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Ariane Web: Conseil d'État 445956, lecture du 4 mars 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:445956.20210304

Décision n° 445956
4 mars 2021
Conseil d'État

N° 445956
ECLI:FR:CECHR:2021:445956.20210304
Mentionné aux tables du recueil Lebon
7ème - 2ème chambres réunies
M. Guillaume Leforestier, rapporteur
M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public


Lecture du jeudi 4 mars 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE




Vu la procédure suivante :

Par un arrêt n° 19VE00256 du 31 août 2020, enregistré le 4 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la cour administrative d'appel de Versailles, avant de statuer sur l'appel formé par M. B... A... contre l'ordonnance n° 1807097 du 26 novembre 2018 par laquelle la présidente du tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande de rappel de solde et de réparation de son préjudice moral, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette requête au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen la question suivante :

En l'état du droit issu notamment des dispositions des articles R. 421-1, R. 421-2 et R. 421-3 du code de justice administrative et des articles R. 4125-1 et R. 4125-10 du code de la défense, à la lumière notamment de la jurisprudence issue de la décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux n° 423273 du 22 mai 2019 et de l'avis du Conseil d'Etat n° 420797 du 30 janvier 2019, un délai de recours est-il susceptible de courir lorsque la saisine de la commission des recours des militaires n'a été suivie d'aucune décision expresse en matière de plein contentieux ' Dans l'affirmative, s'agissant d'une décision implicite relevant du plein contentieux née antérieurement au 1er janvier 2017, selon quelles modalités ce délai a-t-il couru '

Des observations, enregistrées le 7 janvier 2021, ont été présentées par la ministre des armées.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de la défense ;
- le décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Guillaume Leforestier, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Marc Pichon de Vendeuil, rapporteur public ;


REND L'AVIS SUIVANT :

Sur le délai de recours applicable contre les décisions implicites rendues par la commission des recours des militaires en matière de plein contentieux :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction issue de l'article 10 du décret du 2 novembre 2016 portant modification de ce code : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ". S'agissant du délai de recours contre les décisions implicites, le premier alinéa de l'article R. 421-2 du même code dispose que : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet (...) ". Toutefois, l'article R. 421-3 du même code, dans sa rédaction issue du même article 10, dispose que : " l'intéressé n'est forclos qu'après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d'une décision expresse de rejet :/ 1° Dans le contentieux de l'excès de pouvoir, si la mesure sollicitée ne peut être prise que par décision ou sur avis des assemblées locales ou de tous autres organismes collégiaux ; / 2° Dans le cas où la réclamation tend à obtenir l'exécution d'une décision de la juridiction administrative ".

2. Il résulte des termes mêmes du 1° de cet article R. 421-3, tel que modifié par le décret du 2 novembre 2016, dont les dispositions précisent qu'il n'est applicable que dans le contentieux de l'excès de pouvoir, que le délai de recours contentieux de deux mois prévu à l'article R. 421-2 du code de justice administrative à l'égard des décisions implicites de rejet est applicable aux recours formés contre de telles décisions relevant du plein contentieux, y compris lorsqu'ils contestent une décision implicite de rejet prise par ou après avis d'une assemblée locale ou d'un organisme collégial.

3. L'article R. 4125-10 du code de la défense dispose que : " Dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine, la commission notifie à l'intéressé la décision du ministre compétent, ou le cas échéant, des ministres conjointement compétents. La décision prise sur son recours, qui est motivée en cas de rejet, se substitue à la décision initiale. (...) / L'absence de décision notifiée à l'expiration du délai de quatre mois vaut décision de rejet du recours formé devant la commission ". Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que le militaire qui n'a pas reçu notification de la décision du ministre ou des ministres compétents à l'expiration d'un délai de quatre mois à compter de la saisine de la commission des recours des militaires, qui est un organisme collégial pour l'application des dispositions du 1° de l'article R. 421-3 du code de justice administrative, doit, à peine de forclusion, saisir la juridiction administrative de sa demande dans un délai de deux mois si son recours relève du plein contentieux. En revanche, ce délai ne peut être appliqué si son recours relève de l'excès de pouvoir.

Sur le délai de recours applicable aux décisions implicites relevant du plein contentieux nées antérieurement au 1er janvier 2017 :

4. L'article 35 du décret du 2 novembre 2016 dispose que : " I. - Le présent décret entre en vigueur le 1er janvier 2017. / II. - Les dispositions des articles 9 et 10 (...) sont applicables aux requêtes enregistrées à compter de cette date ".

5. S'agissant des décisions implicites nées avant le 1er janvier 2017, ces dispositions n'ont pas pour objet et n'auraient pu légalement avoir pour effet de déroger au principe général du droit selon lequel, en matière de délai de procédure, il ne peut être rétroactivement porté atteinte aux droits acquis par les parties sous l'empire des textes en vigueur à la date à laquelle le délai a commencé à courir.

6. A ce titre, lorsque, avant le 1er janvier 2017, une personne s'était vu tacitement opposer un refus susceptible d'être contesté dans le cadre d'un recours de plein contentieux, ce recours n'était enfermé, en l'état des textes en vigueur, dans aucun délai, sauf à ce que cette décision de refus soit, sous forme expresse, régulièrement notifiée à cette personne, un délai de recours de deux mois courant alors à compter de la date de cette notification.

7. Il s'ensuit que, s'agissant des refus implicites nés avant le 1er janvier 2017 relevant du plein contentieux, le décret du 2 novembre 2016 n'a pas fait - et n'aurait pu légalement faire - courir le délai de recours contre ces décisions à compter de la date à laquelle elles sont nées.

8. Toutefois, les dispositions du II de l'article 35 du décret du 2 novembre 2016, citées au point 4, qui prévoient l'application de l'article 10 de ce décret à toute requête enregistrée à compter du 1er janvier 2017, ont entendu permettre la suppression immédiate, pour toutes les situations qui n'étaient pas constituées à cette date, de l'exception à la règle de l'article R. 421-2 du code de justice administrative dont bénéficiaient les matières de plein contentieux.

9. Or la réglementation applicable jusqu'à l'entrée en vigueur, le 1er janvier 2017, du décret du 2 novembre 2016, ne créait pas de droit acquis à ce que tout refus tacite antérieur reste, en matière de plein contentieux, indéfiniment susceptible d'être contesté. Elle conférait seulement aux intéressés le droit à ce que le délai de recours contre un tel refus ne courre qu'à compter du moment où, ainsi qu'il a été dit, ce refus était explicitement et régulièrement porté à leur connaissance.

10. Un délai de recours de deux mois court, par suite, à compter du 1er janvier 2017, contre toute décision implicite relevant du plein contentieux qui serait née antérieurement à cette date.


Le présent avis sera notifié à la cour administrative d'appel de Versailles, à M. B... A... et à la ministre des armées.

Il sera publié au Journal officiel de la République française.



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