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Ariane Web: Conseil d'État 429381, lecture du 26 janvier 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:429381.20210126

Décision n° 429381
26 janvier 2021
Conseil d'État

N° 429381
ECLI:FR:CECHR:2021:429381.20210126
Mentionné aux tables du recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
Mme Cécile Isidoro, rapporteur
M. Laurent Cytermann, rapporteur public
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO, avocats


Lecture du mardi 26 janvier 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge de son obligation de payer résultant des neuf mises en demeure émises le 29 mai 2015 en vue du paiement de cotisations d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux dont il était redevable au titre des années 1998 à 2005 pour un total de 409 688,13 euros. Par un jugement n° 1518615/2-1 du 10 octobre 2017, le tribunal administratif a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 17PA03717 du 6 février 2019, la cour administrative d'appel de Paris a, sur appel de M. A..., annulé ce jugement en tant qu'il a statué sur les " frais " qui lui ont été réclamés par les mises en demeure du 29 mai 2015, déchargé l'intéressé de l'obligation de payer les sommes réclamées par ces mises en demeure au titre des " frais " à hauteur de 101 842 euros et les sommes réclamées au titre de l'impôt sur le revenu et des contributions sociales des années 1998 à 2000 ainsi que les sommes réclamées au titre de l'impôt sur le revenu et des contributions sociales des années 2002 et 2003 mis en recouvrement en 2004 avec les frais correspondants, réformé le jugement précité en ce qu'il avait de contraire et, enfin, rejeté le surplus des conclusions de la requête d'appel de M. A....

Procédure devant le Conseil d'Etat

1° - Sous le n° 429381, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 3 avril et 2 juillet 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il lui est défavorable ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire entièrement droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



2°- Sous le n° 429410, par un pourvoi enregistré le 3 avril 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'action et des comptes publics demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt en tant qu'il lui est défavorable ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de M. A....

....................................................................................


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention conclue entre la France et la Suisse le 9 septembre 1996 en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, modifiée ;
- la directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de procédure civile ;
- le code de justice administrative et le décret n°2020-1406 du 18 novembre 2020 ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Cécile Isidoro, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano, avocat de M. A... ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 1er décembre 2020, présentée par M. A... ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que neuf mises en demeure valant commandement de payer ont été émises le 29 mai 2015 à l'encontre de M. A..., qui réside habituellement en Suisse, en vue du paiement de cotisations d'impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux dues au titre des années 1998 à 2005. M. A... a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge de son obligation de payer résultant de ces mises en demeure. Par un jugement du 10 octobre 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par un arrêt du 6 février 2019, la cour administrative d'appel a, sur appel de l'intéressé, annulé ce jugement en tant qu'il a statué sur les " frais " qui lui ont été réclamés par les mises en demeure précitées, déchargé l'intéressé de l'obligation de payer les sommes réclamées au titre des " frais " par ces mises en demeure à hauteur de 101 842 euros et les sommes réclamées au titre de l'impôt sur le revenu et des contributions sociales des années 1998 à 2000 ainsi que les sommes réclamées au titre de l'impôt sur le revenu et des contributions sociales des années 2002 et 2003 mis en recouvrement en 2004 avec les frais correspondants et rejeté le surplus de ses conclusions d'appel. Par des pourvois enregistrés sous les n° 429381 et 429410, M. A... et le ministre de l'action et des comptes publics demandent, respectivement, l'annulation de l'article 6 et des articles 3 et 4 de cet arrêt. Il y a lieu de joindre ces pourvois pour statuer par une seule décision.

Sur le pourvoi du ministre :

2. Aux termes de l'article L. 257-0 B du livre des procédures fiscales : " 1. La mise en demeure de payer prévue à l'article L. 257-0 A est précédée d'une lettre de relance lorsqu'aucune autre défaillance de paiement n'a été constatée pour un même contribuable au titre d'une même catégorie d'impositions au cours des trois années précédant la date limite de paiement ou la date de mise en recouvrement de l'imposition dont le recouvrement est poursuivi. / (...) / 2. Lorsque la lettre de relance prévue au 1 n'a pas été suivie de paiement et en l'absence d'une réclamation assortie d'une demande de sursis de paiement formulée dans les conditions prévues au premier alinéa de l'article L. 277, le comptable public compétent peut, à l'expiration d'un délai de trente jours suivant sa notification, adresser une mise en demeure de payer. Dans ce cas, le comptable public compétent peut engager des poursuites à l'expiration d'un délai de huit jours suivant la notification de la mise en demeure de payer ". Aux termes de l'article L. 258 A du même livre : " Sous réserve des dispositions de l'article L. 260, les poursuites prévues au 2 des articles L. 257-0 A et L. 257-0 B sont effectuées dans les formes prévues par le code de procédure civile pour le recouvrement des créances. ". Aux termes de l'article 683 du code de procédure civile : " Sous réserve de l'application des règlements communautaires et des traités internationaux, la transmission des actes judiciaires et extrajudiciaires à l'étranger est faite par voie de notification ou de signification internationales dans les conditions prévues par la présente sous-section. ". Aux termes de l'article 684 du même code : " L'acte destiné à être notifié à une personne ayant sa résidence habituelle à l'étranger est remis au parquet, sauf dans les cas où un règlement communautaire ou un traité international autorise l'huissier de justice ou le greffe à transmettre directement cet acte à son destinataire ou à une autorité compétente de l'Etat de destination ".

