des activités dans le domaine de l'énergie nucléaire à des fins civiles impliquées dans l'animation de la filière nucléaire française, dont EDF et Orano. Il a pour objet la représentation collective des industriels de la filière française de l'énergie nucléaire à des fins civiles et la défense des intérêts moraux, économiques, humains, et industriels des entreprises de cette filière. Il est administré par un conseil composé de dix-huit membres, dont trois sont désignés par EDF et deux par Orano, et par un bureau composé de dix membres, dont deux sont désignés par EDF et un par Orano. Le GIFEN organise, tous les deux ans, un salon dit WNE réunissant un grand nombre d'acteurs privés de la filière nucléaire venant de plus d'une soixantaine de pays. Pour l'année 2020, le salon, initialement prévu entre les 23 au 25 juin, devrait se tenir à Villepinte du 8 au 10 décembre.
9. Pour estimer que l'activité rémunérée consistant en la prise en charge de la présidence du salon WNE organisé par le GIFEN était incompatible avec les fonctions de secrétaire général du ministère de l'Europe et des affaires étrangères exercées par M. B... jusqu'en juillet 2019, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique s'est fondée sur les circonstances que M. B..., au titre de ses fonctions au ministère, avait représenté les intérêts de l'Etat au sein du conseil d'administration d'EDF et de celui d'Orano, que ces deux sociétés sont membres fondateurs du GIFEN et jouent un rôle majeur dans la filière nucléaire française et que le salon WNE, organisé par le GIFEN, a pour objet de promouvoir les intérêts d'EDF et d'Orano comme ceux des autres entreprises de la filière. Retenant que l'infraction réprimée par l'article 432-13 du code pénal est sanctionnée même en cas d'interposition de personnes, la Haute Autorité a estimé que le fait de présider le salon présentait un risque de prise illégale d'intérêts au sens de cet article, par la prise de participation par travail, conseil ou capitaux dans les sociétés EDF et Orano dont M. B... avait assuré la surveillance ou le contrôle au titre de ses fonctions au ministère de l'Europe et des affaires étrangères.
10. Si M. B... soutient que le GIFEN est un syndicat professionnel qui ne constitue pas une entreprise privée visée à l'article 432-13 du code pénal, que le GIFEN a une activité propre et est distinct d'EDF et d'Orano qui ne disposent pas de pouvoir prépondérant de contrôle à son égard, et qu'il n'a jamais contrôlé ou surveillé le GIFEN dans le cadre de ses fonctions au ministère ou comme administrateur d'EDF et d'Orano, et s'il fait valoir en outre que la délibération ne serait pas suffisamment motivée, ces moyens n'apparaissent pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la délibération contestée, eu égard à la mission confiée par la loi à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, telle qu'énoncée au point 6, à la circonstance que l'infraction réprimée à l'article 432-13 est susceptible d'être constituée même si des personnes morales distinctes s'interposent entre le fonctionnaire et les entreprises qu'il a surveillées ou contrôlées et à l'incidence effective du salon WNE pour les intérêts des sociétés EDF et Orano.
11. Compte tenu de ce qui vient d'être dit, les moyens tirés de ce que la délibération de la Haute Autorité, en ce qu'elle retient en outre que la présidence du salon WNE présente des risques déontologiques, serait entachée d'une erreur d'appréciation et que ces risques pouvaient être prévenus par l'édiction de réserves, ne sont pas davantage de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la délibération contestée.
12. Enfin, eu égard à la circonstance que la délibération de la Haute Autorité s'est prononcée sur la demande présentée par M. B... au ministre de l'Europe et des affaires étrangères et aux conditions, déterminées par la loi, de l'intervention de la Haute Autorité, le moyen tiré de ce que la délibération serait illégale faute d'avoir été précédée d'une procédure contradictoire n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la délibération contestée.
13. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur leur recevabilité et sur la condition d'urgence, que les conclusions à fin de suspension de la délibération du 31 mars 2020 de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique doivent être rejetées. Eu égard aux moyens soulevés, il en va de même, en conséquence, des conclusions à fin de suspension de la décision du ministre de l'Europe et des affaires étrangères du 16 avril 2020 et des conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la Haute Autorité et au ministre de réexaminer la demande de M. B....
14. Si M. B... demandait en outre à ce qu'il soit enjoint à la Haute Autorité de s'abstenir de publier la délibération du 31 mars 2020, il résulte de la délibération du 9 juin 2020, produite en défense dans le cadre de l'instruction du présent litige, que la Haute Autorité a décidé de surseoir à la publication de la délibération du 31 mars 2020 jusqu'à ce qu'il soit statué sur le recours pour excès de pouvoir présenté par M. B.... Il s'ensuit que ces conclusions à fin d'injonction sont, en tout état de cause, devenues sans objet.
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans ce litige, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
O R D O N N E :
------------------
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique de s'abstenir de publier la délibération du 31 mars 2020.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... B..., au ministre de l'Europe et des affaires étrangères et à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
N° 440964
ECLI:FR:CEORD:2020:440964.20200622
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
Lecture du lundi 22 juin 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 2 et 16 juin 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de la délibération n° 2020-49 du 31 mars 2020 de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique en ce qu'elle a émis un avis négatif sur son projet de conclure un contrat avec le Groupement des industriels français de l'énergie nucléaire (GIFEN) à l'effet de présider l'édition 2020 du salon " World Nuclear Exhibition " (WNE) ;
2°) de suspendre l'exécution de la décision du 16 avril 2020 du ministre de l'Europe et des affaires étrangères en tant qu'elle lui a, en conséquence, refusé l'autorisation de présider l'édition 2020 du salon WNE ;
3°) d'enjoindre à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique de réexaminer son projet dans un délai de cinq jours et d'enjoindre au ministre, dans un délai de cinq jours suivant cet avis, de réexaminer sa demande, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
4°) d'enjoindre à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique de s'abstenir de publier la délibération du 31 mars 2020 ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- sa requête relève de la compétence de premier ressort du Conseil d'Etat ;
- la délibération attaquée présente un caractère décisoire ;
- la condition d'urgence est remplie, dès lors que les décisions contestées lui causent un préjudice grave et immédiat, en portant irrémédiablement atteinte à la liberté d'entreprendre, eu égard au début de la préparation du salon le 23 juin 2020 et que la publication de la délibération de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique porte atteinte à sa réputation, à sa stratégie professionnelle et à sa vie privée ;
- il existe un doute sérieux quant à la légalité des décisions contestées ;
- la décision de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique est dépourvue de base légale en ce qu'elle se fonde sur un risque de prise illégale d'intérêts par succession de fonctions, alors que le Groupement des industriels français de l'énergie nucléaire, syndicat professionnel, ne constitue pas une entreprise privée au sens de l'article de l'article 423-13 du code pénal et qu'il n'a pas été établi qu'il constituerait une entreprise qu'il aurait contrôlée ou surveillée dans le cadre de ses fonctions publiques ou une entreprise disposant d'au moins 30 % de capital commun avec une entreprise qu'il aurait contrôlée ou surveillée ;
- elle est dépourvue de fondement eu égard à l'absence manifeste de risque déontologique, en l'absence de risque pénal et déontologique, compte tenu de la nature du groupement, de la nature de son projet et de l'absence d'intervention du ministère de l'Europe et des affaires étrangères lors du salon WNE et que le risque, à le supposer existant, aurait pu, en tout état de cause, être surmonté par des réserves consistant notamment à lui enjoindre d'éviter tout contact avec les représentants du ministre de l'Europe et des affaires étrangères ;
- le Groupement des industriels français de l'énergie nucléaire, qui justifie d'une vie propre et d'une indépendance décisionnelle et financière à l'égard d'EDF et d'Orano, ne peut être regardée comme une personne transparente et que l'invocation de cette prétendue transparence ne peut être substituée aux motifs retenus par la délibération attaquée ;
- subsidiairement, la délibération est irrégulière faute d'avoir été précédée d'une procédure contradictoire ;
- la délibération est insuffisamment motivée ;
