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Ariane Web: Conseil d'État 431890, lecture du 10 juillet 2020, ECLI:FR:CECHS:2020:431890.20200710

Décision n° 431890
10 juillet 2020
Conseil d'État

N° 431890
ECLI:FR:CECHS:2020:431890.20200710
Inédit au recueil Lebon
3ème chambre
M. Christian Fournier, rapporteur
Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public
SCP LESOURD, avocats


Lecture du vendredi 10 juillet 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2008.

Par un jugement n° 1201331 du 17 décembre 2014, le tribunal administratif de Rennes a prononcé un non-lieu à statuer à concurrence des sommes en droits et pénalités de 80 625 euros en ce qui concerne l'impôt sur le revenu et de 24 278 euros en ce qui concerne les contributions sociales, a réduit les bases des cotisations d'impôt sur le revenu et de contributions sociales de la somme de 5 240,30 euros au titre de l'année 2008, a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales à concurrence de cette réduction des bases d'imposition ainsi que des pénalités correspondantes et a rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Par un arrêt n° 15NT01158 du 3 novembre 2016, la cour administrative d'appel de Nantes a prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de la requête de M. A... à hauteur de 1 295 euros en droits et pénalités et a rejeté le surplus des conclusions d'appel de M. A....

Par une décision n° 408543 du 1er octobre 2018, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi formé par M. A..., a annulé l'article 2 de cet arrêt et a renvoyé, dans cette mesure, l'affaire devant la cour pour y être jugée.

Par un arrêt n° 18NT03680 du 25 avril 2019, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté les conclusions de la requête de M. A... dont le jugement a été renvoyé à la cour par décision du Conseil d'Etat du 1er octobre 2018.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 24 juin et 16 septembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Christian Fournier, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lesourd, avocat de M. A... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite de l'examen de la situation fiscale personnelle de M. A..., l'administration fiscale l'a imposé, dans la catégorie des revenus d'origine indéterminée, au titre de l'année 2008, selon la procédure de taxation d'office prévue à l'article L. 69 du livre des procédures fiscales, à raison de certains crédits figurant sur les relevés de ses comptes bancaires. Par un jugement du 17 décembre 2014, le tribunal administratif de Rennes a prononcé un non-lieu à statuer partiel sur les conclusions de la demande de M. A... tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 2008 ainsi que des pénalités correspondantes, réduit le montant des impositions et pénalités restant à sa charge et rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Par un arrêt du 3 novembre 2016, la cour administrative d'appel de Nantes a prononcé un non-lieu à statuer partiel et rejeté le surplus des conclusions de la requête. M. A... s'est pourvu en cassation contre cet arrêt. Par une décision n° 408543 du 1er octobre 2018, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'article 2 de cet arrêt rejetant le surplus des conclusions de la requête de M. A.... Ce dernier se pourvoit en cassation contre l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 25 avril 2019 statuant sur renvoi du Conseil d'Etat.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. En premier lieu, c'est sans erreur de droit et par une appréciation souveraine des faits exempte de dénaturation et sans se méprendre sur la portée des écritures de M. A... que la cour a jugé qu'en envoyant à ce dernier, outre la demande de justifications sur sa déclaration de revenus au titre de l'année 2008 qui lui avait été adressée par courrier du 31 mars 2010 dans le cadre de l'examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle, douze courriers en date du 12 avril 2010 le mettant en demeure, en sa qualité de gérant de six sociétés civiles immobilières, de déposer la déclaration de revenus de ces dernières au titre des exercices clos en 2007 et 2008, l'administration ne l'avait pas induit en erreur sur la nature de la demande qui lui était adressée à titre personnel ni méconnu, en tout état de cause, son devoir de loyauté.