3. Il appartient au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative au recouvrement d'une créance fiscale auprès d'un débiteur qui ne réside pas habituellement en France, de déterminer si une norme communautaire ou un traité international autorise des modalités de notification ou de signification à l'étranger des actes pris dans le cadre de la procédure en cause qui dérogent aux modalités qui sont prévues, en l'absence de tels textes, par les dispositions précitées.

4. Aux termes de l'article 2 de la convention conclue entre la France et la Suisse le 9 septembre 1996 en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune : " (...) / 3. Les impôts actuels auxquels s'applique la Convention sont : / (...) a) L'impôt sur le revenu ; / (...) /4. La Convention s'appliquera aussi aux impôts futurs de nature identique ou analogue qui s'ajouteraient aux impôts actuels ou qui les remplaceraient. (...) ". Aux termes de l'article 28 bis de la convention, dans la rédaction issue de son avenant du 27 août 2009 qui a été rendue applicable à toute créance non prescrite, selon le droit de l'Etat requérant, au 4 novembre 2010 : " 1. Les Etats contractants se prêtent mutuellement assistance pour la notification des actes et documents relatifs au recouvrement des impôts visés par la Convention (...). / 2. Un Etat peut faire procéder directement par voie postale à la notification d'un document à une personne se trouvant sur le territoire de l'autre Etat. Les notifications sont adressées par envoi recommandé avec accusé de réception. Le destinataire est réputé avoir été informé de la notification à la date de présentation du pli (...) ".

5. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, d'une part, que les sommes réclamées au titre de l'impôt sur le revenu et des contributions sociales établis au titre des années 1998 à 2000 avec les frais correspondants avaient fait l'objet d'un commandement de payer du 6 août 2009 ayant interrompu la prescription en matière de recouvrement et, d'autre part, que, s'agissant des sommes réclamées au titre de l'impôt sur le revenu et des contributions sociales des années 2002 et 2003 mis en recouvrement en 2004 avec les frais correspondants, la prescription avait été interrompue par un contentieux d'assiette clos par un jugement du 21 juin 2010. Il ressort, par ailleurs, des écritures d'appel que M. A... soutenait que les mises en demeure du 12 décembre 2012 visant, en application du 2 de l'article 257-0 B du livre des procédures fiscales, à obtenir le paiement des sommes précitées, n'avaient pas eu d'effet interruptif de prescription dès lors qu'elles ne lui avaient été transmises en Suisse, où il résidait habituellement, que par la voie d'une notification postale par envoi recommandé, dont il n'avait pas retiré le pli, et non par l'intermédiaire du parquet, comme l'exigeaient, selon lui, les dispositions précitées de l'article 684 du code de procédure civile. En accueillant ce moyen au motif que le ministre ne se prévalait pas de stipulations d'une convention fiscale bilatérale entre la France et la Suisse permettant de faire exception à l'obligation de transmission par le parquet, la cour, à qui il appartenait de faire application des stipulations visées au point précédent, a commis une erreur de droit.

6. Par suite, le ministre à l'encontre duquel le requérant ne peut utilement invoquer ni les stipulations du paragraphe 3 de l'article 28 bis de la convention conclue entre la France et la Suisse le 9 septembre 1996, qui sont relatives à l'échec de la procédure prévue au paragraphe 2 de cet article et qui sont inapplicables au cas d'espèce, ni le principe de l'estoppel, selon lequel une partie ne saurait se prévaloir de prétentions contradictoires au détriment de ses adversaires, est fondé à demander l'annulation des articles 3 et 4 de l'arrêt qu'il attaque.

