Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 439764, lecture du 28 janvier 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:439764.20210128

Décision n° 439764
28 janvier 2021
Conseil d'État

N° 439764
ECLI:FR:CECHR:2021:439764.20210128
Publié au recueil Lebon
1ère - 4ème chambres réunies
Mme Manon Chonavel, rapporteur
M. Vincent Villette, rapporteur public


Lecture du jeudi 28 janvier 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête, neuf nouveaux mémoires et un mémoire en réplique, enregistrés les 25 mars, 8, 9, 16 et 20 avril, 1er et 13 mai, 5 et 10 juin, 8 août et 14 décembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... F..., M. G... Q..., Mme A... M..., M. J... K..., Mme H... I..., ainsi qu'à compter du premier nouveau mémoire, Mme N... D..., Mme O... R... et Mme P... B..., demandent au Conseil d'Etat, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, l'article 12-2 du décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire dans sa rédaction issue du décret n° 2020-337 du 26 mars 2020 et l'article 19 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, en tant qu'ils interdisent aux personnes qui présentent des symptômes de covid-19 mais ne sont pas hospitalisées et ne sont pas atteintes d'une affection rendant nécessaire une réanimation d'avoir accès, y compris en régime ambulatoire, à un traitement par hydroxychloroquine et azithromycine et, d'autre part, l'article 1er du décret n° 2020-630 du 26 mai 2020 modifiant le décret du 11 mai 2020 et abrogeant son article 19 ;

2°) d'enjoindre au Gouvernement de prendre sans délai toute mesure utile pour garantir un approvisionnement suffisant en hydroxychloroquine et azithromycine au profit des patients pour lesquels ce traitement serait médicalement justifié ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'environnement
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 ;
- le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-314 du 25 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-337du 26 mars 2020
- le décret n° 2020-545 du 11 mai 2020 ;
- le décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 ;
- le décret n° 2020-630 du 26 mai 2020 ;
- le décret n° 2020-663 du 31 mai 2020 ;
- l'arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d'organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence ;
- l'arrêté du 26 mai 2020 complétant l'arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d'organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme E... L..., auditrice,

- les conclusions de M. Vincent Villette, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

Sur le cadre juridique :

1. En premier lieu, l'article L. 5121-8 du code de la santé publique dispose que : " Toute spécialité pharmaceutique (...) doit faire l'objet, avant sa mise sur le marché ou sa distribution à titre gratuit, d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. L'autorisation peut être assortie de conditions appropriées (...) ". L'article L. 5121-12-1 du même code prévoit que : " I.- Une spécialité pharmaceutique peut faire l'objet d'une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché en l'absence de spécialité de même principe actif, de même dosage et de même forme pharmaceutique disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation dans l'indication ou les conditions d'utilisation considérées, sous réserve qu'une recommandation temporaire d'utilisation établie par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé sécurise l'utilisation de cette spécialité dans cette indication ou ces conditions d'utilisation. (...) / En l'absence de recommandation temporaire d'utilisation dans l'indication ou les conditions d'utilisation considérées, une spécialité pharmaceutique ne peut faire l'objet d'une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché qu'en l'absence d'alternative médicamenteuse appropriée disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation et sous réserve que le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l'état clinique de son patient. / (...) ". Aux termes de l'article R. 4127-8 de ce code : " Dans les limites fixées par la loi et compte tenu des données acquises de la science, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu'il estime les plus appropriées en la circonstance. / Il doit, sans négliger son devoir d'assistance morale, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l'efficacité des soins. / Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles ".

