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Ariane Web: Conseil d'État 439143, lecture du 9 septembre 2020, ECLI:FR:CECHR:2020:439143.20200909

Décision n° 439143
9 septembre 2020
Conseil d'État

N° 439143
ECLI:FR:CECHR:2020:439143.20200909
Mentionné aux tables du recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Guillaume de LA TAILLE LOLAINVILLE, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER, avocats


Lecture du mercredi 9 septembre 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société civile immobilière (SCI) Emo a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période correspondant aux années 2012, 2013 et 2014 et aux onze premiers mois de l'année 2015. Par un jugement n° 1602573 du 7 juin 2018, ce tribunal a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 18NC02185 du 27 décembre 2019, la cour administrative d'appel de Nancy a, sur l'appel de la société Emo, annulé ce jugement et prononcé la décharge de ces rappels de taxe sur la valeur ajoutée.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 février et 2 septembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'action et des comptes publics demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;
- l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 12 janvier 2006, Turn- und Sportunion Waldburg contre Finanzlandesdirektion für Oberösterreich (C-246/04) ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Guillaume de La Taille Lolainville, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la société Emo ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 261 D du code général des impôts : " Sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée : / (...) 2° Les locations de terrains non aménagés et de locaux nus, à l'exception des emplacements pour le stationnement des véhicules (...) ". Toutefois, aux termes de l'article 260 du même code : " Peuvent sur leur demande acquitter la taxe sur la valeur ajoutée : / (...) 2° Les personnes qui donnent en location des locaux nus pour les besoins de l'activité d'un preneur assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée ou, si le bail est conclu à compter du 1er janvier 1991, pour les besoins de l'activité d'un preneur non assujetti. " Pris pour l'application de ces dernières dispositions, les deuxième et troisième alinéas de l'article 193 de l'annexe II à ce code prévoient que : " Les personnes qui donnent en location plusieurs immeubles ou ensembles d'immeubles doivent exercer une option distincte pour chaque immeuble ou ensemble d'immeubles. / Dans les immeubles ou ensembles d'immeubles comprenant à la fois des locaux nus donnés en location ouvrant droit à l'option en application du 2° de l'article 260 du code général des impôts et d'autres locaux, l'option ne s'étend pas à ces derniers mais elle s'applique globalement à l'ensemble des locaux de la première catégorie. "

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Emo, qui donnait à bail à plusieurs preneurs, pour les besoins de leurs activités respectives, différents locaux nus situés dans un même bâtiment, a collecté des montants de taxe sur la valeur ajoutée sur les seuls loyers facturés à raison des parties de ce bâtiment au titre desquelles, le 9 mars 2001, elle estimait avoir opté pour une soumission à cette taxe. L'administration fiscale ayant toutefois considéré que l'option ainsi exercée avait eu pour effet de soumettre à la taxe l'ensemble des locations consenties par la société Emo dans le bâtiment, a procédé, pour la période courant du 1er janvier 2012 au 30 novembre 2015, aux rappels de taxe correspondants. Le ministre de l'action et des comptes publics se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 27 décembre 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Nancy a prononcé la décharge de ces rappels.

3. Aux termes de l'article 135 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée : " 1. Les États membres exonèrent les opérations suivantes : / (...) l) l'affermage et la location de biens immeubles. / 2. Sont exclues de l'exonération prévue au paragraphe 1, point l), les opérations suivantes : / (...) b) les locations d'emplacements pour le stationnement des véhicules ; / (...) Les États membres peuvent prévoir des exclusions supplémentaires au champ d'application de l'exonération prévue au paragraphe 1, point l). " Aux termes de l'article 137 de la même directive : " 1. Les États membres peuvent accorder à leurs assujettis le droit d'opter pour la taxation des opérations suivantes : / (...) d) l'affermage et la location de biens immeubles. / 2. Les États membres déterminent les modalités de l'exercice du droit d'option prévu au paragraphe 1. / Les États membres peuvent restreindre la portée de ce droit. "

4. Il résulte de ces dispositions éclairées par la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que, dans la mesure où les dispositions de l'article 137 de la directive ne précisent pas à quelles conditions et selon quelles modalités la portée du droit d'opter pour la taxation des opérations de location et d'affermage de tels biens immeubles peut être restreinte, il appartient à chaque État membre de préciser, dans son droit national, la portée du droit d'option et d'édicter les règles en vertu desquelles certains assujettis peuvent bénéficier de ce droit. Toutefois, ces dispositions ne confèrent pas aux États membres la faculté de subordonner à des conditions ou de restreindre de quelque manière que ce soit les exonérations prévues par le 1 de l'article 135, mais leur réserve simplement la faculté d'ouvrir, dans une mesure plus ou moins large, aux bénéficiaires de ces exonérations, la possibilité d'opter eux-mêmes pour la taxation, s'ils estiment que tel est leur intérêt.

5. Interprétées conformément à celles de l'article 137 de la directive du 28 novembre 2006 qu'elles transposent, il résulte ainsi des dispositions, citées au point 1 ci-dessus, du 2° de l'article 260 du code général des impôts et de l'article 193 de l'annexe II à ce code, qu'elles permettent à un contribuable d'opter pour la soumission à la taxe sur la valeur ajoutée de la location de certains seulement des locaux qu'il exploite dans un même bâtiment. Si elles lui permettent également d'opter pour l'imposition de l'ensemble des locations qu'il réalise dans ce bâtiment, et si dans ce cas, seules celles de ces locations qui portent sur des locaux n'ouvrant pas droit à option restent, le cas échéant, exonérées de taxe sur la valeur ajoutée, elles ne lui en font pas obligation. L'option exercée en vue de la soumission à la taxe sur la valeur ajoutée de la location de certains seulement des locaux d'un même bâtiment n'a pas pour effet de soumettre à cette taxe la location des autres locaux.

6. Pour prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée en litige, la cour administrative d'appel a estimé que l'option exercée par la société Emo le 9 mars 2001 avait désigné sans équivoque les locations que cette société entendait soumettre à la taxe sur la valeur ajoutée. Elle en a déduit que cette option n'avait pas eu pour effet de soumettre également à la taxe les autres locations réalisées par la société intéressée dans le même bâtiment. En statuant ainsi, la cour a porté sur les pièces du dossier une appréciation souveraine exempte de dénaturation et, eu égard à ce qui a été dit au point 5, a fait une exacte application des dispositions des deuxième et troisième alinéas de l'article 193 de l'annexe II au code général des impôts.

7. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société Emo au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du ministre de l'action et des comptes publics est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à la société Emo la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à la société civile immobilière Emo.



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