- la décision du ministre de l'Europe et des affaires étrangères est entachée des mêmes illégalités, dès lors qu'elle a été édictée dans le cadre d'une situation de compétence liée par rapport à la délibération de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 juin 2020, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères s'en remet à la sagesse du Conseil d'Etat, en faisant valoir qu'il était tenu de rejeter la demande dont il était saisi après l'avis rendu par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 12 et 17 juin 2020, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique conclut au rejet de la requête. Elle soutient que les conclusions dirigées contre son avis sont irrecevables, que le Conseil d'Etat n'est pas compétent pour connaître du litige en premier ressort, que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'aucun des moyens n'est de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'avis contesté.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code pénal ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 ;
- la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 ;
- l'ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014 ;
- le décret n° 2007-611 du 26 avril 2007 ;
- le décret n° 2007-658 du 2 mai 2007 ;
- le décret n° 2020-69 du 30 janvier 2020 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. B... et, d'autre part, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères et la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ;
Ont été entendus lors de l'audience publique du 18 juin 2020, à 15 heures :
- M. B... ;
- les représentants de M. B... ;
- les représentants de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ;
- la représentante du ministre de l'Europe et des affaires étrangères ;
à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision (...) ".
2. L'article 25 octies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction résultant de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, dispose que : " I. - La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique apprécie le respect des principes déontologiques inhérents à l'exercice d'une fonction publique. / II. - A ce titre, la Haute Autorité est chargée : (...) 4° D'émettre un avis sur le projet de cessation temporaire ou définitive des fonctions d'un fonctionnaire qui souhaite exercer une activité privée lucrative dans les conditions prévues aux III et IV du présent article ; / (...) III. - Le fonctionnaire cessant définitivement ou temporairement ses fonctions saisit à titre préalable l'autorité hiérarchique dont il relève afin d'apprécier la compatibilité de toute activité lucrative, salariée ou non, dans une entreprise privée ou un organisme de droit privé ou de toute activité libérale avec les fonctions exercées au cours des trois années précédant le début de cette activité. / Pour l'application du premier alinéa du présent III, est assimilé à une entreprise privée tout organisme ou toute entreprise exerçant son activité dans un secteur concurrentiel conformément aux règles du droit privé. (...) / IV. - Lorsque la demande prévue au premier alinéa du III émane d'un fonctionnaire ou d'un agent contractuel occupant un emploi dont le niveau hiérarchique ou la nature des fonctions le justifient, mentionné sur une liste établie par décret en Conseil d'Etat, l'autorité hiérarchique soumet cette demande à l'avis préalable de la Haute Autorité. A défaut, le fonctionnaire peut également saisir la Haute Autorité. / (...) VI. - Dans l'exercice de ses attributions mentionnées aux 3° à 5° du II, la Haute Autorité examine si l'activité qu'exerce le fonctionnaire risque de compromettre ou de mettre en cause le fonctionnement normal, l'indépendance ou la neutralité du service, de méconnaître tout principe déontologique mentionné à l'article 25 de la présente loi ou de placer l'intéressé en situation de commettre les infractions prévues aux articles 432-12 ou 432-13 du code pénal (...) IX. - Lorsqu'elle est saisie en application des 3° à 5° du II du présent article, la Haute Autorité rend un avis :/ 1° De compatibilité ; / 2° De compatibilité avec réserves, celles-ci étant prononcées pour une durée de trois ans ; / 3° D'incompatibilité. / (...) Lorsqu'elle se prononce en application des 3° et 4° du II, la Haute Autorité rend un avis dans un délai de deux mois à compter de sa saisine. L'absence d'avis dans ce délai vaut avis de compatibilité. / X. - Les avis rendus au titre des 2° et 3° du IX lient l'administration et s'imposent à l'agent. Ils sont notifiés à l'administration, à l'agent et à l'entreprise ou à l'organisme de droit privé d'accueil de l'agent. / Lorsqu'elle est saisie en application des 3° à 5° du II, la Haute Autorité peut rendre publics les avis rendus, après avoir recueilli les observations de l'agent concerné. / Les avis de la Haute Autorité sont publiés dans le respect des garanties prévues aux articles L. 311-5 et L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration. (...) ". L'article 2 du décret du 30 janvier 2020 relatif aux contrôles déontologiques dans la fonction publique a notamment fait figurer au nombre des emplois visés par le IV de l'article 25 octies de la loi du 13 juillet 1983 ceux qui sont soumis à l'obligation de transmission d'une déclaration de situation patrimoniale et d'une déclaration d'intérêts au titre du 7° du I de l'article 11 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, c'est-à-dire ceux, pourvus en conseil des ministres, qui sont à la décision du Gouvernement.
