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Ariane Web: Conseil d'État 450402, lecture du 27 mars 2021, ECLI:FR:CEORD:2021:450402.20210327

Décision n° 450402
27 mars 2021
Conseil d'État

N° 450402
ECLI:FR:CEORD:2021:450402.20210327
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP ROCHETEAU, UZAN-SARANO, avocats


Lecture du samedi 27 mars 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Sous le n° 2103043, M. A... B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de produire les notes blanches et tout autre élément ayant justifié l'arrêté d'expulsion du 21 octobre 2020 qui le vise, en deuxième lieu, de suspendre l'exécution de cet arrêté et, en dernier lieu, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours, dans les deux cas à compter de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard.

Sous le n° 2103308, M. B... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de produire l'arrêté portant fixation du pays de renvoi en date du 4 février 2021, en deuxième lieu, de suspendre l'exécution de cet arrêté et, en dernier lieu, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours et dans cette attente de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours, dans les deux cas à compter de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard.

Par une ordonnance n°s 2103043, 2103308 du 19 février 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a partiellement fait droit à sa demande, d'une part, en prononçant la suspension de l'exécution des décisions du 21 octobre 2020 et du 4 février 2021, par lesquelles le ministre de l'intérieur a pris une mesure d'expulsion à son encontre et fixé la Fédération de Russie comme pays de renvoi et, d'autre part, en enjoignant au ministre de l'intérieur de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'ordonnance.

Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 5 et 18 mars 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de rejeter les conclusions des deux requêtes de première instance présentées par M. B....


Il soutient que :
- la condition d'urgence est satisfaite eu égard à l'actualité et à la particulière gravité de la menace à l'ordre public que représente la présence de M. B... sur le territoire français ;
- l'ordonnance est entachée d'irrégularité manifeste en ce que le juge des référés du tribunal administratif de Paris a considéré que la mesure d'expulsion prise par le ministre de l'intérieur en urgence absolue privait M. B... de la garantie d'être entendu préalablement par la commission d'expulsion mentionnée aux dispositions de l'article L. 522-1 du code de l'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) et portait, en conséquence, une atteinte disproportionnée et manifestement illégale au droit au respect de sa vie privée et familiale, alors que ce dernier n'avait pas contesté le recours à la procédure de l'urgence absolue et ne s'était pas plaint d'avoir été privé de la garantie d'être entendu par la commission d'expulsion ;
- elle est entachée d'erreur de fait dès lors que le juge des référés du tribunal administratif de Paris a estimé que l'élément le plus récent produit par le ministre de l'intérieur concernant le comportement et les activités de M. B... datait de 2018, alors que les pièces du dossier révèlent au contraire le rôle de référent toujours actuel de l'intéressé au sein de la communauté tchétchène eu égard à ses connaissances religieuses et le risque qu'il puisse, dès lors, contribuer à radicaliser de jeunes coreligionnaires issus de sa communauté et les inciter à commettre des actions violentes sur le sol français ;
- elle est entachée d'erreur d'appréciation dès lors que le juge des référés du tribunal administratif de Paris a estimé que le ministre de l'intérieur ne justifiait d'aucun élément précis et circonstancié relatif à l'actualité de la menace que M. B... représente pour l'ordre public alors qu'il est démontré que le requérant exerce toujours un rôle influent au sein de sa communauté du fait de ses connaissances religieuses et qu'il est, dans le contexte actuel de menace particulièrement élevé d'attentats terroristes sur le sol français, susceptible de radicaliser de jeunes musulmans issus de sa communauté et de les inciter à commettre des actions violentes sur le sol français ;
- elle est entachée d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation quant à la caractérisation de la menace à l'ordre public dès lors que, d'une part, elle ne prend pas en considération l'ensemble du comportement et des activités du requérant, et notamment les récents éléments factuels rappelés par le ministre de l'intérieur dans sa note en délibéré du 19 janvier 2021, et, d'autre part, les éléments recueillis par les services de renseignement établissent de manière précise et circonstanciée l'ancrage de M. B... au sein de la mouvance radicale tchétchène et son réseau relationnel particulièrement étoffé d'individus ayant participé directement ou indirectement aux activités d'organisations terroristes djihadistes depuis la France ou en zone de combats ;
- elle est entachée d'erreur de fait dès lors que le juge des référés du tribunal administratif de Paris a considéré que le ministre de l'intérieur ne contestait pas sérieusement le fait que M. B... vivait avec son épouse et ses enfants ;
- elle est entachée d'erreur d'appréciation quant à l'existence d'une atteinte grave et manifestement illégale au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale dès lors que le juge des référés du tribunal administratif de Paris a estimé que celui-ci démontrait une vie privée et familiale effective, alors qu'aucun élément probant ne permet de le confirmer et qu'au contraire, d'une part, l'avis d'imposition de l'intéressé porte la mention divorcé, d'autre part, il a obtenu une aide personnelle au logement pour un appartement autre que celui où résidait son épouse ;
- M. B... a obtenu des autorités russes un passeport russe le 25 juillet 2020, sans que ce passeport ne lui ait été réclamé dans le cadre de l'instruction de sa demande de renouvellement de titre de séjour contrairement à ce qu'il allègue, ce qui témoigne de ce qu'il ne craint plus de persécution de la part des autorités russes.

