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Ariane Web: Conseil d'État 448453, lecture du 12 mars 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:448453.20210312

Décision n° 448453
12 mars 2021
Conseil d'État

N° 448453
ECLI:FR:CECHR:2021:448453.20210312
Mentionné aux tables du recueil Lebon
5ème - 6ème chambres réunies
Mme Pearl Nguyên Duy, rapporteur
Mme Cécile Barrois de Sarigny, rapporteur public
SCP HEMERY, THOMAS-RAQUIN, LE GUERER ; SCP DE NERVO, POUPET, avocats


Lecture du vendredi 12 mars 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Mme F... C... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Mayotte, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre à l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) de l'orienter vers une structure d'hébergement susceptible de l'accueillir avec son fils, de lui verser l'allocation pour demandeur d'asile et de l'autoriser provisoirement à travailler. Par une ordonnance n° 2001610 du 25 décembre 2020, le juge des référés a rejeté sa demande.

Par une requête et deux mémoires en réplique, enregistrés les 7 janvier, 20 janvier et 3 février 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme C... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) d'enjoindre à l'Etat et à l'OFII de l'orienter vers un hébergement et de lui accorder l'allocation pour demandeur d'asile dans un délai de 24 heures à compter de la notification de la décision, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;

4°) d'enjoindre à l'Etat de l'autoriser provisoirement à travailler ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat et de l'OFII la somme de 30 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution ;
- la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code du travail ;
- la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme D... A..., maître des requêtes,

- les conclusions de Mme B... E..., rapporteure publique.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Hémery, Thomas-Raquin, Le Guerer, avocat de Mme C... et à la SCP de Nervo, Poupet, avocat de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".

2. Il résulte de l'instruction que Mme C..., ressortissante burundaise née en 1977, est entrée sur le territoire avec son fils né en 2010 et a présenté une demande d'asile, enregistrée à Mayotte, le 24 juillet 2019. Cette demande a été rejetée le 27 avril 2020 par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, par une décision actuellement contestée par Mme C... devant la Cour nationale du droit d'asile. Elle fait appel de l'ordonnance du 25 décembre 2020 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande tendant à ce que, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative cité ci-dessus, il soit enjoint à l'Office française de l'immigration et de l'intégration (OFII) ou à l'Etat de l'orienter vers une structure d'hébergement susceptible de l'accueillir avec son fils, de lui verser l'allocation pour demandeur d'asile et de l'autoriser provisoirement à travailler.

Sur l'intervention de l'association La Cimade :

3. L'association La Cimade justifie, eu égard à son objet statutaire et à la nature du litige, d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la requête de Mme C.... Son intervention est, par suite, recevable.

Sur les conditions matérielles d'accueil de Mme C... :

4. Aux termes de l'article 17 de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale : " 1. Les États membres font en sorte que les demandeurs aient accès aux conditions matérielles d'accueil lorsqu'ils présentent leur demande de protection internationale. / 2. Les États membres font en sorte que les mesures relatives aux conditions matérielles d'accueil assurent aux demandeurs un niveau de vie adéquat qui garantisse leur subsistance et protège leur santé physique et mentale (...). 5. Lorsque les États membres octroient les conditions matérielles d'accueil sous forme d'allocations financières ou de bons, le montant de ceux-ci est fixé en fonction du ou des niveaux établis dans l'État membre concerné, soit par le droit, soit par la pratique, pour garantir un niveau de vie adéquat à ses ressortissants. Les États membres peuvent accorder aux demandeurs un traitement moins favorable que celui accordé à leurs ressortissants à cet égard, en particulier lorsqu'une aide matérielle est fournie en partie en nature ou lorsque ce ou ces niveaux appliqués à leurs ressortissants visent à garantir un niveau de vie plus élevé que celui exigé pour les demandeurs au titre de la présente directive ".

