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Ariane Web: Conseil d'État 435974, lecture du 22 juillet 2020, ECLI:FR:CECHR:2020:435974.20200722

Décision n° 435974
22 juillet 2020
Conseil d'État

N° 435974
ECLI:FR:CECHR:2020:435974.20200722
Mentionné aux tables du recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
M. Frédéric Pacoud, rapporteur
Mme Marie Sirinelli, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP SEVAUX, MATHONNET, avocats


Lecture du mercredi 22 juillet 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. B... A...-C... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
- de suspendre l'exécution de la décision du 29 août 2019 par laquelle la maire de Paris a mis fin de manière anticipée à sa prise en charge par l'aide sociale à l'enfance en tant que jeune majeur ;
- d'enjoindre à la Ville de Paris de lui assurer un accompagnement, une solution d'hébergement et une prise en charge de ses besoins alimentaires et sanitaires afin de lui permettre la poursuite de sa scolarité, dans un délai de 24 heures à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
- d'enjoindre à la Ville de Paris d'élaborer un projet d'accès à l'autonomie en y associant les institutions et organismes concourant à construire une réponse globale adaptée à ses besoins en matière éducative, sociale, de santé, de logement, de formation, d'emploi et de ressources.

Par une ordonnance n° 1922294 du 30 octobre 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a suspendu l'exécution de la décision de la maire de Paris du 29 août 2019 et enjoint à celle-ci de rétablir, dans un délai de cinq jours, M. A...-C... au bénéfice d'une prise en charge en application de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles, telle qu'elle existait antérieurement, jusqu'à ce que le tribunal se prononce au fond sur la légalité de la décision du 29 août 2019.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 14 et 29 novembre 2019 et le 12 février 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Ville de Paris demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) réglant l'affaire en référé, de rejeter la demande de suspension présentée par M. A...-C....


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Frédéric Pacoud, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la Ville de Paris et à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de M. A...-C... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Paris que M. A...-C..., ressortissant camerounais indiquant être né le 8 février 2001 et entré en France en août 2017, a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance de Paris par le juge des enfants du tribunal de grande instance de Paris, par une ordonnance de placement provisoire puis un jugement des 16 avril et 30 juillet 2018, jusqu'au 8 février 2019. La Ville de Paris, qui avait maintenu sa prise en charge par l'aide sociale à l'enfance au-delà de cette date, a décidé, à la demande de l'intéressé, de poursuivre celle-ci en application des dispositions du sixième alinéa de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles pour une durée de six mois à compter du 1er août 2019, dans le cadre du dispositif " contrat jeune majeur ". Par une décision du 29 août 2019, la maire de Paris a mis fin à cette prise en charge, au motif que son bénéficiaire avait été exclu de plusieurs hôtels en raison de son comportement et qu'il avait quitté son dernier hébergement depuis le 15 août, sans en informer le service de l'aide sociale à l'enfance. Par une ordonnance du 30 octobre 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Paris, saisi par M. A...-C... sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, a suspendu l'exécution de cette décision et enjoint à la Ville de Paris de rétablir celui-ci au bénéfice d'une prise en charge en application de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles. La Ville de Paris se pourvoit en cassation contre cette ordonnance.

2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

3. Aux termes de l'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles : " Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : / 1° Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l'autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social, qu'aux mineurs émancipés et majeurs de moins de vingt et un ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre (...) ". L'article L. 222-5 du même code détermine les personnes susceptibles, sur décision du président du conseil départemental, d'être prises en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance, parmi lesquelles, au titre du 1° de cet article, les mineurs qui ne peuvent demeurer provisoirement dans leur milieu de vie habituel et dont la situation requiert un accueil à temps complet ou partiel et, au titre de son 3°, les mineurs confiés au service par le juge des enfants parce que leur protection l'exige. Aux termes des sixième et septième alinéas de cet article : " Peuvent être également pris en charge à titre temporaire par le service chargé de l'aide sociale à l'enfance les mineurs émancipés et les majeurs âgés de moins de vingt et un ans qui éprouvent des difficultés d'insertion sociale faute de ressources ou d'un soutien familial suffisants. / Un accompagnement est proposé aux jeunes mentionnés au 1° du présent article devenus majeurs et aux majeurs mentionnés à l'avant-dernier alinéa, au-delà du terme de la mesure, pour leur permettre de terminer l'année scolaire ou universitaire engagée ".