Par un mémoire en défense et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 11, 18 et 19 mars 2021, M. B... conclut au rejet de la requête et demande au juge des référés du Conseil d'Etat, en premier lieu, de faire droit à ses conclusions de première instance et, en second lieu, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article 37 de la loi n° 918647 du 10 juillet 1991. Il soutient que la condition d'urgence est satisfaite, que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés et qu'un éventuel refoulement vers la Fédération de Russie serait doublement illégal, d'une part, parce qu'il n'a pas perdu la qualité de réfugié, d'autre part, parce qu'il l'exposerait à des risques majeurs quant à son intégrité physique et à sa vie.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention de Genève ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13décembre 2011 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le ministre de l'intérieur et, d'autre part, M. B... ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 15 mars 2021, à 15 heures :

- Me Uzan-Sarano, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. B... ;

- les représentants du ministre de l'intérieur ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a reporté au vendredi 19 mars à 12 heures la clôture de l'instruction.


Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

2. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile " Ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'expulsion que si cette mesure constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique et sous réserve que les dispositions de l'article L. 521-3 n'y fassent pas obstacle : / (...) / 4° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention " étudiant " ; (...) ". Aux termes, par ailleurs, de l'article L. 522-1 du même code : " Sauf en cas d'urgence absolue, l'expulsion ne peut être prononcée que dans les conditions suivantes : / 1° L'étranger doit être préalablement avisé dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ; / 2° L'étranger est convoqué pour être entendu par une commission qui se réunit à la demande de l'autorité administrative et qui est composée : (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier que M. A... B..., ressortissant russe originaire de Tchétchénie, a obtenu le statut de réfugié par une décision de la Cour nationale du droit d'asile en date du 1er décembre 2009, puis que ce statut lui a été retiré par une décision du 28 juillet 2016 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Par un arrêté du 21 octobre 2020, le ministre de l'intérieur a décidé, sur le fondement des dispositions citées ci-dessus des articles L. 521-2 et L. 522-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, son expulsion pour nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique, en urgence absolue. Par un arrêté du 4 février 2021, il a désigné la Fédération de Russie comme pays de renvoi. Le ministre de l'intérieur relève appel de l'ordonnance du 19 février 2021 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a suspendu l'exécution de ces deux décisions et lui a enjoint de réexaminer la situation de M. B... sous un délai de quinze jours.

