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Ariane Web: Conseil d'État 449908, lecture du 12 mars 2021, ECLI:FR:CEORD:2021:449908.20210312

Décision n° 449908
12 mars 2021
Conseil d'État

N° 449908
ECLI:FR:CEORD:2021:449908.20210312
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP FOUSSARD, FROGER, avocats


Lecture du vendredi 12 mars 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 18 et 22 février et le 2 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société à responsabilité limitée (SARL) Société antillaise de location de véhicules automobiles, la société par actions simplifiées (SAS) ST Barth Executive, la SARL Créole Beach, la SARL Domdirgest, la SARL Antilles-Sail.com, la SARL DreamYacht Caribbean, la SARL Croisières Cabines Antilles, la SARL Best Charter, la Confédération des petites et moyennes entreprises de Guadeloupe, le syndicat UDE-MEDEF Guadeloupe, l'Association des loueurs de voitures de l'aéroport, la SAS Sodex Jardins de Bolata, la SAS Parc des Mamelles, la SARL Hôtel Toubana, la SARL Société d'exploitation hôtelière de la Goélette, la SARL Société d'exploitation hôtelière de Sainte-Luce, la SARL Société d'exploitation hôtelière de l'hôtel Camélia, la SARL Société d'exploitation hôtelière du Squash, la société de fait Hôtel Valmeniere, la SARL Société d'exploitation hôtelière du Salako, le syndicat Union des métiers et des industries de l'hôtellerie de Martinique et la SAS Société antillaise d'investissement de la Pointe du Bout doivent être regardés comme demandant au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) à titre principal, d'ordonner la suspension de l'exécution des dispositions de l'article 57-2 du décret n° 2020-1262 du 16 octobre 2020, ainsi que de celles de l'article 56-5 du décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020, toutes deux issues du décret n° 2021-99 du 30 janvier 2021, par lesquelles le Premier ministre a interdit tout déplacement en provenance ou à destination des outre-mer, sauf motifs impérieux ;

2°) à titre subsidiaire, d'ordonner la suspension de l'exécution, d'une part, de l'interdiction de tout déplacement entre la Martinique et la Guadeloupe sauf motifs impérieux, et, d'autre part, de l'autorisation donnée, dans les collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution, au représentant de l'Etat, d'exiger que la justification du motif impérieux lui soit adressée au moins 6 jours avant le déplacement ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Ils soutiennent que :
- la condition d'urgence est satisfaite, dès lors que les dispositions litigieuses portent une atteinte grave et immédiate, d'une part, à leurs libertés fondamentales et, d'autre part, en tout état de cause, à leur situation économique et à celle des intérêts qu'ils représentent ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'aller et venir et à la liberté de circulation, à la liberté d'entreprendre et à la liberté du commerce et de l'industrie, ainsi qu'à la liberté d'exercer une profession ;
- les dispositions attaquées portent également une atteinte grave et immédiate aux libertés économiques, eu égard aux répercussions économiques qu'elles ont sur tous les secteurs d'activités économiques de la Guadeloupe, en particulier ceux liés à l'activité touristique ;
- elles portent une atteinte grave à la liberté d'aller et venir et à la liberté de circulation dès lors que, d'une part, elles prohibent tout déplacement en provenance ou à destination de l'outre-mer, ainsi que les déplacements entre la Martinique et la Guadeloupe, à l'exclusion d'un nombre très limité de cas et, d'autre part, elles soumettent les déplacements des citoyens français qui justifient d'un motif impérieux à l'autorisation préalable du préfet ;
- elles ne sont pas nécessaires pour répondre à l'objectif de santé publique poursuivi dès lors que, d'une part, la situation sanitaire en Guadeloupe et en Martinique est stable et non préoccupante et que d'autres mesures moins attentatoires aux libertés étaient déjà mises en oeuvre avec efficacité et, d'autre part, en ce qui concerne le contrôle préalable des motifs impérieux par le préfet, celui-ci peut tout à fait être effectué par les compagnies aériennes ou, le cas échéant, par les compagnies maritimes concernées ;
- elles ne sont pas adaptées à l'objectif de protection de la santé publique poursuivi dès lors que, d'une part, il n'est pas tenu compte de l'existence d'une différence de situation évidente entre les différents territoires d'outre-mer et, d'autre part, en ce qui concerne le contrôle préalable des motifs impérieux par le préfet, le délai de six jours prévu est, par nature, souvent incompatible avec les motifs impérieux, qui revêtent pour beaucoup un caractère d'urgence ;
- elles sont disproportionnées vis-à-vis de l'objectif de protection de la santé publique poursuivi dès lors que, d'une part, l'interdiction totale de se déplacer vers la Guadeloupe et la Martinique sauf motifs impérieux crée une rupture d'égalité injustifiée entre les ressortissants français et les ressortissants européens et, d'autre part, en ce qui concerne le contrôle préalable des motifs impérieux par le préfet, le mécanisme d'autorisation préalable ainsi mis en oeuvre est plus attentatoire aux libertés individuelles que le simple contrôle qui préexistait.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 mars 2021, le ministre des solidarités et de la santé conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée au Premier ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la relance et au ministre des Outre-mer, qui n'ont pas produit de mémoire.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, et notamment son Préambule ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 ;
- la loi n° 2021-160 du 15 février 2021 ;
- le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 ;
- le décret n° 2020-1262 du 16 octobre 2020 ;
- le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 ;
- le décret n° 2021-31 du 15 janvier 2021 ;
- le décret n° 2021-99 du 30 janvier 2021 ;
- le décret n° 2021-152 du 12 février 2021 ;
- le décret n° 2021-173 du 17 février 2021 ;
- le code de justice administrative, l'ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la Société antillaise de location de véhicules automobiles et autres, et d'autre part, le ministre des solidarités et de la santé, le ministre de l'économie, des finances et de la relance et le ministre des outre-mer ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 3 mars 2021, à 9 heures 30 :