2. En deuxième lieu, l'article L. 3131-12 inséré dans le code de la santé publique par la loi du 23 mars 2020 prévoit que : " L'état d'urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire (...) en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ". D'une part, aux termes du I de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique : " Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : / (...) / 9° En tant que de besoin, prendre toute mesure permettant la mise à la disposition des patients de médicaments appropriés pour l'éradication de la catastrophe sanitaire (...) ". Aux termes du III du même article : " Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires ". D'autre part, aux termes du premier alinéa de l'article L. 3131-16 du code de la santé publique : " Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le ministre chargé de la santé peut prescrire, par arrêté motivé, toute mesure réglementaire relative à l'organisation et au fonctionnement du dispositif de santé, à l'exception des mesures prévues à l'article L. 3131-15, visant à mettre fin à la catastrophe sanitaire mentionnée à l'article L. 3131-12. ". Aux termes du troisième alinéa du même article : " Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement nécessaires et proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires ". Ces dispositions, dans leur rédaction initiale issue de la loi du 23 mars 2020, puis dans leur rédaction citée ci-dessus issue de la loi du 11 mai 2020, qui s'est bornée à en réorganiser la présentation, étaient applicables à la date d'édiction des décrets attaqués par l'effet de l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 puis de l'article 1er de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions, qui ont déclaré puis prorogé l'état d'urgence sanitaire.

Sur les circonstances :

3. L'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. La propagation du virus sur le territoire français a conduit le ministre des solidarités et de la santé puis le Premier ministre à prendre, à compter du 4 mars 2020, des mesures de plus en plus strictes destinées à réduire les risques de contagion. Le législateur, par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, a déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois à compter du 24 mars 2020, puis, par l'article 1er de la loi du 11 mai 2020 prorogeant l'état d'urgence sanitaire et complétant ses dispositions, a prorogé cet état d'urgence sanitaire jusqu'au 10 juillet 2020 inclus. Au vu de l'évolution de la situation sanitaire, de nouvelles mesures générales ont été adoptées par deux décrets du 11 mai 2020, puis par un décret du 31 mai 2020, pour assouplir progressivement les sujétions imposées afin de faire face à l'épidémie.

4. Le sulfate d'hydroxychloroquine est commercialisé par le laboratoire Sanofi sous le nom de marque de Plaquenil, en vertu d'une autorisation de mise sur le marché initialement délivrée le 27 mai 2004, avec pour indications thérapeutiques le traitement symptomatique d'action lente de la polyarthrite rhumatoïde, le lupus érythémateux discoïde, le lupus érythémateux subaigu, le traitement d'appoint ou prévention des rechutes des lupus systémiques et la prévention des lucites.

5. A la suite d'un avis sur les recommandations thérapeutiques dans la prise en charge du covid-19 du 23 mars 2020 du Haut Conseil de la santé publique, le Premier ministre, par un décret du 25 mars 2020, modifié par un décret du 26 mars, a complété d'un article 12-2 le décret du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire pour prévoir notamment les conditions dans lesquelles l'hydroxychloroquine peut être prescrite, dispensée et administrée aux patients atteints de covid-19, en dehors des indications de l'autorisation de mise sur le marché du Plaquenil. A ce titre, d'une part, par dérogation aux dispositions du code de la santé publique relatives aux autorisations de mise sur le marché, il a autorisé la prescription, la dispensation et l'administration sous la responsabilité d'un médecin, de l'hydroxychloroquine aux patients atteints de covid-19, dans les établissements de santé qui les prennent en charge, ainsi que, pour la poursuite de leur traitement si leur état le permet et sur autorisation du prescripteur initial, à domicile, en précisant que ces prescriptions interviennent, après décision collégiale, dans le respect des recommandations du Haut Conseil de la santé publique et, en particulier, de l'indication pour les patients atteints de pneumonie oxygéno-requérante ou d'une défaillance d'organe. D'autre part, il a prévu, au cinquième alinéa de cet article 12-2, que : " La spécialité pharmaceutique PLAQUENIL (c), dans le respect des indications de son autorisation de mise sur le marché, et les préparations à base d'hydroxychloroquine ne peuvent être dispensées par les pharmacies d'officine que dans le cadre d'une prescription initiale émanant exclusivement de spécialistes en rhumatologie, médecine interne, dermatologie, néphrologie, neurologie ou pédiatrie ou dans le cadre d'un renouvellement de prescription émanant de tout médecin ".