Sur la décision d'expulsion du 21 octobre 2020 :

4. Pour justifier que l'expulsion de M. B... constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat et la sécurité publique, le ministre fait valoir que l'intéressé entretient des liens avec divers individus appartenant à la mouvance pro-jihadiste, qu'il a, entre 2012 et 2015, effectué plusieurs séjours de longue durée en Turquie et a pu, à cette occasion, rejoindre la zone de conflit syro-irakienne, qu'il a, en revenant en voiture de l'un de ces séjours, fait l'objet d'un contrôle par la police roumaine qui a révélé qu'il était accompagné de deux personnes impliquées dans cette même mouvance pro-jihadiste et que le véhicule contenait des plans du métro de Bruxelles et des vidéos de plusieurs gares européennes, enfin, qu'il a accueilli à l'aéroport de Roissy Charles de Gaulle en 2013 une ressortissante russe impliquée dans le financement de l'émirat islamique du Caucase, faits qui ont motivé le retrait, par l'OFPRA, de son statut de réfugié par une décision du 28 juillet 2016. Le ministre fait également valoir que M. B... est, ultérieurement, entré en contact téléphonique à plusieurs reprises entre décembre 2017 et mars 2018 avec un individu condamné à une peine d'emprisonnement pour association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte terroriste, comme l'a révélé le téléphone portable de ce dernier saisi lors d'une fouille de sa cellule. Enfin, le ministre fait valoir que M. B... est une personnalité influente au sein de la communauté tchétchène et considère, dans un contexte de menace élevée d'attentat terroriste, qu'il risque dès lors, eu égard à ses relations avec les milieux pro-jihad, d'inciter des jeunes d'origine tchétchène à se radicaliser et à commettre des actes terroristes sur le sol français.

5. Il résulte de l'instruction que, si M. B... soutient que ses séjours en Turquie étaient motivés par des raisons commerciales et qu'il y achetait des vêtements pour les revendre, par l'entremise de sa famille restée en Tchétchénie, il n'apporte pas, à cet égard, d'éléments suffisants en se bornant à produire une seule facture à son nom émanant d'une entreprise turque, un bordereau colissimo d'expédition de vêtements en Tchétchénie et un catalogue de vêtements. Par ailleurs, s'il fait valoir que rien ne prouve qu'il ait été le propriétaire de l'ordinateur saisi par la police roumaine, il ne conteste pas sérieusement les relations avec les milieux tchétchènes pro-jihad dont fait état le ministre, qui se sont manifestées par des contacts récurrents et, pour le dernier d'entre eux, relativement récent, avec des membres de ces milieux. Compte tenu de ces relations et de la position qu'occupe l'intéressé au sein de la communauté tchétchène et eu égard à la menace terroriste élevée pesant sur la France en fin d'année 2020, le ministre n'a pas commis d'erreur d'appréciation en considérant que l'expulsion de M. B... constituait une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat et la sécurité publique, quand bien même celui-ci n'aurait jamais fait l'objet d'une procédure pénale.

6. Il appartient au juge des référés de concilier les exigences de la protection de la sûreté de l'Etat et de la sécurité publique avec la liberté fondamentale que constitue le droit à mener une vie familiale normale. La condition d'illégalité manifeste de la décision contestée, au regard de ce droit, ne peut être regardée comme remplie que dans le cas où il est justifié d'une atteinte manifestement disproportionnée aux buts en vue desquels la mesure contestée a été prise.

7. Il résulte de l'instruction que, si M. B... est marié et père de cinq enfants, qu'une partie de sa famille est établie en France et qu'il occupe depuis 2019 un emploi pour lequel son employeur atteste qu'il donne pleinement satisfaction, il n'a pas toujours résidé avec sa femme et ses enfants, puisqu'il percevait, jusqu'à une période très récente, une aide personnelle au logement au titre d'un appartement loué à Evreux par un membre de sa famille concurremment à l'aide que percevait par ailleurs son épouse au titre d'un logement situé à Montereau. Il a, par ailleurs, déclaré être divorcé pour l'établissement de son impôt sur le revenu, comme le révèle son avis d'imposition pour 2019. Les explications qu'il fournit pour justifier cette situation, outre qu'elles ont évolué avec ses différentes écritures, ne suffisent pas à établir qu'il a, ces dernières années, habité en permanence avec sa famille. Enfin, son épouse et ses enfants ont, comme lui, la nationalité russe, et ne seraient donc pas dans l'impossibilité de le rejoindre en Russie, à supposer qu'il puisse légalement être refoulé vers ce pays.

8. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre est, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a suspendu l'exécution de l'arrêté du 21 octobre 2020 prononçant l'expulsion de M. B... pour nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique et, par voie de conséquence, celle de l'arrêté du 4 février 2021 fixant la Fédération de Russie comme pays de renvoi et que cette ordonnance doit être annulée. Il appartient toutefois au juge des référés du Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les moyens soulevés par M. B... à l'encontre de ce même arrêté du 4 février 2021.

Sur la décision fixant la Fédération de Russie comme pays de renvoi :

9. D'une part, aux termes de l'article 14 de la directive du 13 décembre 2011 : " (...) 4. Les États membres peuvent révoquer le statut octroyé à un réfugié par une autorité gouvernementale, administrative, judiciaire ou quasi judiciaire, y mettre fin ou refuser de le renouveler, / a) lorsqu'il existe des motifs raisonnables de le considérer comme une menace pour la sécurité de l'État membre dans lequel il se trouve ; / b) lorsque, ayant été condamné en dernier ressort pour un crime particulièrement grave, il constitue une menace pour la société de cet État membre. / (...). / 6. Les personnes auxquelles les paragraphes 4 et 5 s'appliquent ont le droit de jouir des droits prévus aux articles 3, 4, 16, 22, 31, 32 et 33 de la convention de Genève ou de droits analogues, pour autant qu'elles se trouvent dans l'État membre ". L'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pris pour la transposition des dispositions précitées du 4 de l'article 14 de la directive du 13 décembre 2011, dispose que : " Le statut de réfugié peut être refusé ou il peut être mis fin à ce statut lorsque : / 1° Il y a des raisons sérieuses de considérer que la présence en France de la personne concernée constitue une menace grave pour la sûreté de l'Etat ; / 2° La personne concernée a été condamnée en dernier ressort en France soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, et sa présence constitue une menace grave pour la société ".

10. Les dispositions de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être interprétées conformément aux objectifs de la directive du 13 décembre 2011 dont ils assurent la transposition et qui visent à assurer, dans le respect de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, d'une part, que tous les États membres appliquent des critères communs pour l'identification des personnes nécessitant une protection internationale et, d'autre part, un niveau minimal d'avantages à ces personnes dans tous les États membres. Il résulte du paragraphe 4 de l'article 14 de cette directive, tels qu'interprétés par l'arrêt C-391/16, C77/17 et C-78/17 du 14 mai 2019 de la Cour de justice de l'Union européenne, que la " révocation " du statut de réfugié, que ses dispositions prévoient, ne saurait avoir pour effet de priver de la qualité de réfugié le ressortissant d'un pays tiers ou l'apatride concerné qui remplit les conditions pour se voir reconnaître cette qualité au sens du A de l'article 1er de la convention de Genève. En outre, le paragraphe 6 de l'article 14 de cette même directive doit être interprété en ce sens que l'Etat membre qui fait usage des facultés prévues à l'article 14, paragraphe 4, de cette directive, doit accorder au réfugié relevant de l'une des hypothèses visées à ces dispositions et se trouvant sur le territoire de cet Etat membre, à tout le moins, le bénéfice des droits et protections consacrés par la convention de Genève auxquels cet article 14, paragraphe 6, fait expressément référence, en particulier la protection contre le refoulement vers un pays où sa vie ou sa liberté serait menacée.

11. Par suite, les dispositions de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne permettent à l'OFPRA que de refuser d'exercer la protection juridique et administrative d'un réfugié ou d'y mettre fin, dans les limites prévues par l'article 33, paragraphe 1, de la convention de Genève et le paragraphe 6 de l'article 14 de la directive du 13 décembre 2011, lorsqu'il y a des raisons sérieuses de considérer que la présence en France de l'intéressé constitue une menace grave pour la sûreté de l'Etat ou lorsque l'intéressé a été condamné en dernier ressort en France soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, et que sa présence constitue une menace grave pour la société. La perte du statut de réfugié résultant de l'application de l'article L. 711-6 ne saurait dès lors avoir une incidence sur la qualité de réfugié, que l'intéressé est réputé avoir conservé dans l'hypothèse où l'OFPRA et, le cas échéant, le juge de l'asile, font application de l'article L. 711-6, dans les limites prévues par l'article 33, paragraphe 1, de la convention de Genève et le paragraphe 6 de l'article 14 de la directive du 13 décembre 2011.