Sur le pourvoi de M. A... :

En ce qui concerne les sommes réclamées au titre des contributions sociales de l'année 2003 mises en recouvrement en 2005, avec les frais correspondants :

7. Aux termes de l'article L. 274 du livre des procédures fiscales : " Les comptables publics des administrations fiscales qui n'ont fait aucune poursuite contre un redevable pendant quatre années consécutives à compter du jour de la mise en recouvrement du rôle ou de l'envoi de l'avis de mise en recouvrement sont déchus de tous droits et de toute action contre ce redevable. / Le délai de prescription de l'action en recouvrement prévu au premier alinéa est augmenté de deux années pour les redevables établis dans un État non membre de l'Union européenne avec lequel la France ne dispose d'aucun instrument juridique relatif à l'assistance mutuelle en matière de recouvrement ayant une portée similaire à celle prévue par la directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010 concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures ".

8. Aux termes de l'article 8 de la directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010 concernant l'assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures : " 1. À la demande de l'autorité requérante, l'autorité requise notifie au destinataire l'ensemble des documents, y compris ceux comportant une dimension judiciaire, qui émanent de l'État membre requérant et qui se rapportent à une créance visée à l'article 2 ou au recouvrement de celle-ci / (...) /2. L'autorité requérante n'introduit de demande de notification au titre du présent article que si elle n'est pas en mesure de procéder à la notification conformément aux dispositions régissant la notification du document concerné dans l'État membre requérant (...) "

9. Il appartient au juge de l'impôt, lorsqu'il est saisi d'une contestation relative au recouvrement d'une créance fiscale auprès d'un débiteur qui ne réside habituellement ni en France ni dans un autre Etat membre, de déterminer si un instrument juridique relatif à l'assistance mutuelle en matière de recouvrement ayant une portée similaire à celle de la directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010 est applicable à l'intéressé, auquel cas celui-ci n'est soumis qu'au délai de prescription de quatre années prévu par le premier alinéa de l'article L. 274 du livre des procédures fiscales.

10. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, pour les sommes réclamées au titre des contributions sociales de l'année 2003 mises en recouvrement en 2005, la prescription du recouvrement avait été interrompue par le contentieux d'assiette clos par un jugement du 21 juin 2010. Il résulte, par ailleurs, des écritures d'appel que M. A... soutenait que la créance correspondante était prescrite à la date des mises en demeure du 29 mai 2015. Pour écarter ce moyen, la cour s'est fondée sur les dispositions citées au point 7 du second alinéa de l'article L. 274 du livre des procédures fiscales, qui portent à six ans le délai de prescription en matière de recouvrement. Toutefois, en jugeant à cette fin qu'il ne résulte d'aucune stipulation conventionnelle entre la France et la Suisse que les deux pays disposeraient d'un instrument juridique relatif à l'assistance mutuelle en matière de recouvrement de l'impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux sur le revenu, alors que les stipulations citées au point 4 de l'article 28 bis de la convention conclue entre la France et la Suisse le 9 septembre 1996, qui ont une portée similaire à celle de la directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010, étaient applicables en l'espèce, la cour a commis une erreur de droit.

En ce qui concerne les autres sommes réclamées :

11. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, s'agissant des sommes mises en recouvrement en 2005 au titre de l'impôt sur le revenu pour les années 2001 à 2003, avec les frais correspondants, M. A... avait soulevé un moyen similaire à celui qui est mentionné au point précèdent et soutenu qu'elles avaient fait l'objet d'un dégrèvement partiel. Si elle a rejeté le surplus de ses conclusions, la cour a entaché son arrêt d'insuffisance de motivation en s'abstenant de répondre à ces moyens. En revanche, dès lors que M. A... n'avait pas soulevé de moyen en appel à propos des sommes mises en recouvrement en 2003, 2006 et 2007, il n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt en tant qu'il aurait omis de se prononcer sur ces sommes.

12. Il résulte de ce qui précède que M. A... est seulement fondé à demander l'annulation de l'article 6 de l'arrêt attaquée en tant qu'il porte sur les sommes mises en recouvrement en 2005 au titre de l'impôt sur le revenu pour les années 2001 à 2003 ainsi qu'au titre des contributions sociales de l'année 2003, avec les frais correspondants.

13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, les sommes que demande M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : Les articles 3 et 4 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 6 février 2019 ainsi que son article 6 en tant qu'il porte sur les sommes mises en recouvrement en 2005 au titre de l'impôt sur le revenu pour les années 2001 à 2003 ainsi qu'au titre des contributions sociales de l'année 2003, avec les frais correspondants, sont annulés.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Paris.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administration sont rejetées.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi de M. A... est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à M. A....


Voir aussi