3. En application de ces dispositions, M. B..., qui a exercé jusqu'au mois de juillet 2019 les fonctions de secrétaire général du ministère de l'Europe et des affaires étrangères auxquelles il avait été nommé par un décret délibéré en conseil des ministres du 22 juin 2017, a saisi le ministre de l'Europe et des affaires étrangères d'une demande relative à l'exercice d'activités privées, d'une part, la présidence de la société unipersonnelle MGM-GO (Global Outlook) qu'il entendait créer ayant pour objet une activité de conseil, d'autre part, la présidence du salon " World Nuclear Exhibition " (WNE), organisé par le Groupement des industries françaises de l'énergie nucléaire (GIFEN) et devant se tenir en 2020 à Paris. Conformément à ce que prévoit le IV de l'article 25 octies de la loi du 13 juillet 1983 modifiée, le ministre a soumis cette demande à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Par une délibération du 31 mars 2020, la Haute Autorité a émis un avis de compatibilité sous réserves s'agissant de la présidence de la société MGM-GO, mais a estimé que l'activité tenant à la présidence du salon WNE, rémunérée par le GIFEN, n'était pas compatible avec les fonctions antérieurement exercées de secrétaire général du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Par une décision du 16 avril 2020, le ministre a tiré les conséquences qui s'attachent nécessairement à cet avis en vertu du X de l'article 25 octies de la loi du 13 juillet 1983. M. B... a saisi le juge des référés du Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, d'une demande tendant principalement à la suspension de l'exécution de la délibération de la Haute Autorité du 31 mars 2020 et de la décision du ministre en date du 16 avril 2020, en tant qu'elles portent sur la présidence du salon WNE.
Sur la compétence du juge des référés :
4. En vertu du 3° de l'article R. 311-1 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat n'est compétent pour connaître en premier et dernier ressort des litiges relatifs à la situation individuelle des agents publics nommés par décret du Président de la République en vertu des dispositions de l'article 13 (3ème alinéa) de la Constitution et des articles 1er et 2 de l'ordonnance n° 58-1136 du 28 novembre 1958 que dans la mesure où ils concernent le recrutement ou la discipline de ces agents. Le Conseil d'Etat est, en revanche, compétent, en vertu du 4° du même article, pour connaître en premier et dernier ressort des recours dirigés contre les décisions prises, au titre de sa mission de contrôle, par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
5. Si, selon les dispositions précédemment citées de l'article 25 octies de la loi du 13 juillet 1983 modifiée, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique est appelée non à prendre une décision mais à émettre un avis sur la compatibilité d'une activité privée lucrative avec les fonctions préalablement exercées par un fonctionnaire avant que l'autorité hiérarchique ne statue sur la demande que lui a présentée le fonctionnaire, l'avis qu'elle émet, s'il conclut à l'incompatibilité de l'activité privée avec les fonctions précédemment exercées ou s'il n'admet leur compatibilité que sous réserve, a pour effet de lier l'administration. Dans ces conditions, et alors que le Conseil d'Etat, statuant au contentieux n'a pas à ce jour statué sur l'étendue de sa compétence de premier ressort en la matière, le présent litige ne peut être regardé, au regard du 4° de l'article R. 311-1 et eu égard au lien de connexité qui existe entre la délibération de la Haute Autorité et la décision prise par le ministre, comme étant manifestement insusceptible de ressortir à la compétence directe du juge des référés du Conseil d'Etat.