- Me Froger, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la Société antillaise de location de véhicules automobiles et autres ;

- les représentants de la Société antillaise de location de véhicules automobiles et autres ;

- les représentants du ministre des solidarités et de la santé ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a prononcé la clôture de l'instruction.


Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

Sur le cadre juridique du litige :

2. Aux termes de l'article L. 3131-12 du code de la santé publique, issu de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de Covid-19 : " L'état d'urgence sanitaire peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain ainsi que du territoire des collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution et de la Nouvelle-Calédonie en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population ". L'article L. 3131-13 du même code précise que " L'état d'urgence sanitaire est déclaré par décret en conseil des ministres pris sur le rapport du ministre chargé de la santé. Ce décret motivé détermine la ou les circonscriptions territoriales à l'intérieur desquelles il entre en vigueur et reçoit application. Les données scientifiques disponibles sur la situation sanitaire qui ont motivé la décision sont rendues publiques. / (...) ". Aux termes de l'article L. 3131-15 du même code : " Dans les circonscriptions territoriales où l'état d'urgence sanitaire est déclaré, le Premier ministre peut, par décret réglementaire pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, aux seules fins de garantir la santé publique : / (...) 1° Réglementer ou interdire la circulation des personnes (...) ". Ces mesures " sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires. "

3. Par un décret du 14 octobre 2020, pris sur le fondement des articles L. 3131-12 et L. 3131-13 du code de la santé publique, le Président de la République a déclaré l'état d'urgence sanitaire à compter du 17 octobre sur l'ensemble du territoire national. Le 16 octobre 2020, le Premier ministre a pris, sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, un décret prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire. Dans sa version applicable à la date de la présente ordonnance, l'article 57-2 de ce décret dispose : " I. - Sont interdits, sauf s'ils sont fondés sur un motif impérieux d'ordre personnel ou familial, un motif de santé relevant de l'urgence ou un motif professionnel ne pouvant être différé, les déplacements de personnes : / (...) 2° Au départ ou à destination des collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution, à l'exception des déplacements entre Saint-Martin et Saint-Barthélemy. / II. - Les personnes souhaitant bénéficier de l'une des exceptions mentionnées au premier alinéa du I doivent se munir d'un document permettant de justifier du motif de leur déplacement. Lorsque le déplacement est opéré par une entreprise de transport, la personne présente, avant l'embarquement, une déclaration sur l'honneur du motif de son déplacement, accompagnée de ce document. A défaut, l'embarquement est refusé et la personne est reconduite à l'extérieur des espaces concernés. / III. - Dans les collectivités mentionnées à l'article 72-3 de la Constitution, le représentant de l'Etat est habilité, lorsque les circonstances locales le justifient, à exiger que la déclaration sur l'honneur et le document mentionnés au II lui soient adressés au moins 6 jours avant le déplacement contre récépissé. / La personne présente, avant l'embarquement, le récépissé mentionné à l'alinéa précédent. A défaut, l'embarquement est refusé et la personne est reconduite à l'extérieur des espaces concernés. Il en va de même lorsque le représentant de l'Etat a informé la personne concernée et l'entreprise de transport, au plus tard 48 heures avant le déplacement, que la déclaration et le document adressés ne permettent pas de retenir l'une des exceptions mentionnées au premier alinéa du I. / Les délais mentionnés au présent III ne sont pas applicables en cas d'urgence justifiée par l'intéressé auprès du représentant de l'Etat. " Enfin, il résulte des dispositions du deuxième alinéa de l'article 55 du décret du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, ainsi que de son annexe 5, que ce dernier décret n'est, à la date de la présente ordonnance, pas applicable au présent litige.