6. Ces dispositions ont été reprises à l'identique à l'article 17 du décret n° 2020-545 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, qui abroge notamment l'article 12-2 du décret du 23 mars 2020, puis à l'article 19 du décret n° 2020-548 du même jour ayant le même objet, qui abroge le précédent et est entré en vigueur dès sa publication au Journal officiel de la République française le 12 mai 2020.

7. A la suite d'un nouvel avis du Haut Conseil de la santé publique relatif à l'utilisation de l'hydroxychloroquine dans la prise en charge du covid-19 du 24 mai 2020, le Premier ministre a abrogé, par décret du 26 mai 2020, l'article 19 du décret précité et le ministre des solidarités et de la santé a, par un arrêté du même jour pris sur le fondement de l'article L. 3131-16 du code de la santé publique, complété l'arrêté du 23 mars 2020 prescrivant les mesures d'organisation et de fonctionnement du système de santé nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire par un article 6-2 reprenant les dispositions du 5ème alinéa de l'article 12-2 du décret du 23 mars 2020 citées au point 5.

8. Les requérants doivent être regardés comme demandant l'annulation pour excès de pouvoir de l'article 12-2 du décret du 23 mars 2020, de l'article 17 du décret n° 2020-545 du 11 mai 2020 et de l'article 19 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020, en tant qu'ils limitent la prescription, la dispensation et l'administration de l'hydroxychloroquine aux patients pris en charge en établissement de santé et présentant une pneumonie oxygéno-requérante ou une défaillance d'organes, ainsi que de l'article 1er du décret du 26 mai 2020 en tant qu'il abroge l'article 19 du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020 modifié.

Sur les données acquises de la science à la date des dispositions contestées:

9. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier qu'une étude chinoise, publiée au début du mois de mars 2020, a documenté l'activité in vitro de l'hydroxychloroquine sur le virus responsable du covid-19. Une recherche a ensuite été conduite, du 5 au 16 mars 2020, par une équipe de l'institut hospitalo-universitaire Méditerranée infection en utilisant l'hydroxychloroquine en association avec un antibiotique, l'azithromycine, chez vingt-six patients, dont les auteurs déduisent que le traitement par hydroxychloroquine est associé à une réduction ou une disparition de la charge virale chez des patients atteints du covid-19 et que cet effet est renforcé par l'azithromycine. A la demande de la direction générale de la santé, le Haut Conseil de la santé publique a rendu, le 23 mars 2020, un avis sur les recommandations thérapeutiques dans la prise en charge du covid-19. Il estime que les résultats de l'étude menée au sein de l'institut hospitalo-universitaire Méditerranée infection, qui doivent être considérés avec prudence en raison du faible effectif de l'étude, incluant en partie des patients asymptomatiques, de l'absence de bras témoin, du critère de jugement uniquement virologique, ne permettent pas de conclure à l'efficacité clinique de l'hydroxychloroquine ou de l'association hydroxychloroquine et azithromycine, et justifient, du fait de son très faible niveau de preuve, la poursuite de la recherche clinique. Par ailleurs cet avis souligne que l'hydroxychloroquine comporte des contre-indications, notamment en cas d'association à d'autres médicaments, et qu'un surdosage peut entraîner des effets indésirables graves pouvant mettre en jeu le pronostic vital. Il indique qu'il est impératif de bien prendre connaissance de ces contre-indications avant toute prescription et que le patient en soit éclairé. Enfin il recommande de surveiller les concentrations plasmatiques et d'assurer un monitoring cardiaque chez les patients recevant ce traitement pour covid-19.