Sur la demande en référé :
6. Les dispositions précédemment citées de l'article 25 octies de la loi du 13 juillet 1983 modifiée chargent la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique d'apprécier le respect des principes déontologiques inhérents à l'exercice d'une fonction publique, par la voie notamment des avis qu'elle est appelée à émettre sur la compatibilité, avec les fonctions exercées au cours des trois années précédentes, de l'exercice d'activités privées lucratives par les fonctionnaires qui cessent définitivement leurs fonctions. Il appartient, dans ce cadre, à la Haute Autorité d'examiner si l'activité qu'entend exercer le fonctionnaire risque de compromettre ou de mettre en cause le fonctionnement normal, l'indépendance ou la neutralité du service, de méconnaître tout principe déontologique mentionné à l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 ou de placer l'intéressé en situation de commettre les infractions prévues aux articles 432-12 ou 432-13 du code pénal. A ce dernier égard, la loi n'appelle pas la Haute Autorité à statuer sur le point de savoir si les éléments constitutifs des infractions réprimées par ces dispositions pénales seraient effectivement réunis, mais à apprécier le risque qu'ils puissent l'être et à se prononcer de telle sorte qu'il soit évité à l'intéressé comme à l'administration d'être mis en cause.
7. Les dispositions de l'article 432-13 du code pénal interdisent à toute personne ayant été chargée, en tant que fonctionnaire, dans le cadre des fonctions qu'elle a effectivement exercées, d'assurer la surveillance ou le contrôle d'une entreprise privée, de prendre ou de recevoir une participation par travail, conseil ou capitaux dans cette entreprise avant l'expiration d'un délai de trois ans suivant la cessation de ces fonctions.
8. Il ressort des pièces versées au dossier et des éléments indiqués lors de l'audience de référé que M. B..., alors qu'il était secrétaire général du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, a été nommé, sur proposition de l'Etat, administrateur de la société Electricité de France (EDF) le 20 septembre 2017 et administrateur de la société New Areva Holding, devenue ultérieurement Orano, le 31 octobre 2017. Il a démissionné de ces fonctions d'administrateur le 28 juin 2019, s'agissant d'EDF, et le 1er juillet 2019, s'agissant d'Orano. Le Groupement des industries françaises de l'énergie nucléaire (GIFEN) est un syndicat professionnel, créé en 2018 par une trentaine d'entreprises et associations exerçant des activités dans le domaine de l'énergie nucléaire à des fins civiles impliquées dans l'animation de la filière nucléaire française, dont EDF et Orano. Il a pour objet la représentation collective des industriels de la filière française de l'énergie nucléaire à des fins civiles et la défense des intérêts moraux, économiques, humains, et industriels des entreprises de cette filière. Il est administré par un conseil composé de dix-huit membres, dont trois sont désignés par EDF et deux par Orano, et par un bureau composé de dix membres, dont deux sont désignés par EDF et un par Orano. Le GIFEN organise, tous les deux ans, un salon dit WNE réunissant un grand nombre d'acteurs privés de la filière nucléaire venant de plus d'une soixantaine de pays. Pour l'année 2020, le salon, initialement prévu entre les 23 au 25 juin, devrait se tenir à Villepinte du 8 au 10 décembre.
