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Ariane Web: Conseil d'État 433243, lecture du 13 novembre 2020, ECLI:FR:CECHR:2020:433243.20201113

Décision n° 433243
13 novembre 2020
Conseil d'État

N° 433243
ECLI:FR:CECHR:2020:433243.20201113
Inédit au recueil Lebon
10ème - 9ème chambres réunies
M. Réda Wadjinny-Green, rapporteur
M. Laurent Domingo, rapporteur public
SCP SPINOSI, SUREAU, avocats


Lecture du vendredi 13 novembre 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 2 août 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Section française de l'Observatoire international des prisons demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites par lesquelles la garde des sceaux, ministre de la justice a rejeté sa demande tendant à la mise en oeuvre des recommandations formulées par le Défenseur des droits dans sa décision n° 2018-305 du 27 décembre 2018 relative aux modalités techniques de prise de rendez-vous par téléphone pour l'accès des familles et proches de détenus aux parloirs ;

2°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à titre principal de mettre en oeuvre ces recommandations et, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa demande, dans un délai d'un mois ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Réda Wadjinny-Green, auditeur,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de la Section française de l'Observatoire international des prisons ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier qu'après avoir été saisi par un proche d'une personne détenue dans un établissement pénitentiaire ne parvenant pas à prendre de rendez-vous par téléphone pour accéder au parloir de l'établissement pénitentiaire, le Défenseur des droits a conduit une enquête dans treize établissements pénitentiaires situés sur l'ensemble du territoire. Il a constaté que, sur une période de quinze jours, 31% des appels restaient sans réponse et quatre établissements étaient impossibles à joindre. S'agissant des établissements répondant aux appels, les modalités de prise de rendez-vous par téléphone présentaient une grande hétérogénéité. Par une décision du 27 décembre 2018, le Défenseur des droits a estimé que les difficultés persistantes rencontrées par les proches de personnes détenues pour joindre par téléphone les établissements pénitentiaires afin de prendre rendez-vous pour un accès au parloir ainsi que l'hétérogénéité des dispositifs de prise de rendez-vous portaient atteinte au droit des personnes détenues et de leurs proches au respect de leur vie privée et familiale et caractérisaient une rupture d'égalité devant le service public pénitentiaire. Le Défenseur des droits a recommandé à la garde des sceaux, ministre de la justice, d'évaluer les dispositifs techniques de prise de rendez-vous en vigueur pour l'accès au parloir et de mettre en place un système homogène de prise de rendez-vous par téléphone sur l'ensemble du territoire, permettant de garantir l'égal accès des familles et des proches de détenus aux parloirs. Le 20 mai 2019, la Section française de l'Observatoire international des prisons a demandé à la garde des sceaux, ministre de la justice de mettre en oeuvre ces recommandations dans les plus brefs délais. L'association requérante demande l'annulation pour excès de pouvoir du rejet implicite opposé à sa demande.

2. En premier lieu, la décision par laquelle l'administration refuserait de mettre en oeuvre des recommandations émises par le Défenseur des droits n'entre dans aucune des catégories de décisions dont l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration exige la motivation. Il s'ensuit que le moyen tiré du défaut de motivation des décisions attaquées doit être écarté.

3. En second lieu, l'article 35 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire dispose que : " Le droit des personnes détenues au maintien des relations avec les membres de leur famille s'exerce soit par les visites que ceux-ci leur rendent, soit, pour les condamnés et si leur situation pénale l'autorise, par les permissions de sortir des établissements pénitentiaires. Les prévenus peuvent être visités par les membres de leur famille ou d'autres personnes, au moins trois fois par semaine, et les condamnés au moins une fois par semaine ".

4. Il appartient aux seules autorités compétentes de déterminer, parmi les mesures juridiques, financières, techniques ou d'organisation qui sont susceptibles d'être prises, celles qui sont les mieux à même d'assurer le respect des obligations qui leur incombent. Le refus de prendre une mesure déterminée ne saurait être regardé comme entaché d'illégalité au seul motif que la mise en oeuvre de cette mesure serait susceptible de concourir au respect de ces obligations. Il ne saurait en aller autrement que dans l'hypothèse où l'édiction de la mesure sollicitée se révélerait nécessaire au respect de l'obligation en cause et où l'abstention de l'autorité compétente exclurait, dès lors, qu'elle puisse être respectée.

5. Il ne ressort pas des pièces du dossier que les mesures recommandées par le Défenseur des droits et dont l'association requérante a demandé la mise en oeuvre soient les seules à même de garantir le respect des obligations qui pèsent sur l'administration pénitentiaire au titre de l'article 35 de la loi du 24 novembre 2009. Ainsi qu'il a été dit au point précédent, le refus de prendre ces mesures ne saurait être regardé comme entaché d'illégalité au seul motif que leur mise en oeuvre serait susceptible de concourir au respect de ces obligations. L'association requérante n'est, dès lors, pas fondée à soutenir que le refus implicite qu'elle attaque méconnaîtrait, par lui-même, le droit au respect de la vie privée et familiale et le principe d'égalité devant le service public pénitentiaire.

6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de la requête ou sur les conclusions à fin de non-lieu opposées en défense, que la requête de la Section française de l'Observatoire international des prisons doit être rejetée. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente affaire, la partie perdante.


D E C I D E :
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Article 1er : La requête de la Section française de l'Observatoire international des prisons est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la Section française de l'Observatoire international des prisons et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Copie en sera adressée au Défenseur des droits.




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