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Ariane Web: Conseil d'État 428844, lecture du 20 novembre 2020, ECLI:FR:CECHR:2020:428844.20201120

Décision n° 428844
20 novembre 2020
Conseil d'État

N° 428844
ECLI:FR:CECHR:2020:428844.20201120
Inédit au recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Jean-Yves Ollier, rapporteur
Mme Mireille Le Corre, rapporteur public
SCP FOUSSARD, FROGER ; SCP NICOLAY, DE LANOUVELLE, HANNOTIN ; SCP RICHARD, avocats


Lecture du vendredi 20 novembre 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une décision du 20 décembre 2019, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a prononcé l'admission des conclusions du pourvoi de la régie des transports métropolitains (RTM) dirigées contre l'arrêt n°s 15MA03522, 15MA03716, 15MA03726 du 14 janvier 2019 de la cour administrative d'appel de Marseille en tant seulement que cet arrêt a statué sur ses conclusions tendant au paiement de pénalités de retard.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code des marchés publics ;
la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 ;
- le décret n° 80-809 du 14 octobre 1980 ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Yves Ollier, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la régie des transports métropolitains, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la société Thalès Six GTS France et à la SCP Richard, avocat de la société SNEF ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 10 novembre 2020, présentée par la société Thalès Six GTS France ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 10 novembre 2020, présentée par la société SNEF ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'au terme d'une procédure d'appel d'offres sur performances et par acte d'engagement du 1er juin 2001, notifié le 20 juillet suivant, la régie des transports de Marseille, devenue la régie des transports métropolitains (RTM), a confié à un groupement d'entreprises composé de la société Alcatel CGA Transport, mandataire, aux droits de laquelle est venue la société Thalès Communications et Security, désormais dénommée Thalès Six GTS France, ainsi que des sociétés SLE et SNEF, le lot n° 1 d'un marché public industriel portant sur " la conception, le développement, le déploiement et la maintenance d'un outil informatique intégré de gestion de la sécurité, d'exploitation et d'information des voyageurs de la flotte d'autobus de la régie des transports de Marseille ". La réception des travaux a été prononcée le 11 décembre 2007, avec réserves et effet rétroactif au 19 avril précédent. Leur exécution ayant connu plusieurs retards et des désaccords persistant entre les parties, un expert a été désigné le 15 juillet 2009 par le juge des référés du tribunal administratif de Marseille, sur demande de la régie des transports de Marseille. L'expert a rendu son rapport définitif le 29 juillet 2011. Le tribunal administratif de Marseille a, par un jugement du 28 juillet 2016, rejeté les demandes dont il était saisi par les différentes parties au motif qu'elles étaient irrecevables du fait de l'expiration des délais de contestation du décompte fixés par l'article 11.32 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics industriels. Par un arrêt du 14 janvier 2019 contre lequel la RTM et, par la voie incidente, les sociétés Thalès Six GTS France et SNEF se pourvoient en cassation, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé ce jugement en tant qu'il a rejeté les demandes présentées par les sociétés Thalès Communications et Security et SNEF et a condamné la RTM à verser, respectivement, aux sociétés Thalès Communications et Security et SNEF les sommes de 1 004 627,27 euros et 161 593,97 euros assorties des intérêts.


Sur le pourvoi de la RTM :

2. Aux termes de l'article 11.3 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics industriels (" CCAG-MI "), dans sa version applicable au litige issue du décret du 14 octobre 1980 : " 11.31. Après réception (...) des prestations faisant l'objet du marché (...), le titulaire doit adresser à la personne responsable du marché le projet de décompte correspondant aux prestations fournies. / Le montant du décompte est arrêté par la personne responsable du marché ; si celle-ci modifie le projet de décompte présenté par le titulaire, elle lui notifie le décompte retenu. / Si le projet de décompte, malgré une mise en demeure formulée par la personne responsable du marché, n'a pas été produit dans un délai de trois mois à partir de la réception des prestations, la personne publique est fondée à procéder à la liquidation sur la base d'un décompte établi par ses soins. Celui-ci est notifié au titulaire. / 11.32. Toute réclamation sur un décompte doit être présentée par le titulaire à la personne publique dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la notification du décompte. / Passé ce délai, le titulaire est réputé avoir accepté le décompte qui lie définitivement les parties, sauf en ce qui concerne le montant des intérêts moratoires. / A l'occasion de la notification d'un décompte pour solde ou pour paiement partiel définitif, le titulaire n'est admis à présenter aucune réclamation sur les pénalités, sur les révisions ou actualisations de prix pour lesquelles il a donné son acceptation ou qu'il est réputé avoir acceptées à l'occasion de la notification des décomptes antérieurs ". Aux termes de l'article 26 du même cahier, relatif aux " pénalités de retard ", alors applicable : " (...) 26.3. Le décompte des pénalités est notifié au titulaire qui est admis à présenter ses observations à la personne responsable du marché dans un délai d'un mois à compter de la notification de ce décompte. / Passé ce délai d'un mois, le titulaire est réputé avoir accepté les pénalités ".