4. Eu égard à leur objet social, les requérants doivent être regardés comme demandant la suspension de l'exécution de ces dispositions en tant qu'elles s'appliquent aux seuls déplacements au départ ou à destination de la Guadeloupe, la Martinique, Saint-Martin et Saint Barthélemy.

Sur l'urgence :

5. Aucun des représentants de l'Etat dans les quatre territoires concernés n'a à ce jour fait usage de la possibilité que leur offrent ces dispositions d'exiger que la déclaration sur l'honneur et le document justifiant du motif du déplacement lui soient adressés au moins 6 jours avant le déplacement contre récépissé. La condition d'urgence particulière de l'article L. 521-2 du code de justice administrative n'est par suite par remplie en ce qui concerne la demande relative au III de l'article 57-2 du décret du 16 octobre 2020.

6. Il résulte en revanche de l'instruction que l'arrêt de l'arrivée de touristes en provenance du territoire métropolitain, interdite depuis le 31 janvier dernier, a un impact négatif très important sur le chiffres d'affaires des sociétés requérantes et est susceptible d'avoir à brève échéance des conséquences significatives sur l'ensemble de la situation économique de ces îles. Les conséquences qui s'attachent à l'exécution des dispositions des I et II de l'article 57-2 du même décret sont de nature à caractériser, dans les circonstances de l'espèce, l'existence d'une urgence particulière justifiant le prononcé à bref délai de mesures nécessaires à la sauvegarde des libertés fondamentales que sont la liberté d'aller et venir, la liberté de circulation, la liberté d'entreprendre et la liberté du commerce et de l'industrie, ainsi que la liberté d'exercer une profession.

Sur le caractère nécessaire, adapté et proportionné de l'exigence d'un motif impérieux justifiant le déplacement :

7. Il résulte des termes mêmes des dispositions dont la suspension est demandée que toute personne souhaitant se déplacer par transport maritime ou transport public aérien entre le territoire métropolitain et les Antilles se verra refuser l'embarquement si elle ne produit pas un document justifiant d'un motif impérieux d'ordre personnel ou familial, un motif de santé relevant de l'urgence ou un motif professionnel ne pouvant être différé. Il résulte également de ces dispositions, qui sont intelligibles, que l'exigence de justifier d'un des motifs énumérés par le décret ne vise pas à interdire tout déplacement entre le territoire métropolitain et les Antilles, mais à différer ou éviter les voyages, dans un contexte de pandémie mondiale, en vue de minimiser les risques sanitaires pour la population. A cet égard, si le ministre de l'intérieur peut, à titre indicatif, préciser les motifs justifiant les déplacements des personnes, ainsi que le type de pièces justificatives dont ces dernières doivent se munir, ces précisions ne peuvent légalement limiter la portée des motifs prévus par le décret ni faire obstacle à ce qu'une personne se prévale de motifs autres que ceux énumérés par le ministre. Ces dispositions, dont l'objet principal est d'empêcher les déplacements à visée touristique, ne peuvent en outre en aucune circonstance empêcher une personne de rejoindre son lieu de résidence. Si l'entreprise de transport concernée doit contrôler la présentation des documents requis par l'art. 57-2, elle ne peut refuser l'embarquement que si la justification du déplacement invoquée ne relève manifestement pas de l'un des motifs prévus par le décret, ou si le document produit n'est pas de nature à le justifier. Enfin, les dispositions contestées n'ont ni pour objet, ni pour effet d'obliger à révéler à l'entreprise de transport des éléments de nature à porter atteinte au secret médical ou au secret professionnel.