10. En deuxième lieu, si les requérants se prévalent de plusieurs études rendues publiques entre le 25 mars et le 11 mai 2020, il ressort des pièces du dossier que celles-ci souffrent d'insuffisances méthodologiques et ne permettent pas de conclure à l'efficacité clinique de l'hydroxychloroquine pour les patients atteints du covid-19. En particulier, si les requérants se prévalent tout d'abord d'une étude publiée dans le journal scientifique " Travel medicine and infectious disease " portant sur 80 patients pris en charge dans la période du 3 au 31 mars 2020 par l'institut hospitalo-universitaire Méditerranée infection, cette étude observationnelle, menée sans groupe contrôle, ne permet pas de comparer les résultats obtenus avec ceux d'une population présentant les mêmes caractéristiques, pour laquelle l'évolution est le plus souvent favorable, même sans traitement. Les requérants se prévalent ensuite d'une étude randomisée conduite par l'hôpital Renmin de Wuhan en Chine du 4 au 28 février 2020, sur 62 patients, dont les résultats ont été rendus publics le 30 mars 2020 sur une plateforme de prépublication, avant publication par une revue scientifique dotée d'un comité de lecture. Cette étude comporte des limites du fait de sa petite taille, du changement de critères en cours d'étude et de l'absence de certaines informations, notamment quant à l'homogénéité du traitement " standard " administré aux patients. Si les requérants se prévalent également des données rendues publiques le 9 avril 2020 par l'institut hospitalo-universitaire Méditerranée infection à partir de l'observation de 1 061 patients traités par hydroxychloroquine et azithromycine pendant 3 jours ou plus entre le 3 et le 31 mars 2020, les critères d'inclusion dans l'étude ne sont pas connus et l'absence de bras témoin ne permet pas de comparer ces résultats avec ceux d'une population présentant les mêmes caractéristiques, pour laquelle l'évolution est le plus souvent favorable, même sans traitement. Ils mettent également en avant une étude rétrospective réalisée par une équipe de l'hôpital Raymond Poincaré de Garches, conduite du 2 mars au 17 avril 2020 sur 132 patients hospitalisés, dont 45 ont été traités par hydroxychloroquine et azithromycine pendant deux jours ou plus. Toutefois, cette étude ne permet pas de comparer les résultats obtenus entre les patients traités par cette combinaison et le groupe témoin dès lors que celui-ci rassemble des patients ayant reçu divers traitements, comme de l'azythromycine seule ou l'association lopinavir / ritonavir. Enfin, si les requérants se prévalent d'une autre étude chinoise mise en ligne le 1er mai et réalisée sur 568 patients dont 48 ont reçu de l'hydroxychloroquine seule, cette étude rétrospective, réalisée sur des patients bénéficiant de nombreux traitements dans un cadre de soins courants et portant sur des patients hospitalisés depuis 32 jours en moyenne, ne permet pas d'évaluer l'efficacité du traitement.

11. En troisième lieu, le décret du 26 mai 2020 abrogeant l'article 19 du décret du 11 mai 2020 a été pris sur l'avis du Haut conseil de la santé publique du 24 mai 2020 qui s'appuie sur des recommandations internationales et nationales, dont celles de l'Organisation mondiale de la Santé, de l'Infectious Diseases Society of America, des agences gouvernementales de santé des Etats-Unis d'Amérique et du Royaume-Uni et du gouvernement du Canada, mais également sur les données des centres régionaux de pharmacovigilance relatives aux médicaments utilisés chez des patients pris en charge pour une infection au covid-19, sur des données de bibliographie, sur la recommandation temporaire du 23 mai 2020 du groupe exécutif de l'essai clinique Solidarity lancé par l'Organisation mondiale de la Santé et ses partenaires dans le but de trouver un traitement efficace du covid-19 et, enfin, sur les dispositions prises pour l'essai Recovery au Royaume-Uni. Au regard de l'ensemble de ces éléments, après avoir noté que lorsque le médicament a été utilisé en prophylaxie préexposition, l'hydroxychloroquine n'a pas conféré de protection contre l'acquisition de l'infection, le Haut Conseil de la santé publique estime dans cet avis que les données alors disponibles ne sont pas favorables à l'utilisation de l'hydroxychloroquine en dehors du cadre d'essais cliniques aux motifs qu'elles n'apportent pas la preuve d'un bénéfice de l'utilisation de cette spécialité isolément ou en association à un macrolide, comme l'azithromycine, sur l'évolution du covid-19, qu'il existe une toxicité cardiaque de l'hydroxychloroquine, particulièrement en association avec l'azithromycine, et que la balance bénéfice/risque, seule et en association à un macrolide, apparaît défavorable. Le Haut Conseil recommande dès lors, dans l'attente des données issues d'études cliniques prospectives comparatives randomisées, de ne pas utiliser l'hydroxychloroquine, isolément ou en association à un macrolide pour le traitement du covid-19 chez les patients, ambulatoires ou hospitalisés, quel que soit le niveau de gravité. Si les requérants critiquent la fiabilité de l'article publié dans le journal scientifique " The Lancet " le 22 mai 2020, il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que cet article n'a constitué qu'un des nombreux éléments pris en compte par le Haut Conseil de la santé publique pour élaborer son avis.