12. D'autre part, aux termes de l'article 33 de la convention de Genève : " 1. Aucun des États contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. / 2. Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu'il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l'objet d'une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays ". Aux termes de l'article 21 de la directive du 13 décembre 2011 : " 1. Les États membres respectent le principe de non-refoulement en vertu de leurs obligations internationales. /2. Lorsque cela ne leur est pas interdit en vertu des obligations internationales visées au paragraphe 1, les États membres peuvent refouler un réfugié, qu'il soit ou ne soit pas formellement reconnu comme tel :/a) lorsqu'il y a des raisons sérieuses de considérer qu'il est une menace pour la sécurité de l'État membre où il se trouve ; ou /b) lorsque, ayant été condamné en dernier ressort pour un crime particulièrement grave, il constitue une menace pour la société de cet État membre. /(...) ". Il résulte de ces dispositions que les Etats membres peuvent déroger au principe de non-refoulement lorsqu'il existe des raisons sérieuses de considérer que le réfugié représente un danger pour la sécurité de l'Etat membre où il se trouve ou lorsque, ayant été condamné définitivement pour un crime particulièrement grave, il constitue une menace pour la société de cet Etat. Toutefois, ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne par l'arrêt du 14 mai 2019 cité au point 10 ci-dessus, un Etat membre ne saurait éloigner un réfugié lorsqu'il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu'il encourt dans le pays de destination un risque réel de subir des traitements prohibés par les articles 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Ainsi, lorsque le refoulement d'un réfugié relevant de l'une des hypothèses prévues au 4 de l'article 14 ainsi qu'au 2 de l'article 21 de la directive du 13 décembre 2011 ferait courir à celui-ci le risque que soient violés ses droits fondamentaux consacrés à l'article 4 et à l'article 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre concerné ne saurait déroger au principe de non-refoulement sur le fondement du 2 de l'article 33 de la convention de Genève.

13. En premier lieu, M. B... soutient que la révocation de son statut de réfugié résultant de l'application de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne le prive pas de sa qualité de réfugié et des droits qui s'y rattachent, notamment celui de ne pas être refoulé dans le pays dont il a la nationalité. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit au point 12 ci-dessus que la qualité de réfugié ne fait pas obstacle à la possibilité de refouler un réfugié dans son pays d'origine dans les hypothèses prévues à l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pris pour la transposition des dispositions du 4 de l'article 14 de la directive du 13 décembre 2011, à la condition que l'intéressé n'encoure pas dans ce pays un risque réel et sérieux d'être soumis aux traitements prohibés par les articles 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

14. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que les autorités consulaires russes en France ont, le 21 juillet 2020, délivré à M. B... un passeport russe, sans que sa demande aux fins d'obtenir ce document ait, en tout état de cause et contrairement à ce qu'il soutient, été exigée par les services de la préfecture de l'Eure en vue du renouvellement de son titre de séjour, ce qui révèle, d'une part, que l'intéressé n'a pas craint d'entrer en contact avec les autorités russes, d'autre part, que ces dernières ne lui ont pas opposé de refus.

15. En troisième lieu, si M. B... fournit deux témoignages selon lesquels les forces de sécurité russes se seraient manifestées à l'occasion des obsèques de sa mère, qui se sont déroulées en Tchétchénie, et à d'autres occasions, pour poser des questions à son propos, ce qui révèlerait qu'il est recherché par ces mêmes forces de sécurité, ces témoignages émanent de membres de sa famille et ne suffisent pas, compte tenu de ce qui est dit au point 14, à établir qu'il encourt, en cas de refoulement vers la Fédération de Russie, un risque réel et sérieux d'être soumis aux traitements prohibés par les articles 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.

16. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de M. B... tendant à ce que soit ordonnée la suspension de l'exécution de l'arrêté du 4 février 2021 fixant la Russie comme pays de destination doivent être rejetées.


O R D O N N E :
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Article 1er : L'ordonnance du 19 février 2021 du juge des référés du tribunal administratif de Paris est annulée.
Article 2 : Les demandes de M. B... devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au ministre de l'intérieur et à M. A... B....