8. Les requérants soutiennent que la situation sanitaire en Guadeloupe, en Martinique, à Saint-Martin et à Saint Barthélemy au regard de l'épidémie de covid-19 est nettement meilleure que sur le territoire métropolitain de la France et que dans les autres collectivités d'outre-mer, tant en ce qui concerne les taux d'incidence et de positivité que le taux d'occupation des lits de réanimation. Ils font aussi valoir que les touristes en provenance du territoire métropolitain n'ont pas vocation, du fait de la fermeture des bars et des discothèques, à se mêler à la population locale, et restent en général dans leurs hôtels, où de nombreuses activités leurs sont offertes. Ils soulignent en outre que les obligations de test de dépistage imposées avant tout transport par voie aérienne ou maritime vers les Antilles, puis d'isolement prophylactique à l'arrivée, sont de nature à prévenir la diffusion du virus par ces touristes. Ils en déduisent que l'exigence de justifier d'un motif impérieux pour tout déplacement entre le territoire métropolitain et les Antilles n'est ni nécessaire, ni adaptée, ni proportionnée.

9. Il résulte de l'instruction que si l'épidémie de covid-19 reste très présente en Martinique, en Guadeloupe, à Saint-Martin et à Saint Barthélemy, la situation sanitaire y est meilleure que sur le territoire métropolitain de la France, La Réunion ou Mayotte. Par ailleurs, comme le relève les requérants, l'arrivée de nombreux touristes aux Antilles fin décembre et en janvier n'a pas été suivie d'une poussée épidémique mesurable. En outre, les articles 6 et 11 du décret du 16 octobre 2020 imposent, comme le soulignent les requérants, l'obligation de présenter à l'embarquement, en premier lieu, le résultat d'un test PCR réalisé moins de 72 heures avant le transport ne concluant pas à une contamination par la Covid-19, en second lieu, " une déclaration sur l'honneur attestant : / 1° Qu'il ne présente pas de symptôme d'infection au covid-19 ; / 2° Qu'il n'a pas connaissance d'avoir été en contact avec un cas confirmé de covid-19 dans les quatorze jours précédant le (transport) ; / 3° (...) qu'il accepte qu'un test ou un examen biologique de dépistage virologique de détection du SARS-CoV-2 puisse être réalisé à son arrivée sur le territoire national (...). / 4° (...) qu'il s'engage à respecter un isolement prophylactique de sept jours après son arrivée (...) dans l'une des collectivités de l'article 73 de la Constitution, à Saint-Martin, Saint-Barthélemy (...) " et " à réaliser, au terme de cette période, un examen biologique de dépistage virologique permettant la détection du SARS-CoV-2 ". Enfin, " à défaut de présentation de ces documents, l'embarquement est refusé (...). " Il résulte de ces dispositions que l'absence de présentation d'un test PCR réalisé moins de 72 heures avant le transport ne concluant pas à une contamination par la Covid-19 fait en tout état de cause obstacle à l'embarquement vers les Antilles de tout passager en provenance du territoire métropolitain.