5. Pour la transposition de ces dispositions, le premier alinéa de l'article L. 744-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose que : " Les conditions matérielles d'accueil du demandeur d'asile, au sens de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale, sont proposées à chaque demandeur d'asile par l'Office français de l'immigration et de l'intégration après l'enregistrement de la demande d'asile par l'autorité administrative compétente, en application du présent chapitre. Les conditions matérielles d'accueil comprennent les prestations et l'allocation prévues au présent chapitre (...) ". Aux termes de l'article L. 744-3 du même code : " Les décisions d'admission dans un lieu d'hébergement pour demandeurs d'asile, de sortie de ce lieu et de changement de lieu sont prises par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (...). Sont des lieux d'hébergement pour demandeurs d'asile : 1°) Les centres d'accueil pour demandeurs d'asile mentionné à l'article L. 348-1 du code de l'action sociale et des familles ; 2°) Toute structure bénéficiant de financements du ministère chargé de l'asile pour l'accueil des demandeurs d'asile et soumise à déclaration, au sens de l'article L. 322-1 du même code (...) ". Enfin, l'article L. 744-9 prévoit que : " Le demandeur d'asile qui a accepté les conditions matérielles d'accueil proposées en application de l'article L.744-1 bénéficie d'une allocation pour demandeur d'asile s'il satisfait à des conditions d'âge et de ressources, dont le versement est ordonné par l'Office français de l'immigration et de l'intégration. / (...) Un décret définit le barème de l'allocation pour demandeur d'asile, en prenant en compte les ressources de l'intéressé, son mode d'hébergement et, le cas échéant, les prestations offertes par son lieu d'hébergement. Le barème de l'allocation pour demandeur d'asile prend en compte le nombre d'adultes et d'enfants composant la famille du demandeur d'asile et accompagnant celui-ci (...) ".

6. S'agissant toutefois des demandeurs d'asile dont la demande est enregistrée à Mayotte, l'article L. 761-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que : " Pour l'application du présent livre à Mayotte, (...) 4° Le 1° de l'article L. 744-3 n'est pas applicable ; 5° L'article L. 744-9 est ainsi rédigé : " Art. L. 744-9.-Le demandeur d'asile dont la demande est enregistrée à Mayotte peut bénéficier d'un hébergement dans une structure mentionnée au 2° de l'article L. 744-3 et des aides matérielles. " Ces dispositions adaptent ainsi à la situation particulière de Mayotte le dispositif d'accueil des demandeurs d'asile en prévoyant notamment que les dispositions relatives à l'allocation pour demandeur d'asile prévue par l'article L. 744-9 de ce code, dans sa rédaction en vigueur en métropole, ne sont pas applicables et que s'y substitue le versement " d'aides matérielles ". Toutefois, contrairement à ce que soutient en défense le ministre de l'intérieur et conformément à la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 citée ci-dessus, ces dispositions ne créent pas une simple faculté, pour l'autorité compétente, de faire bénéficier les personnes concernées de conditions matérielles d'accueil adaptées à leurs besoins et leurs ressources, mais leur en font obligation jusqu'à ce qu'il soit définitivement statué sur leur demande d'asile, sauf à y mettre fin ou les retirer dans les cas prévus par la loi. Ces conditions matérielles, comprenant le logement, la nourriture et l'habillement, doivent, par leur niveau, garantir un niveau de vie adéquat au regard des particularités de ce département et peuvent être fournies en nature, ou sous la forme de bons ou d'allocations financières, en prenant en compte les ressources de l'intéressé, la composition de sa famille et, le cas échéant, son mode d'hébergement et les prestations offertes par son lieu d'hébergement.

En ce qui concerne l'urgence :

7. Il résulte de l'instruction que Mme C..., qui a bénéficié d'un hébergement dans le centre d'hébergement d'urgence géré par l'association Solidarité Mayotte jusqu'en septembre 2019 ainsi que d'une aide financière sous forme de bons alimentaires jusqu'au 30 janvier 2020 est, depuis cette date, dépourvue de toute ressource et vit, avec son fils âgé de onze ans, dans l'unique pièce d'une habitation de fortune partagée avec douze autres personnes, sans accès à l'eau courante ni à l'électricité. Dans ces conditions et malgré le délai de près d'un an intervenu entre l'interruption du versement des aides matérielles et sa demande au juge des référés, elle est fondée à soutenir que la condition d'urgence particulière prévue à l'article L. 521-2 du code de justice administrative est remplie.

