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Ariane Web: Conseil d'État 428238, lecture du 8 octobre 2020, ECLI:FR:CECHR:2020:428238.20201008

Décision n° 428238
8 octobre 2020
Conseil d'État

N° 428238
ECLI:FR:CECHR:2020:428238.20201008
Inédit au recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
Mme Louise Cadin, rapporteur
Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur public
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ, avocats


Lecture du jeudi 8 octobre 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu les procédures suivantes :

Par une requête et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 20 février, 23 juillet et 4 novembre 2019, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Paris Première demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) du 12 septembre 2018 la mettant en demeure de respecter à l'avenir les dispositions de l'article 15 de la loi du 30 septembre 1986 ainsi que la décision implicite du 20 janvier 2019 rejetant son recours gracieux ;

2°) de mettre à la charge du Conseil supérieur de l'audiovisuel la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme B... A..., auditrice,

- les conclusions de Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la société Paris Première.



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que la société Paris Première a été autorisée, sur le fondement de l'article 28 de la loi du 30 septembre 1986, à exploiter le service de télévision " Paris Première ", dans les conditions prévues par une convention passée avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) le 10 juin 2003. Elle demande l'annulation de la décision du 12 septembre 2018 par laquelle le CSA, à la suite de la diffusion de l'émission " C... et D... " du 20 janvier 2018, l'a mise en demeure de respecter à l'avenir les dispositions du dernier alinéa de l'article 15 de la loi du 30 septembre 1986, aux termes duquel le CSA " veille (...) à ce que les programmes mis à disposition du public par un service de communication audiovisuelle ne contiennent aucune incitation à la haine ou à la violence pour des raisons de race, de sexe, de moeurs, de religion ou de nationalité (...) ".

Sur la légalité externe :

2. En premier lieu, en lui laissant sept jours pour présenter ses observations préalablement à la mise en demeure litigieuse, le CSA, qui n'était pas tenu de mettre en oeuvre une procédure contradictoire, n'a pas donné à la société requérante, contrairement à ce qu'elle soutient, un délai insuffisant pour présenter sa réponse et n'a, par suite, pas commis d'irrégularité.

3. En second lieu, il ressort du procès-verbal de la séance plénière du 12 septembre 2018 au cours de laquelle a été décidée la mise en demeure litigieuse que la condition de quorum prévue à l'article 4 de la loi du 30 septembre 1986 et rappelée à l'article 3 du règlement intérieur du CSA était remplie. Ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions manque en fait.

Sur la légalité interne :

4. Aux termes de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication : " Les éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle et les opérateurs de réseaux satellitaires peuvent être mis en demeure de respecter les obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires et par les principes définis aux articles 1er et 3-1 ".

5. Il appartient au CSA de garantir le respect du principe de la liberté de communication des pensées et des opinions, consacré et protégé par les dispositions de valeur constitutionnelle de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et rappelé par les dispositions de l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. Il lui incombe également de faire usage des pouvoirs qu'il tient de cette loi, notamment des dispositions citées ci-dessus de son article 42, pour assurer le respect, par les éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle, des obligations que leur imposent la loi et les conventions qu'ils concluent avec lui. A ce titre, il lui appartient notamment de s'assurer que, conformément aux dispositions de l'article 15 de la loi du 30 septembre 1986, citées au point 1, les programmes mis à disposition du public par un service de communication audiovisuelle ne contiennent aucune incitation à la haine ou à la violence pour des raisons de race, de sexe, de moeurs, de religion ou de nationalité.

6. En premier lieu, si, pour décrire le rôle joué par M. C... au cours de l'émission litigieuse, qui s'intitule " C... et D... " et dont chaque séquence consiste à faire dialoguer deux invités avec M. D... et M. C..., la décision attaquée le qualifie " d'animateur ", l'usage de ce terme ne traduit pas, alors même qu'une journaliste de la chaîne était présente sur le plateau, une appréciation inexacte du rôle tenu par l'intéressé.

7. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que, pour prononcer la mise en demeure attaquée, le CSA s'est fondé sur ce que, au cours de l'émission litigieuse, M. C... a, d'une part, affirmé qu'il fallait cesser d'accueillir en France des étrangers de confession musulmane et, notamment, que le droit d'asile devait leur être refusé , d'autre part, présenté la présence en France de personnes de religion musulmane comme la source d'un " énorme problème " et comme contribuant à un " grand remplacement " et à " l'invasion de l'Europe ". En estimant que, même tenus dans le cadre d'un débat en lui-même légitime sur la politique de l'asile et de l'immigration en France et au cours d'une séquence qui se présentait elle-même comme polémique, de tels propos justifiaient, du fait du caractère stigmatisant du vocabulaire employé à l'égard d'un groupe de personnes déterminé à raison de leur religion et alors au surplus que la journaliste de la chaîne n'avait pris aucune initiative pour que le débat demeure dans les limites d'un échange, même polémique, d'opinions, que soit adressée à la société Paris Première une mise en demeure de respecter à l'avenir les obligations que lui imposent les dispositions précitées de l'article 15 de la loi du 30 septembre 1986, le CSA a fait une exacte application des pouvoirs qu'il tient des dispositions de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la société Paris Première n'est pas fondée à demander l'annulation de la mise en demeure qu'elle attaque ni, par conséquent, de la décision implicite par laquelle le CSA a rejeté son recours gracieux. Sa requête doit par suite être rejetée, y compris, par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.




D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la société Paris Première est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Paris Première et au Conseil supérieur de l'audiovisuel.
Copie en sera adressée au ministre de la culture.