4. Sous réserve de l'hypothèse dans laquelle un accompagnement doit être proposé au jeune pour lui permettre de terminer l'année scolaire ou universitaire engagée, le président du conseil départemental dispose d'un large pouvoir d'appréciation pour accorder ou maintenir la prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance d'un jeune majeur de moins de vingt et un ans éprouvant des difficultés d'insertion sociale faute de ressources ou d'un soutien familial suffisants et peut à ce titre, notamment, prendre en considération les perspectives d'insertion qu'ouvre une prise en charge par ce service compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, y compris le comportement du jeune majeur.

5. Lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision refusant une prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance ou mettant fin à une telle prise en charge, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu'à sa qualité de juge de plein contentieux, non de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d'examiner la situation de l'intéressé, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction et, notamment, du dossier qui lui est communiqué en application de l'article R. 772-8 du code de justice administrative. Au vu de ces éléments, il lui appartient d'annuler, s'il y a lieu, cette décision en accueillant lui-même la demande de l'intéressé s'il apparaît, à la date à laquelle il statue, eu égard à la marge d'appréciation dont dispose le président du conseil départemental dans leur mise en oeuvre, qu'un défaut de prise en charge conduirait à une méconnaissance des dispositions du code de l'action sociale et des familles relatives à la protection de l'enfance et en renvoyant l'intéressé devant l'administration afin qu'elle précise les modalités de cette prise en charge sur la base des motifs de son jugement. Saisi d'une demande de suspension de l'exécution d'une telle décision, il appartient, ainsi, au juge des référés de rechercher si, à la date à laquelle il se prononce, ces éléments font apparaître, en dépit de cette marge d'appréciation, un doute sérieux quant à la légalité d'un défaut de prise en charge.

6. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que pour mettre fin, par la décision du 29 août 2019, avant le début de l'année scolaire, à la prise en charge de M. A...-C..., la maire de Paris s'est fondée sur le comportement de l'intéressé qui, après avoir changé d'hôtel à deux reprises après la signature de son " contrat jeune majeur ", a quitté son dernier hébergement le 15 août 2019, sans en informer son référent, pour se rendre à l'étranger. Pour juger que le moyen tiré de " l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation " quant aux conséquences de la décision sur la situation de M. A...-C... était de nature à créer un doute sérieux, le juge des référés s'est fondé sur les seules difficultés d'insertion sociale que celui-ci rencontrait, sans prendre en considération l'ensemble des circonstances de l'espèce, y compris le comportement de l'intéressé, alors la décision de la Ville de Paris était fondée, ainsi qu'elle le faisait valoir, sur la difficulté de sa prise en charge par l'aide sociale à l'enfance eu égard à son comportement. En statuant ainsi, le juge des référés a insuffisamment motivé son ordonnance et commis une erreur de droit.

7. Il résulte de ce qui précède que la Ville de Paris est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque. Le moyen retenu suffisant à entraîner cette annulation, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres moyens du pourvoi.

8. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée par M. A...-C..., en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

9. Si la maire de Paris a mis fin à la prise en charge de M. A...-C... avant le terme prévu dans le cadre du " contrat jeune majeur " signé avec lui, d'une part, un tel document, qui a seulement pour objet de formaliser les relations entre le service de l'aide sociale à l'enfance et le jeune majeur, dans un but de responsabilisation de ce dernier, n'a ni pour objet ni pour effet de placer celui-ci dans une situation contractuelle vis-à-vis du département. D'autre part, la survenance du terme initialement prévu de la prise en charge d'un jeune majeur qui demande la poursuite de cette prise en charge ne met pas fin par elle-même au litige, sauf à ce que le jeune atteigne l'âge de vingt et un ans. Par suite, la circonstance que ce terme avait été fixé au 31 janvier 2020 ne rend pas sans objet les conclusions de M. A...-C... tendant à la suspension de l'exécution de la décision du 29 août 2019.