3. En deuxième lieu, dans sa rédaction applicable à la procédure de rectification en litige, le troisième alinéa de l'article L. 16 du livre des procédures fiscales prévoit que l'administration peut demander des justifications au contribuable " lorsqu'elle a réuni des éléments permettant d'établir que le contribuable peut avoir des revenus plus importants que ceux qu'il a déclarés. ". Lorsqu'elle entend comparer les crédits figurant sur les comptes bancaires ou les comptes courants d'un contribuable au montant brut de ses revenus déclarés en vue d'établir l'existence d'indices de revenus dissimulés, l'administration n'est en droit d'user de cette procédure de demande de justifications à l'égard de ce contribuable qu'à la condition que les sommes ainsi portées au crédit de ses comptes équivalent au moins au double de ses revenus connus. Pour les besoins de cette comparaison, les dispositions précitées n'obligent pas l'administration à procéder à un examen critique préalable des crédits dont l'origine apparaît injustifiée. En jugeant qu'il résultait de l'instruction que le montant des crédits bancaires s'élevait, après correction d'une erreur, à la somme de 1 154 824 euros et que l'écart entre les revenus déclarés et le montant des sommes inscrites au crédit des comptes ouverts au nom de M. A... restait supérieur au double des revenus bruts qu'il avait déclarés au titre de l'année 2008 pour en déduire que la demande de justifications adressée au requérant était fondée, et en écartant le moyen tiré de ce que l'administration aurait pu présumer que la majeure partie de ces sommes était d'origine licite et déterminée, la cour n'a ni commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier.

4. En troisième lieu, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que le courrier de demande de justifications du 31 mars 2010 comporte une annexe qui précise, pour chaque écriture de crédit sur laquelle porte cette demande, la date, le numéro du compte bancaire concerné, son montant ainsi que le libellé de ce crédit sur les relevés bancaires. En jugeant que cette demande était suffisamment précise au regard des exigences posées par l'article L. 16 du livre des procédures fiscales, sans qu'y fasse obstacle la circonstance que la demande portait sur la totalité des crédits de l'année 2008, la cour n'a ni commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier.

5. En quatrième lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 16 A du livre des procédures fiscales : " Les demandes d'éclaircissements et de justifications fixent au contribuable un délai de réponse qui ne peut être inférieur à deux mois. Lorsque le contribuable a répondu de façon insuffisante aux demandes d'éclaircissements et de justifications, l'administration lui adresse une mise en demeure d'avoir à compléter sa réponse dans un délai de trente jours en précisant les compléments de réponse qu'elle souhaite ". Aux termes de l'article L. 69 du même livre : " (...) sont taxés d'office à l'impôt sur le revenu les contribuables qui se sont abstenus de répondre aux demandes d'éclaircissements ou de justifications prévues à l'article L. 16. ". D'autre part, aux termes du dernier alinéa de l'article L. 10 du même livre : " (...) / Avant l'engagement d'une des vérifications prévues aux articles L. 12 et L. 13, l'administration des impôts remet au contribuable la charte des droits et obligations du contribuable vérifié ; les dispositions contenues dans la charte sont opposables à l'administration. ". Dans sa version remise au contribuable, la charte des droits et obligations du contribuable vérifié dispose que : " Dans le cadre de l'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle (ESFP), le dialogue joue également un rôle très important tout au long de la procédure. Il vous permet de présenter vos explications sur les discordances relevées par le vérificateur à partir des informations dont il dispose. ". Aucune des dispositions précitées n'impose à l'administration d'envoyer au contribuable qui s'est abstenu de répondre à une demande de justifications adressée sur le fondement de l'article L. 16, préalablement à la mise en oeuvre de la procédure de taxation d'office prévue à l'article L. 69, une mise en demeure de répondre à cette demande. La cour ayant relevé, par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que M. A... n'avait pas répondu à la demande de justifications qui lui avait été adressée par courrier du 31 mars 2010, c'est sans commettre d'erreur de droit qu'elle a écarté le moyen tiré de ce qu'en ne le mettant pas en demeure de répondre à cette demande, l'administration aurait méconnu le principe du contradictoire, la charte du contribuable vérifié et le principe de loyauté.

Sur le bien-fondé des impositions en litige :

6. Aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales : " (...) / la charge de la preuve incombe (...) / au contribuable (...) en cas de taxation d'office à l'issue d'un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle en application des dispositions des articles L. 16 et L. 69. ". Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que M. A... n'ayant pas répondu à la demande de justifications prévue à l'article L. 16 du livre précité qui lui a été notifiée le 15 avril 2010, il a été, en application de l'article L. 69 du même livre, taxé d'office à raison des revenus d'origine indéterminée au titre de l'année 2008. En vertu de l'article L. 192 précité, il supporte la charge du caractère exagéré de l'imposition mise à sa charge.