Sur la légalité des dispositions attaquées :

En ce qui concerne la méconnaissance du principe constitutionnel de précaution :

12. Aux termes de l'article 1er de la Charte de l'environnement : " Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ". Aux termes de son article 5 : " Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en oeuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ". Aux termes du 1° du II de l'article L. 110-1 du code de l'environnement, la protection et la gestion des espaces, ressources et milieux naturels s'inspirent notamment du " principe de précaution, selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable ".

13. Il résulte des dispositions précitées que le principe de précaution s'applique en cas de risque de dommage grave et irréversible pour l'environnement ou d'atteinte à l'environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé. Il ne saurait dès lors être utilement invoqué par les requérants à l'encontre des dispositions qu'ils attaquent, qui ne portent par elles-mêmes aucune atteinte à l'environnement.

En ce qui concerne la méconnaissance de l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique :

14. Il résulte des dispositions de l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique citées au point 1 qu'une spécialité pharmaceutique ne peut faire l'objet d'une prescription non conforme à son autorisation de mise sur le marché qu'en l'absence d'alternative médicamenteuse appropriée disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation et sous réserve que le prescripteur juge indispensable, au regard des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l'état clinique de son patient. Par suite, en l'absence de toute recommandation temporaire d'utilisation et en l'absence d'alternative médicamenteuse appropriée disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation, le Plaquenil ne pouvait être prescrit pour une autre indication que celles de son autorisation de mise sur le marché, rappelées au point 4, qu'à la condition qu'en l'état des données acquises de la science, le prescripteur juge indispensable le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l'état clinique de son patient.

15. Il résulte de ce qui a été dit aux points 9 à 11 que, ni à la date des 25 et 26 mars, ni à celle du 11 mai 2020, les données acquises de la science ne permettaient de conclure, au-delà des essais cliniques ou du cadre hospitalier prévu par les dispositions critiquées, au caractère indispensable du recours à l'utilisation de l'hydroxychloroquine, en dehors des indications de son autorisation de mise sur le marché et en l'absence d'une autorisation temporaire d'utilisation, pour améliorer ou stabiliser l'état clinique des patients atteints par le covid-19. A la date du 26 mai 2020, l'évolution des données acquises de la science ne permettaient pas davantage de conclure au caractère indispensable d'un tel recours en dehors des essais cliniques. Par suite, M. F... et les autres requérants ne sont pas fondés à soutenir que les dispositions qu'ils attaquent méconnaissent l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique.

En ce qui concerne la méconnaissance du principe de libre prescription des médecins :

16. Il résulte des dispositions de l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique, ainsi qu'il a été dit au point 14, qu'en l'absence de toute recommandation temporaire d'utilisation et en l'absence d'alternative médicamenteuse appropriée disposant d'une autorisation de mise sur le marché ou d'une autorisation temporaire d'utilisation, le Plaquenil ne pouvait être prescrit pour une autre indication que celles de son autorisation de mise sur le marché, rappelées au point 4, qu'à la condition que le prescripteur juge indispensable, en l'état des données acquises de la science, le recours à cette spécialité pour améliorer ou stabiliser l'état clinique de son patient.