3. Les dispositions de l'article 26 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics industriels, qui viennent d'être citées et qui étaient applicables au litige, ouvrent au pouvoir adjudicateur la faculté, dans les conditions de forme et de délai qu'elles énoncent, de rendre définitives les pénalités de retard dont il notifie le décompte spécial au titulaire en cours d'exécution du marché, avant l'établissement du décompte prévu à l'article 11.3 du même cahier. En l'absence de mise en oeuvre de cette faculté, il appartient aux cocontractants d'arrêter le décompte général du marché, incluant, le cas échéant, le montant des pénalités de retard, dans le cadre de la procédure prévue par ce dernier article. Lorsque le juge est appelé à arrêter le solde du marché, la personne publique peut lui demander de prononcer ces pénalités. Dès lors, en jugeant que la RTM ne pouvait pas lui demander d'infliger au titulaire des pénalités de retard dans le cadre du décompte général faute d'avoir mis en oeuvre au préalable la procédure spéciale de l'article 26.3, la cour administrative d'appel de Marseille a commis une erreur de droit.

4. Si la société Thalès Six GTS France demande au Conseil d'Etat de substituer au motif retenu par la cour un motif tiré de la tardiveté de la demande de la RTM, l'examen d'une telle demande suppose l'appréciation de circonstances de fait à laquelle le juge de cassation ne peut se livrer. Il s'ensuit que cette demande ne peut être accueillie. Dès lors, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que la RTM est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque en tant qu'il a statué sur ses conclusions tendant au paiement de pénalités de retard.


Sur les pourvois incidents :

5. En premier lieu, en retenant que la lettre du 30 septembre 2009 adressée par la RTM en réponse au projet de décompte final que lui avait transmis le groupement d'entreprises le 9 juillet 2009 ne pouvait être regardée comme valant décompte général au sens du cahier des clauses administratives générales applicable au marché en litige, la cour administrative d'appel de Marseille, qui a notamment relevé que ce courrier rejetait les demandes indemnitaires du groupement y figurant, en ne prenant pas expressément parti sur le surplus de ce projet de décompte final et en renvoyant à de futures expertises, a porté sur son contenu une appréciation souveraine exempte de dénaturation et n'a pas commis d'erreur de droit.

6. En deuxième lieu, en estimant que le préjudice subi par la RTM au titre de la mauvaise exécution du marché à la suite du dysfonctionnement du système " MID SAE " s'élevait à 30 000 euros, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt sur ce point, s'est livrée à une appréciation souveraine des faits de l'espèce et n'a pas commis d'erreur de droit.

7. En troisième lieu, si, comme elle l'a relevé sans méconnaître la portée des écritures qui lui étaient soumises, de nombreux retards ont ralenti l'exécution du marché, la cour n'a ni insuffisamment motivé son arrêt ni dénaturé les pièces du dossier en jugeant que de tels retards n'étaient pas en eux-mêmes constitutifs d'un bouleversement de l'économie du contrat.

8. En quatrième lieu, en constatant, pour écarter le moyen tiré de ce que la RTM aurait commis une faute contractuelle en demandant à la société SNEF de procéder au câblage de véhicules de types différents de ceux qui étaient énumérés dans le programme fonctionnel annexé au marché, qu'aucune obligation n'était mise à la charge de la RTM sur ce point, la cour administrative d'appel de Marseille, qui a suffisamment motivé son arrêt, n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce en jugeant que la RTM n'avait manqué à aucune de ses obligations contractuelles en la matière. De même, en relevant que l'article 5.4.1 du programme fonctionnel détaillé du marché prévoyait seulement que " la RTM s'engage à mettre à disposition un maximum de 3 véhicules d'exploitation par dépôt " sans autre précision quant aux modalités de cette mise à disposition, et en en déduisant, alors même que le rapport d'expertise judiciaire notait des difficultés permanentes de la société SNEF à obtenir la mise à disposition de certains véhicules, que les sociétés titulaires du marché ne pouvaient reprocher à la régie de ne pas avoir fourni chaque jour huit véhicules à équiper, la cour, qui a pris en compte les différents griefs adressés à la RTM par ses cocontractantes et suffisamment motivé son arrêt, n'a ni commis d'erreur de droit ni inexactement qualifié les fais de l'espèce en jugeant qu'ils n'étaient pas constitutifs d'une faute contractuelle.

9. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, notamment du rapport d'expertise selon lequel " les nombreuses augmentations de travaux sont inhérentes aux contraintes d'exploitation et d'organisation " et " qu'il serait anormal d'imputer ces augmentations de tâches à l'une ou l'autre des parties ", que la cour, qui a écarté les demandes des sociétés titulaires du marché tendant au paiement de prestations supplémentaires que celles-ci estimaient indispensables en relevant que les travaux en question n'excédaient pas les prévisions contractuelles, a porté sur les faits de l'espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation.

10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la RTM, que les pourvois incidents doivent être rejetés.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge respective des sociétés Thales Six GTS France et SNEF une somme de 1 500 euros à verser à la RTM, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font en revanche obstacle à ce que soit mise à la charge de la RTM, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, les sommes que demandent au même titre ces deux sociétés.


D E C I D E :
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Article 1er : L'arrêt du 14 janvier 2019 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions de la régie des transports de Marseille, devenue la régie des transports métropolitains, tendant au paiement de pénalités de retard.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la mesure de la cassation prononcée, devant la cour administrative d'appel de Marseille.
Article 3 : Les pourvois incidents des sociétés Thalès Six GTS France et SNEF ainsi que leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 4 : Les sociétés Thalès Six GTS France et SNEF verseront chacune la somme de 1 500 euros à la régie des transports métropolitains au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la régie des transports métropolitains (RTM) et aux sociétés Thalès Six GTS France et SNEF.
Copie en sera adressée à Me A... B..., liquidateur de la société SLE.