7. D'une part, c'est sans erreur de droit que la cour a pu retenir, pour juger que l'attestation établie en 2015 par un couple auquel M. A... aurait loué une résidence en 2008 et d'autres documents datés de 2015 ne suffisaient pas à établir que la somme de 300 euros portée sur un de ses comptes bancaires correspondait à un remboursement de charges au titre de cette location, la circonstance que ces documents avaient été établis postérieurement à l'engagement de l'examen de la situation fiscale personnelle de M. A....

8. D'autre part, il ressort des pièces du dossier soumis au juge de cassation que, par un jugement en date du 7 octobre 2019, devenu définitif, le tribunal correctionnel de Rennes a jugé que l'origine des versements de 577 700 euros en espèces sur les comptes bancaires de M. A..., en 2008, était justifiée à hauteur de 476 067,96 euros, correspondant à des sommes qu'il avait retirées d'autres comptes bancaires au cours des années antérieures, et que, pour le reste, l'origine et le caractère non imposable de ces sommes n'était pas démontré, et l'a pour ce motif condamné pour fraude fiscale par dissimulation de revenus à hauteur de 101 632,04 euros.

9. L'autorité de la chose jugée appartenant aux décisions des juges répressifs devenues définitives qui s'impose aux juridictions administratives s'attache à la constatation matérielle des faits mentionnés dans le jugement et qui sont le support nécessaire du dispositif. La même autorité ne saurait, en revanche, s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité. Le moyen tiré de la méconnaissance de cette autorité, qui présente un caractère absolu, est d'ordre public et peut être invoqué pour la première fois devant le Conseil d'Etat, juge de cassation. Il en va ainsi même si le jugement pénal est intervenu postérieurement à la décision de la juridiction administrative frappée de pourvoi devant le Conseil d'Etat.

10. M. A... est fondé à soutenir que l'autorité de la chose jugée par le juge répressif fait obstacle au maintien, en tant qu'il statue sur les impositions mises à sa charge au titre de l'année 2008, du dispositif de l'arrêt attaqué en tant qu'il est contraire aux constatations de fait, telles que rappelées au point 8 ci-dessus, retenues par le tribunal correctionnel de Rennes au soutien du dispositif de son jugement du 7 octobre 2019, devenu définitif. Il ne saurait, en revanche, au titre de cette autorité de la chose jugée, contester ni le montant des revenus dont ce même tribunal a jugé qu'il n'avait établi ni l'origine ni le caractère non imposable, ni l'appréciation portée par l'arrêt attaqué sur le bien-fondé de l'imposition des revenus en cause.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est seulement fondé à demander l'annulation de l'arrêt du 25 avril 2019 de la cour administrative d'appel de Nantes en tant qu'il rejette ses conclusions tendant à la décharge des impositions supplémentaires mises à sa charge pour l'année 2008, en droits et pénalités, à raison de revenus d'origine indéterminée d'un montant de 476 067,96 euros.

12. Aux termes du second alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Le Conseil d'Etat étant saisi, en l'espèce, d'un second pourvoi en cassation, il lui incombe de régler l'affaire au fond, dans la mesure de la cassation prononcée.

13. Il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé à demander la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti à raison de la réintégration dans sa base d'imposition à l'impôt sur le revenu, au titre de l'année 2008, d'une somme de 476 067,96 euros, ainsi que, dans cette mesure, des pénalités correspondantes et la réformation du jugement du tribunal administratif de Rennes en ce qu'il a refusé de lui accorder cette décharge.

14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A... de la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de M. A... tendant à la décharge en droits et pénalités des rehaussements qui lui ont été notifiés en raison de la réintégration dans sa base d'imposition à l'impôt sur le revenu au titre de l'année 2008 de la somme de 476 067,96 euros.
Article 2 : M. A... est déchargé des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti à raison de la réintégration dans ses revenus imposables, au titre de l'année 2008, d'une somme de 476 067,96 euros, ainsi que, dans cette mesure, des pénalités correspondantes.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif Rennes est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : L'Etat versera 3 000 euros à M. A... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de M. A... est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre de l'action et des comptes publics.