17. Il résulte de ce qui précède qu'en autorisant la prescription de l'hydroxychloroquine aux patients atteints de covid-19, dans les établissements de santé qui les prennent en charge ainsi que, pour la poursuite de leur traitement si leur état le permet et sur autorisation du prescripteur initial, à domicile, le Premier ministre et le ministre de la santé ont pu légalement préciser, sur le fondement notamment des dispositions citées au point 2 du code de la santé publique relatives à l'état d'urgence sanitaire, compte tenu des données acquises de la science indiquées ci-dessus, les conditions très limitées dans lesquelles le Plaquenil était susceptible d'être prescrit en dehors des indications de son autorisation de mise sur le marché. Il résulte de ce qui a été dit au point 15 que l'abrogation de ces dispositions par le décret du 26 mai 2020 se borne à tirer les conséquences de l'évolution des données acquises de la science à la date de la décision. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions contestées méconnaitraient la liberté de prescription des médecins ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne la proportionnalité des mesures prises :

18. Tout d'abord, il résulte des recommandations mêmes du Haut Conseil de la santé publique, reprises par les dispositions des décrets attaqués des 25 et 26 mars 2020 et du 11 mai 2020, d'une part, que l'indication du traitement à l'hydroxychloroquine est posée dès le premier stade de la maladie nécessitant l'hospitalisation des patients, accompagné, dans la mesure du possible, d'un suivi de l'excrétion virale, d'autre part, que, lorsque cette indication est retenue, le traitement doit être initié le plus rapidement possible, dans le but d'éviter le passage à une forme grave nécessitant un transfert en réanimation, enfin que ces recommandations ne font en rien obstacle, ainsi que le préconise le Haut Conseil, à l'inclusion de patients dans des essais cliniques pour disposer des données permettant d'envisager, en cas d'efficacité et de rapport bénéfice/risque favorable démontrés, une prescription plus large, sur le fondement de l'article L. 5121-12-1 du code de la santé publique, de l'hydroxychloroquine aux patients atteints de covid-19.

19. Ensuite, comme il a été dit aux points 9 et 11, il ressort des pièces du dossier que si, comme le font valoir les requérants, l'usage de l'hydroxychloroquine dans le cadre de son autorisation de mise sur le marché est bien documenté, il peut provoquer des hypoglycémies sévères et entraîner des anomalies ou une irrégularité du rythme cardiaque susceptibles d'engager le pronostic vital et il présente des risques importants en cas d'interaction médicamenteuse. Son administration, si elle peut être le fait de médecins de ville, suppose ainsi non seulement le respect de précautions particulières mais également un suivi spécifique des patients, notamment sur le plan cardiaque.

20. Il ressort enfin des pièces du dossier que les publications de l'équipe de l'institut hospitalo-universitaire Méditerranée infection mentionnée au point 9 ont conduit à une forte augmentation des ventes de Plaquenil en pharmacie d'officine, créant un risque de pénurie, relevé par le Haut Conseil de la santé publique, pour les patients traités par cette spécialité dans les indications de son autorisation de mise sur le marché.

21. Dans ces conditions, les dispositions critiquées ne sauraient être regardées, en ce qu'elles organisent de façon très limitée le recours à l'utilisation de l'hydroxychloroquine en dehors de son autorisation de mise sur le marché et en ce qu'elles réglementent sa dispensation dans les pharmacies d'officine, comme n'étant pas proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances à la date à laquelle elles ont été prises.

En ce qui concerne la méconnaissance du droit à la protection de la santé et du droit à la vie :

22. Si le droit à la protection de la santé, découlant du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et rappelés par les articles L. 1110-1 et L. 1110-5 du code de la santé publique, garantit à toute personne le droit de recevoir les traitements et les soins les plus appropriés, tel qu'appréciés par le médecin, les actes de prévention, d'investigation ou de traitements et de soins ainsi réalisés ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, faire courir au patient de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les dispositions attaquées ne peuvent être regardées comme méconnaissant le droit à la protection de la santé. Les requérants ne sont pas davantage fondés à soutenir qu'elles porteraient atteinte au droit à la vie.

23. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation des dispositions qu'ils attaquent. Leurs conclusions à fin d'injonction et celles qu'ils présentent au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administratives ne peuvent, par suite, qu'être également rejetées.


D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de M. F... et autres est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. C... F..., premier requérant dénommé, et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre et à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.


Voir aussi