10. En premier lieu, il résulte de l'instruction que M. A...-C... a bénéficié à compter du 8 février 2019 d'une prise en charge en tant que jeune majeur pour terminer sa première année de formation en vue de l'obtention du certificat d'aptitude professionnelle hôtellerie, café, restauration. Alors que la maire de Paris avait, à sa demande, maintenu sa prise en charge après la fin de cette année scolaire dans le cadre d'un " contrat jeune majeur " de six mois à compter du 1er août 2019, elle y a mis fin par une décision du 29 août 2019. La maire de Paris ayant ainsi mis un terme à sa prise en charge en août 2019, après la fin de sa première année de formation, M. A...-C... ne peut se prévaloir des dispositions du dernier alinéa de l'article L. 222-5 du code de l'action sociale et des familles prescrivant qu'un accompagnement soit proposé aux jeunes majeurs âgés de moins de vingt et un ans qui éprouvent des difficultés d'insertion sociale faute de ressources ou d'un soutien familial suffisants pour leur permettre de terminer l'année scolaire ou universitaire engagée. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions n'est pas propre à créer un doute sérieux quant à la légalité d'un défaut de prise en charge de M. A...-C....

11. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que M. A...-C..., du fait de son comportement, a été accueilli dans six hôtels successifs dans le cadre de sa prise en charge en qualité de jeune majeur à compter du 8 février 2019, puis a quitté son hébergement le 15 août 2019 sans en informer le service de l'aide sociale à l'enfance, pour se rendre dans le sud de la France, puis en Italie. Hébergé, à la suite de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 30 octobre 2019, par le service éducatif pour jeune majeur du Palais de la femme de la Fondation de l'Armée du Salut, il a été à l'origine de plusieurs incidents graves mettant en danger la sécurité des autres résidents de cet établissement, conduisant la maire de Paris, par une décision du 16 janvier 2020, à mettre fin à sa prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance, tout en maintenant son hébergement hôtelier jusqu'au 31 janvier 2020 afin de lui permettre de se rapprocher de l'assistante sociale de son lycée pour organiser son hébergement. Par ailleurs, M. A...-C... a fait l'objet le 2 septembre 2019 d'un arrêté portant obligation de quitter le territoire français et interdiction d'y retourner pendant un an, contre lequel il a formé un recours rejeté par un jugement du tribunal administratif de Paris du 16 décembre 2019. Ainsi qu'il a été dit au point 4, le comportement du jeune majeur, comme le cas échéant sa situation au regard du droit au séjour et au travail, est au nombre des éléments que le président du conseil départemental peut prendre en considération, au titre du large pouvoir d'appréciation dont il dispose, pour accorder, maintenir ou interrompre la prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance d'un jeune majeur de moins de vingt et un ans éprouvant des difficultés d'insertion sociale faute de ressources ou d'un soutien familial suffisants. Par suite, M. A...-C... n'est pas fondé à soutenir que seule une évolution de sa situation aurait pu justifier qu'il soit mis un terme anticipé à sa prise en charge par l'aide sociale à l'enfance. Eu égard au comportement de l'intéressé, et alors même que la maire de Paris a interrompu, avec effet immédiat, la mesure de prise en charge dont il bénéficiait et qu'il souhaite, après avoir validé sa seconde année de certificat d'aptitude professionnelle, poursuivre sa scolarité en vue de l'obtention d'un baccalauréat professionnel, les circonstances de l'espèce ne font pas apparaître, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité d'un défaut de prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance.

13. En dernier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 5 que M. A...-C... ne peut utilement invoquer les vices propres qui affecteraient la légalité de la décision du 29 août 2019.

14. L'une des conditions posées par l'article L. 521-1 du code de justice administrative n'étant ainsi pas remplie, la demande de suspension présentée par M. A...-C... doit être rejetée, de même que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :
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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 30 octobre 2019 est annulée.
Article 2 : La demande de suspension présentée par M. A...-C... devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris, ainsi que ses conclusions présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Ville de Paris et à M. B... A...-C....



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