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Ariane Web: Conseil d'État 429341, lecture du 14 octobre 2020, ECLI:FR:CECHR:2020:429341.20201014

Décision n° 429341
14 octobre 2020
Conseil d'État

N° 429341
ECLI:FR:CECHR:2020:429341.20201014
Inédit au recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
Mme Carine Chevrier, rapporteur
M. Stéphane Hoynck, rapporteur public


Lecture du mercredi 14 octobre 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête et un autre mémoire, enregistrés le 1er avril 2019 et le 22 septembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association France Nature Environnement demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2018-847 du 4 octobre 2018 en tant qu'il prévoit à son article 7 que " pour apprécier la compatibilité des programmes et décisions administratives mentionnées au XI de l'article L. 212-1 avec l'objectif de prévention de la détérioration de la qualité des eaux mentionné au 4o du IV du même article, il est tenu compte des mesures d'évitement et de réduction et il n'est pas tenu compte des impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme ", ainsi que la décision implicite née du refus de faire droit à sa demande de retrait de ces dispositions ;

2°) de saisir, le cas échéant, la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel afin de déterminer si un État membre satisfait à l'article 4 § 6 de la directive 2000/60/CE du 23 octobre 2000 en prévoyant dans sa réglementation que, pour apprécier la compatibilité des programmes et décisions administratives prises dans le domaine de l'eau avec l'objectif de prévention de la détérioration de la qualité des eaux prévu à l'article 4 § 1 de cette directive, il n'est pas tenu compte des impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la directive n° 2000/60/ CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 ;
- le code de l'environnement ;
- le décret n° 2005-475 du 16 mai 2005 ;
- l'arrêt C-461/13 du 1er juillet 2015 de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme A... B..., conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

1. Par sa requête, l'association France Nature Environnement (FNE) demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 4 octobre 2018 en tant qu'il prévoit, à son article 7, qu'est ajouté à l'article R. 212-13 du code de l'environnement un dernier alinéa comportant les mots : " il n'est pas tenu compte des impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme ", ainsi que de la décision implicite née du refus opposé par le Premier ministre à sa demande tendant à ce que ces dispositions soient rapportées, en soutenant qu'elles méconnaissent les objectifs de la directive n° 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l'eau, en particulier son article 4, en ce qu'elles excluent, dans l'appréciation portée par l'autorité administrative de la compatibilité des programmes et des décisions administratives avec l'objectif de prévention de la détérioration de la qualité des eaux prévu par la loi, leurs impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme.

2. En vertu du paragraphe 1 de l'article 4 de la directive n° 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000, les Etats membres, en rendant opérationnels les programmes de mesures prévus dans le plan de gestion du district hydrographique et pour ce qui concerne les eaux de surface, " i) (...)mettent en oeuvre les mesures nécessaires pour prévenir la détérioration de l'état de toutes les masses d'eau de surface, sous réserve de l'application des paragraphes 6 et 7 et sans préjudice du paragraphe 8 ; / ii) les États membres protègent, améliorent et restaurent toutes les masses d'eau de surface, sous réserve de l'application du point iii) en ce qui concerne les masses d'eau artificielles et fortement modifiées afin de parvenir à un bon état des eaux de surface au plus tard quinze ans après la date d'entrée en vigueur de la présente directive, conformément aux dispositions de l'annexe V, sous réserve de l'application des reports déterminés conformément au paragraphe 4 et de l'application des paragraphes 5, 6 et 7 et sans préjudice du paragraphe 8 ; / iii) les États membres protègent et améliorent toutes les masses d'eau artificielles et fortement modifiées, en vue d'obtenir un bon potentiel écologique et un bon état chimique des eaux de surface au plus tard quinze ans après la date d'entrée en vigueur de la présente directive, conformément aux dispositions énoncées à l'annexe V, sous réserve de l'application des reports déterminés conformément au paragraphe 4 et de l'application des paragraphes 5, 6 et 7 et sans préjudice du paragraphe 8 ; / (...) ". Par son arrêt Bund für Umwelt und Naturschutz Deutschland e. V. contre Bundesrepublik Deutschland (C-461/13) du 1er juillet 2015, la Cour de justice de l'Union européenne a précisé la notion de détérioration de l'état d'une masse d'eau en retenant que l'article 4, paragraphe 1, sous a), i) à iii) de la directive 2000/60/CE du 23 octobre 2000 " doit être interprété en ce sens que les États membres sont tenus, sous réserve de l'octroi d'une dérogation, de refuser l'autorisation d'un projet particulier lorsqu'il est susceptible de provoquer une détérioration de l'état d'une masse d'eau de surface ou lorsqu'il compromet l'obtention d'un bon état des eaux de surface ou d'un bon potentiel écologique et d'un bon état chimique de telles eaux à la date prévue par cette directive ".