9. Pour estimer que l'activité rémunérée consistant en la prise en charge de la présidence du salon WNE organisé par le GIFEN était incompatible avec les fonctions de secrétaire général du ministère de l'Europe et des affaires étrangères exercées par M. B... jusqu'en juillet 2019, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique s'est fondée sur les circonstances que M. B..., au titre de ses fonctions au ministère, avait représenté les intérêts de l'Etat au sein du conseil d'administration d'EDF et de celui d'Orano, que ces deux sociétés sont membres fondateurs du GIFEN et jouent un rôle majeur dans la filière nucléaire française et que le salon WNE, organisé par le GIFEN, a pour objet de promouvoir les intérêts d'EDF et d'Orano comme ceux des autres entreprises de la filière. Retenant que l'infraction réprimée par l'article 432-13 du code pénal est sanctionnée même en cas d'interposition de personnes, la Haute Autorité a estimé que le fait de présider le salon présentait un risque de prise illégale d'intérêts au sens de cet article, par la prise de participation par travail, conseil ou capitaux dans les sociétés EDF et Orano dont M. B... avait assuré la surveillance ou le contrôle au titre de ses fonctions au ministère de l'Europe et des affaires étrangères.
10. Si M. B... soutient que le GIFEN est un syndicat professionnel qui ne constitue pas une entreprise privée visée à l'article 432-13 du code pénal, que le GIFEN a une activité propre et est distinct d'EDF et d'Orano qui ne disposent pas de pouvoir prépondérant de contrôle à son égard, et qu'il n'a jamais contrôlé ou surveillé le GIFEN dans le cadre de ses fonctions au ministère ou comme administrateur d'EDF et d'Orano, et s'il fait valoir en outre que la délibération ne serait pas suffisamment motivée, ces moyens n'apparaissent pas, en l'état de l'instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la délibération contestée, eu égard à la mission confiée par la loi à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, telle qu'énoncée au point 6, à la circonstance que l'infraction réprimée à l'article 432-13 est susceptible d'être constituée même si des personnes morales distinctes s'interposent entre le fonctionnaire et les entreprises qu'il a surveillées ou contrôlées et à l'incidence effective du salon WNE pour les intérêts des sociétés EDF et Orano.
11. Compte tenu de ce qui vient d'être dit, les moyens tirés de ce que la délibération de la Haute Autorité, en ce qu'elle retient en outre que la présidence du salon WNE présente des risques déontologiques, serait entachée d'une erreur d'appréciation et que ces risques pouvaient être prévenus par l'édiction de réserves, ne sont pas davantage de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la délibération contestée.
12. Enfin, eu égard à la circonstance que la délibération de la Haute Autorité s'est prononcée sur la demande présentée par M. B... au ministre de l'Europe et des affaires étrangères et aux conditions, déterminées par la loi, de l'intervention de la Haute Autorité, le moyen tiré de ce que la délibération serait illégale faute d'avoir été précédée d'une procédure contradictoire n'apparaît pas, en l'état de l'instruction, de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la délibération contestée.
13. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur leur recevabilité et sur la condition d'urgence, que les conclusions à fin de suspension de la délibération du 31 mars 2020 de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique doivent être rejetées. Eu égard aux moyens soulevés, il en va de même, en conséquence, des conclusions à fin de suspension de la décision du ministre de l'Europe et des affaires étrangères du 16 avril 2020 et des conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la Haute Autorité et au ministre de réexaminer la demande de M. B....
14. Si M. B... demandait en outre à ce qu'il soit enjoint à la Haute Autorité de s'abstenir de publier la délibération du 31 mars 2020, il résulte de la délibération du 9 juin 2020, produite en défense dans le cadre de l'instruction du présent litige, que la Haute Autorité a décidé de surseoir à la publication de la délibération du 31 mars 2020 jusqu'à ce qu'il soit statué sur le recours pour excès de pouvoir présenté par M. B.... Il s'ensuit que ces conclusions à fin d'injonction sont, en tout état de cause, devenues sans objet.
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans ce litige, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
O R D O N N E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique de s'abstenir de publier la délibération du 31 mars 2020.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... B..., au ministre de l'Europe et des affaires étrangères et à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.