10. Toutefois, il résulte de l'instruction qu'en l'état actuel des connaissances scientifiques, le virus de la Covid-19 peut se transmettre par gouttelettes respiratoires, par contacts et par voie aéroportée et que les personnes peuvent être contagieuses sans le savoir, notamment pendant la phase pré-symptomatique. La transmission des virus respiratoires tels que le SARS-CoV-2, par gouttelettes et aérosols, est favorisée par le brassage de population, la densité de population, le temps de contact avec des personnes potentiellement contaminées et la ventilation des locaux. Les déplacements internationaux sont des moments propices à la transmission du virus responsable de la Covid-19. Il résulte en outre de l'instruction qu'à l'échelle nationale, au 28 février 2021, 3 755 968 cas ont été confirmés positifs au virus SARS-CoV-2, en augmentation de 19 952 nouveaux cas dans les dernières vingt-quatre heures. 122 décès ont en outre été recensés à l'hôpital ces dernières vingt-quatre heures, portant le nombre de décès à 86 454. Le taux d'occupation des lits en réanimation par des patients atteints du virus demeure à un niveau élevé avec une moyenne nationale de 69 %. Le taux d'incidence est de 222,42/100 000, contre 118,88/100 000 le 16 décembre 2020 et 210,16/100 000 le 26 janvier 2021. Ces données montrent la persistance d'un plateau épidémique très élevé et une tension persistante sur le système hospitalier dans l'ensemble du territoire métropolitain, certaines zones géographiques pouvant justifier au surplus la prise de mesures plus restrictives. En outre, il résulte de l'étude de l'INSERM du 14 février 2021 Impact of January 2021 social distancing measures on SARS-CoV-2 B.1.1.7 circulation in France, que le plateau élevé observé résulte de deux dynamiques opposées : une circulation décroissante de la souche historique du virus, opposée à l'augmentation exponentielle du variant dit britannique, à la contagiosité beaucoup plus importante et qui a justifié le confinement total du Royaume-Uni. Il en résulte également que le variant britannique est en train de devenir majoritaire sur le territoire métropolitain de la France et que, dans l'absence de mesures de contrôle renforcée, une croissance exponentielle des cas y est attendue dans les semaines à venir. Enfin, si les variants dits sud-africain et brésilien ne représentent à ce stade que 5% des contaminations, ils ont tous deux une forte contagiosité.

11. Il résulte en outre de l'instruction que la réouverture du flux des touristes en direction des Antilles accélérerait la diffusion des variants présents aujourd'hui largement sur le territoire métropolitain, contrairement aux mois de décembre et janvier derniers. Il résulte également de l'instruction, et notamment des échanges tenus à l'audience, que l'engagement pris à l'embarquement de respecter un isolement prophylactique de sept jours après l'arrivée puis de réaliser un examen biologique de dépistage virologique n'a globalement pas été respecté par les touristes venus à cette période et que le contrôle du respect de ces engagements, d'ailleurs dépourvus de sanction, n'est pas matériellement possible. Enfin, la situation sanitaire en Guadeloupe, quoique toujours meilleure que sur le territoire métropolitain, se dégrade et a justifié l'instauration d'un couvre-feu. Par suite, et sans qu'il y ait lieu de comparer la situation des Antilles avec celle d'autres collectivités d'outre-mer, et au vu du risque élevé de saturation des lits de réanimation en cas de remontée rapide du taux d'incidence, l'obligation de justifier d'un motif impérieux pour tout déplacement entre le territoire métropolitain et les Antilles, ainsi qu'entre la Guadeloupe, la Martinique, Saint-Martin et Saint Barthélemy, à l'exception des déplacements entre Saint-Martin et Saint-Barthélemy, et dont l'effet principal est d'interdire l'arrivée des touristes sur ces territoires, présente en l'état de l'instruction un caractère nécessaire, adapté et proportionné.

Sur le principe d'égalité :

12. Les requérants soutiennent que viole le principe d'égalité la circonstance qu'un motif impérieux ne soit pas exigé des résidents des pays de l'Union européenne et des autres pays bénéficiant de la libre circulation lorsqu'ils veulent entrer sur le territoire métropolitain, alors qu'un tel motif est exigé pour circuler entre le territoire métropolitain et les outre-mer français. Toutefois, les déplacements intra-européens, notamment ceux réalisés par les travailleurs frontaliers, par les nécessités auxquelles ils répondent et par leur nombre, ne sont pas comparables avec ceux réalisés entre le territoire métropolitain et les Antilles. Le moyen ne peut par suite, en tout état de cause, qu'être écarté.

13. Il résulte de tout ce qui précède que l'atteinte grave portée aux libertés mentionnées au point 6 n'est pas, en l'état de l'instruction et à la date de la présente ordonnance, manifestement illégale. Les requérants ne sont donc pas fondés à demander la suspension de l'exécution des dispositions en cause. Leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent par suite qu'être rejetées.


O R D O N N E :
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Article 1er : La requête de la SARL Société antillaise de location de véhicules automobiles et autres est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la SARL Société antillaise de location de véhicules automobiles, première dénommée, pour l'ensemble des requérants, et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la relance ainsi qu'au ministre de l'Outre-mer.