3. Les paragraphes 6 et 7 de l'article 4 de la directive prévoient toutefois deux dérogations. Le paragraphe 6 précise que : " La détérioration temporaire de l'état des masses d'eau n'est pas considérée comme une infraction aux exigences de la présente directive si elle résulte de circonstances dues à des causes naturelles ou de force majeure, qui sont exceptionnelles ou qui n'auraient raisonnablement pas pu être prévues - en particulier les graves inondations et les sécheresses prolongées - ou de circonstances dues à des accidents qui n'auraient raisonnablement pas pu être prévus " et assortit cette dérogation de cinq conditions cumulatives. Pour sa part, le paragraphe 7 précise que les États membres ne commettent pas d'infraction lorsque " le fait de ne pas rétablir le bon état d'une eau souterraine, le bon état écologique ou, le cas échéant, le bon potentiel écologique ou de ne pas empêcher la détérioration de l'état d'une masse d'eau de surface ou d'eau souterraine résulte de nouvelles modifications des caractéristiques physiques d'une masse d'eau de surface ou de changements du niveau des masses d'eau souterraines " ou que " l'échec des mesures visant à prévenir la détérioration d'un très bon état vers un bon état de l'eau de surface résulte de nouvelles activités de développement humain durable " et que quatre conditions cumulatives sont réunies.

4. Il résulte ainsi de la directive du 23 octobre 2000 que l'objectif de prévention de la détérioration de la qualité des eaux de surface doit conduire les Etats membres à refuser l'autorisation d'un projet particulier lorsqu'il est susceptible de provoquer une détérioration de l'état d'une masse d'eau de surface ou lorsqu'il compromet l'obtention d'un bon état des eaux de surface ou d'un bon potentiel écologique et d'un bon état chimique de telles eaux à la date prévue par cette directive, sous réserve des cas de dérogations qu'elle prévoit, aux paragraphes 6 et 7 de son article 4.

5. Aux termes du IV de l'article L. 212-1 du code de l'environnement pris pour la transposition de cette directive, la prévention de la détérioration de la qualité des eaux compte parmi les objectifs de qualité et de quantité des eaux que fixent les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux, le XI du même article prévoyant que les programmes et décisions administratives dans le domaine de l'eau doivent être compatibles ou rendus compatibles avec les dispositions de ces schémas.

6. La ministre de la transition écologique fait valoir, dans le mémoire qu'elle a produit devant le Conseil d'Etat, que les dispositions de l'article 7 du décret attaqué, contestées par l'association requérante, ne relèvent pas de la dérogation relative à la détérioration temporaire de l'état des masses d'eau visée par le paragraphe 6 de l'article 4 de la directive, laquelle doit résulter de circonstances dues à des causes naturelles ou de force majeure et qui a été transposé par l'article 22 du décret du 16 mai 2005 relatif aux schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux et codifié à l'article R. 212-24 du code de l'environnement, mais de la dérogation prévue au paragraphe 7 de l'article 4, qui exclut du champ des infractions à la directive les détériorations de l'état d'une masse d'eau résultant de nouvelles activités de développement humain durable à condition que quatre conditions soient cumulativement remplies. Elle produit à cet égard un document élaboré en décembre 2017 par les administrations concernées des Etats membres de l'Union et de la Commission, intitulé " Common implementation strategy for the water framework directive and the floods directive ", qui indique que lorsque de telles activités n'ont sur l'état d'une masse d'eau qu'un impact temporaire de courte durée et sans conséquences de long terme sur cet état, l'activité en cause peut être autorisée sans que cette autorisation ne soit subordonnée au respect des conditions cumulatives posées par le paragraphe 7 de l'article 4 de la directive.

7. Dans ces conditions, la réponse au moyen soulevé par l'association requérante tiré de la méconnaissance de l'article 4 de la directive du 23 octobre 2000 dépend de la question de savoir si, compte tenu de l'objectif de prévention de la détérioration de la qualité des eaux de surface qui doit conduire les Etats membres à refuser, sauf octroi d'une dérogation, l'autorisation d'un projet particulier lorsqu'il est susceptible de provoquer une détérioration de l'état d'une masse d'eau de surface ou lorsqu'il compromet l'obtention d'un bon état des eaux de surface ou d'un bon potentiel écologique et d'un bon état chimique de telles eaux, l'autorité administrative peut ne pas tenir compte des impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme des programmes et projets soumis à son autorisation et, dans l'affirmative, dans quelles conditions et limites.

8. Cette question présentant une difficulté sérieuse d'interprétation du droit de l'Union européenne, il y a lieu de la renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne, en application de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, et, jusqu'à ce que celle-ci se soit prononcée, de surseoir à statuer sur la requête.






D E C I D E :
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Article 1er : Il est sursis à statuer sur la requête de l'association France Nature Environnement jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur les questions suivantes :
- l'article 4 de la directive n° 2000/60/ CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 doit-il être interprété comme permettant aux Etats membres, lorsqu'ils autorisent un programme ou un projet, de ne pas prendre en compte leurs impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme sur l'état de l'eau de surface '
- dans l'affirmative quelles conditions ces programmes et projets devraient-ils remplir au sens de l'article 4 de la directive et en particulier de ses paragraphes 6 et 7 '
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association France Nature Environnement, au Premier ministre et à la ministre de la transition écologique et à la Cour de justice de l'Union européenne.