En ce qui concerne l'atteinte à une liberté fondamentale :

8. La privation des conditions matérielles d'accueil qui doivent être assurées au demandeur d'asile jusqu'à ce qu'il soit définitivement statué sur sa demande d'asile peut conduire le juge des référés, lorsque la situation qui en résulte caractérise une méconnaissance manifeste des exigences qui découlent du droit d'asile et emporte des conséquences graves pour le demandeur d'asile, compte tenu notamment de son âge, de son état de santé ou de sa situation de famille, à faire usage des pouvoirs qu'il tient de l'article L. 521-2 du code de justice administrative en ordonnant à l'administration de prendre, compte tenu des moyens dont elle dispose et des mesures qu'elle a déjà prises, les mesures qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est ainsi porté une atteinte grave et manifestement illégale.

9. Il résulte de l'instruction que la situation de Mme C... et de son enfant mineur est de nature à emporter pour eux des conséquences graves, de nature à justifier l'intervention du juge des référés saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

10. Conformément aux dispositions de l'article L. 832-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le titre de séjour délivré à Mme C... n'autorise son séjour que sur le territoire de Mayotte. Or, il résulte de l'instruction que la seule structure d'hébergement pour demandeurs d'asile existant à Mayotte, au sens des dispositions de l'article L. 761-1 du même code, qui avait d'ailleurs accueilli Mme C... et son fils en 2019, n'est pas en mesure de reprendre cet accueil. Par suite, les conclusions de Mme C..., qui ne saurait utilement invoquer à ce titre le schéma national d'accueil des demandeurs d'asile et des réfugiés prévu par l'article L. 744-2 du même code, tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration de l'orienter vers une structure d'hébergement pour demandeurs d'asile, doivent être rejetées.

11. En revanche, pour faire cesser l'atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile qui résulte pour Mme C... de la privation des conditions matérielles d'accueil, notamment d'hébergement, il y a lieu, dès lors qu'il résulte de l'instruction que l'OFII ne dispose d'aucune capacité matérielle d'intervenir à Mayotte, d'enjoindre à l'Etat de lui accorder sans délai les aides matérielles mentionnées à l'article L. 761-1 du même code. Ces aides, dont la forme peut être liée aux particularités de la situation dans ce département, doivent être de nature à assurer à la requérante ainsi qu'à son fils un niveau de vie qui garantisse leur subsistance et protège leur santé physique et mentale, en prenant en compte la circonstance qu'il ne leur est pas proposé d'hébergement.

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte a rejeté ses conclusions relatives aux conditions matérielles d'accueil.

Sur la demande d'octroi d'une autorisation de travail :

13. L'ordonnance attaquée du juge des référés du tribunal administratif de Mayotte ne s'étant pas prononcée sur les conclusions de Mme C... tendant à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de lui accorder une autorisation provisoire de travail, elle doit être également annulée en tant qu'elle omet de statuer sur ces conclusions, sur lesquelles il y a lieu, par suite, de statuer par la voie de l'évocation.

14. Toutefois, Mme C..., qui ne produit aucun contrat de travail à l'appui de sa demande d'autorisation de travail, ne fait, en tout état de cause, état d'aucune situation d'urgence justifiant qu'à très bref délai soit ordonnée, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la délivrance d'une telle autorisation.

15. Enfin, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à Mme C..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : L'intervention de l'association La Cimade est admise.

Article 2 : L'ordonnance du 25 décembre 2020 du juge des référés du tribunal administratif de Mayotte est annulée.

Article 3 : Il est enjoint à l'Etat d'accorder sans délai à Mme C..., jusqu'à ce qu'il soit définitivement statué sur sa demande d'asile, les aides de nature à lui assurer ainsi qu'à son fils un niveau de vie qui garantisse leur subsistance et protège leur santé physique et mentale, en prenant en compte la circonstance qu'il ne leur est pas proposé d'hébergement.

Article 4 : L'Etat versera à Mme C... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la demande de première instance et de la requête d'appel de Mme C... est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme F... C..., au ministre de l'intérieur, à l'Office français de l'immigration et de l'intégration et à l'association La Cimade.


Voir aussi