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Ariane Web: Conseil d'État 441924, lecture du 21 juillet 2020, ECLI:FR:CEORD:2020:441924.20200721

Décision n° 441924
21 juillet 2020
Conseil d'État

N° 441924
ECLI:FR:CEORD:2020:441924.20200721
Inédit au recueil Lebon



Lecture du mardi 21 juillet 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 17 juillet 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Bouygues Telecom demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté ministériel du 30 décembre 2019 relatif aux modalités et aux conditions d'attribution d'autorisations d'utilisation de fréquences dans la bande 3.5 GHz en France métropolitaine pour établir et exploiter un réseau radioélectrique mobile ouvert au public ;

2°) d'enjoindre au secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'économie et des finances, pour les besoins de son recours, de communiquer l'ensemble des études et documents reçus par la commission des participations et des transferts au vu desquels cette autorité a rendu son avis n° 2019-A-8 du 22 novembre 2019 dans le cadre de la procédure d'attribution d'autorisations d'utilisation de fréquences dans la bande de fréquences 3,5 GHz ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Elle soutient que :
- sa requête est recevable dès lors que, si l'arrêté contesté constitue un acte préparatoire, l'impossibilité de le contester directement porterait une atteinte excessive à l'intérêt général et à son droit au recours, qu'en tout état de cause, il contient des éléments décisoires, que sa requête a été introduite dans le délai de recours contentieux et qu'elle a un intérêt pour agir ;
- la condition d'urgence est satisfaite eu égard à l'atteinte grave et immédiate que l'arrêté contesté et la reprise de la procédure d'attribution des autorisations d'utilisation de fréquences par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP) portent à ses intérêts et au respect du jeu concurrentiel dès lors, d'une part, que la reprise de la procédure d'enchère principale dans le cadre de la procédure d'attribution des autorisations d'utilisation de fréquences, prévue à la fin du mois de septembre 2020, est imminente et, d'autre part, que l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) a refusé au début du mois de juillet 2020 de lui accorder des autorisations d'utilisation des équipements Huawei pour une durée de huit ans ;
- il existe un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté contesté ;
- l'arrêté contesté est entaché d'incompétence dès lors que la secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'économie et des finances n'est pas dotée d'attributions en matière de communications électroniques ;
- il méconnaît les principes de non-discrimination et de concurrence effective et loyale, dès lors notamment qu'il a été adopté sans prendre en considération les conséquences de l'application de la loi du 1e août 2019 conduisant certains opérateurs à supporter des charges que n'auront pas à supporter leurs concurrents et qu'il a ainsi maintenu un régime juridique traitant uniformément tous les opérateurs alors qu'ils sont objectivement dans une situation très différente ;
- il méconnaît les dispositions de l'article L. 2125-3 du code général de la propriété des personnes publiques en ce qu'il ne tient pas compte des coûts effectivement supportés par les opérateurs et des avantages effectivement retirés de l'utilisation des fréquences 5G lors de la fixation des modalités de détermination du montant des redevances d'utilisation desdites fréquences ;
- il méconnaît les obligations d'objectivité et de transparence du ministre chargé des communications électroniques et de l'ARCEP prévues à l'article L. 32-1 du code des postes et des communications électroniques, dès lors, d'une part, que les opérateurs concernés par des refus d'autorisation d'utilisation de certains équipements, et en particulier des équipements Huawei, ou concernés par des autorisations très limitées dans le temps, sont dans l'incapacité de présenter une offre pour l'exploitation des fréquences 5G en toute connaissance de cause et, d'autre part, que les opérateurs ne sont pas en capacité d'anticiper l'étendue des contraintes susceptibles de peser sur l'exploitation d'un réseau 5G au titre de la protection de la santé publique ;
- il méconnaît le principe de sécurité juridique dès lors, d'une part, que son application immédiate porte une atteinte excessive aux intérêts de certains opérateurs de communications électroniques qui envisagent de participer à la procédure d'attribution des autorisations d'utilisation de fréquences 5G et, d'autre part, qu'en tant qu'il ne tire pas les conséquences de l'intervention de la loi du 1er août 2019, ses conditions de mises en oeuvre par les opérateurs concernés par cette loi sont imprévisibles ;
- il méconnaît les principes de concurrence effective et loyale et d'utilisation efficace des fréquences dès lors qu'en l'absence de tout mécanisme de plafonnement de l'attribution des fréquences 5G, il ne permet pas à certains opérateurs de disposer d'un volume de fréquences suffisant pour offrir à leurs clients des débits 5G significativement plus élevés qu'en 4G.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la directive (UE) 2018/1972 du 11 décembre 2018 établissant le code des communications électroniques européens ;
- le code des postes et des communications électroniques ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- la loi n° 2019-810 du 1er août 2019 ;
- le code de justice administrative ;



Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". En vertu de l'article L. 522 3 du même code, le juge des référés peut, par une ordonnance motivée, rejeter une requête sans instruction ni audience lorsque la condition d'urgence n'est pas remplie ou lorsqu'il apparaît manifeste, au vu de la demande, que celle-ci ne relève pas de la compétence de la juridiction administrative, qu'elle est irrecevable ou qu'elle est mal fondée.

2. A la suite de la présentation par la Commission européenne, le 14 septembre 2016, d'un plan d'action visant à coordonner le lancement commercial des services 5G en 2020 dans l'Union européenne, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) a débuté des travaux préparatoires pour le lancement de cette nouvelle technologie sur le territoire métropolitain. Compte tenu des orientations fixées par le gouvernement le 10 mai 2019, l'ARCEP a engagé entre le 15 juillet et le 4 septembre 2019 une consultation publique sur les modalités et les conditions d'attribution des fréquences correspondantes. Par un arrêté du 30 décembre 2019, pris sur proposition de l'ARCEP, le ministre de l'économie et des finances a notamment prévu que les modalités et conditions d'attribution d'autorisations d'utilisation de fréquences dans la bande 3,5 GHz en France métropolitaine pour établir et exploiter un système mobile terrestre seraient fixées conformément à la décision n° 2019-1386 du 21 novembre 2019 de l'ARCEP, que le prix de réserve d'un bloc de 50 MHz, tel que défini dans la partie II-2.3 du document II de l'annexe à la décision du 21 novembre 2019 précitée, serait fixé à 350 millions d'euros et que le prix de réserve d'un bloc de 10 MHz, tel que défini dans la partie II-3.1 du document II de l'annexe à cette même décision, serait fixé à 70 millions d'euros.

3. La société Bouygues Telecom demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de l'arrêté ministériel du 30 décembre 2019 relatif aux modalités et aux conditions d'attribution d'autorisations d'utilisation de fréquences dans la bande 3.5 GHz en France métropolitaine pour établir et exploiter un réseau radioélectrique mobile ouvert au public.

4. L'arrêté du 30 novembre 2019 du ministre de l'économie et des finances, pris en application de la procédure prévue à l'article L. 42-1 du code des postes et des communications électroniques, présente le caractère d'une mesure préparatoire qui n'est pas susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir et ne peut être contestée qu'à l'appui de recours contre les actes désignant les opérateurs choisis à l'issue de cette procédure. La requête tendant à l'annulation de cet arrêté est ainsi irrecevable et la demande tendant à ce que le juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, en suspende l'exécution ne peut, en conséquence, qu'être rejetée.
5. Il résulte de ce qu'il précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la condition d'urgence et sur l'existence d'un moyen de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de l'arrêté contesté, qu'il y a lieu de rejeter la requête de la Société Bouygues Telecom selon la procédure prévue à l'article L. 522-3 du code de justice administrative, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du même code.



O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de la société Bouygues Telecom est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Bouygues Telecom.
Copie en sera adressée au ministre de l'économie, des finances et de la relance.