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Ariane Web: Conseil d'État 425424, lecture du 15 avril 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:425424.20210415

Décision n° 425424
15 avril 2021
Conseil d'État

N° 425424
ECLI:FR:CECHR:2021:425424.20210415
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème - 5ème chambres réunies
Mme Cécile Vaullerin, rapporteur
M. Stéphane Hoynck, rapporteur public


Lecture du jeudi 15 avril 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et deux autres mémoires, enregistrés le 16 novembre 2018 et les 14 mars, 17 avril et 16 octobre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association France Nature Environnement (FNE) et l'association France Nature Environnement Allier (FNE Allier) demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2018-435 du 4 juin 2018 modifiant des catégories de projets, plans et programmes relevant de l'évaluation environnementale ;

2°) à titre subsidiaire, d'annuler ce décret en tant qu'il ne corrige pas le libellé de la rubrique 44 dans la nomenclature annexée à l'article R. 122-2 du code de l'environnement, qu'il ne corrige pas les seuils de cette nomenclature qui diffèrent de ceux mentionnés à l'annexe III de la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 du Parlement européen et du Conseil et qu'il n'introduit pas en droit français un mécanisme de " clause filet " ayant pour effet de soumettre à évaluation environnementale les projets ayant une incidence sur l'environnement ne figurant pas dans la nomenclature.

3°) d'annuler la décision implicite de refus du ministre de la transition écologique, née le 27 septembre 2018, opposée à la demande que soient corrigées les insuffisances du décret n° 2018-435 du 4 juin 2018 ou à défaut de la retirer ;

4°) d'enjoindre au Premier ministre d'intégrer en droit interne un mécanisme de " clause filet " dans un délai de 6 mois, sous astreinte de 300 euros par jour de retard ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros à chacune des associations requérantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

6°) le cas échéant, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel afin de déterminer si un Etat peut, en application de la directive 2011/92/CE modifiée par la directive 2014/52/UE, exonérer des projets de l'obligation de réaliser une évaluation environnementale au seul motif qu'ils sont exclus d'une nomenclature nationale fondée sur des critères ne reprenant pas systématiquement les critères de l'annexe III de la directive.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 du Parlement européen et du Conseil ;
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme A... B..., auditrice,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes des deux premiers alinéas du II de l'article L. 122-1 du code de l'environnement, dans sa version alors en vigueur : " Les projets qui, par leur nature, leur dimension ou leur localisation, sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine font l'objet d'une évaluation environnementale en fonction de critères et de seuils définis par voie réglementaire et, pour certains d'entre eux, après un examen au cas par cas effectué par l'autorité environnementale. / Pour la fixation de ces critères et seuils et pour la détermination des projets relevant d'un examen au cas par cas, il est tenu compte des données mentionnées à l'annexe III de la directive 2011/92/UE modifiée du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement. " Aux termes de l'article L. 122-3 du même code : " I. - Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités d'application de la présente section. / II. - Il fixe notamment : / 1° Les catégories de projets qui, en fonction des critères et des seuils déterminés en application de l'article L. 122-1 et, le cas échéant après un examen au cas par cas, font l'objet d'une évaluation environnementale ; (...) ". Le premier alinéa du I de l'article R. 122-2 du même code dispose que : " I. - Les projets relevant d'une ou plusieurs rubriques énumérées dans le tableau annexé au présent article font l'objet d'une évaluation environnementale, de façon systématique ou après un examen au cas par cas, en application du II de l'article L. 122-1, en fonction des critères et des seuils précisés dans ce tableau. "

2. Par le décret attaqué du 4 juin 2018, dont les associations France Nature Environnement et France Nature Environnement Allier demandent l'annulation pour excès de pouvoir, le pouvoir réglementaire a modifié le tableau annexé à l'article R. 122-2 du code de l'environnement. Eu égard aux moyens qu'elles soulèvent, les associations requérantes doivent être regardées comme demandant, d'une part, l'annulation des dispositions, divisibles des autres dispositions du décret, du 6° de son article 1er, modifiant la rubrique 44 d) du tableau annexé à l'article R. 122-2 du code de l'environnement et, d'autre part, l'annulation de la décision implicite de refus du ministre de la transition écologique et solidaire opposée à leur demande que soit modifié le décret pour corriger un libellé incohérent à la rubrique 44 a) du même tableau et pour édicter un dispositif de " clause filet ".

Sur la fin de non-recevoir soulevée par le ministre chargé de l'environnement :

3. L'association France Nature Environnement Allier a pour objet, en vertu de ses statuts, de " protéger et d'étudier la nature et l'environnement dans le département de l'Allier ". Contrairement à ce que soutient le ministre, la circonstance qu'elle soit agréée au niveau départemental n'est pas de nature à lui retirer l'intérêt lui donnant qualité à demander l'annulation pour excès de pouvoir du décret qu'elle attaque. Dès lors, la fin de non-recevoir opposée par le ministre de la transition écologique et solidaire ne peut être accueillie.

Sur les conclusions relatives à la rubrique 44 a) du tableau annexé à l'article R. 122-2 du code de l'environnement :

4. D'une part, la directive du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement prévoit, à son annexe II, que les " pistes permanentes de courses et d'essais pour véhicules motorisés " sont soumises à une évaluation sur la base d'un examen au cas par cas ou sur la base de seuils ou critères fixés par les Etat membres. La rubrique 44 a) du tableau annexé à l'article R. 122-2 du code de l'environnement dispose que les projets de " pistes permanentes de courses d'essai et de loisirs pour véhicules motorisés " sont soumis à évaluation environnementale au cas par cas. Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, il résulte des dispositions de la rubrique 44 a) du tableau annexé à l'article R. 122-2 du code de l'environnement que, ainsi que le prévoit la directive du 13 décembre 2011, les projets de pistes permanentes de courses pour véhicules motorisés et les pistes permanentes d'essais pour véhicules motorisés sont soumis à une obligation d'évaluation environnementale au cas par cas. Il en va, en outre, de même pour les projets de pistes permanentes de loisirs pour véhicules motorisés. Par suite, le moyen tiré de ce que la rubrique 44 a) méconnaîtrait les objectifs de la directive du 13 décembre 2011 doit être écarté.

5. D'autre part, aux termes de l'article L. 362-3 du code de l'environnement : " L'ouverture de terrains pour la pratique de sports motorisés est soumise à l'autorisation prévue à l'article L. 421-2 du code de l'urbanisme. (...) ". Aux termes de l'article L. 421-2 du même code : " Les travaux, installations et aménagements affectant l'utilisation des sols et figurant sur une liste arrêtée par décret en Conseil d'Etat doivent être précédés de la délivrance d'un permis d'aménager. " L'article R* 421-19 du code de l'urbanisme précise que " Doivent être précédés de la délivrance d'un permis d'aménager : / (...) / g) L'aménagement d'un terrain pour la pratique des sports ou loisirs motorisés ; (...) ". Contrairement à ce que soutiennent les requérantes, les termes " pistes permanentes " mentionnés à la rubrique 44 a) du tableau annexé à l'article R. 122-2 du code de l'environnement recouvrent le même champ que le terme " terrains " figurant aux articles L. 362-3 du code de l'environnement et R* 421-9 du code de l'urbanisme. Par suite et en tout état de cause, le moyen tiré de ce que la rubrique 44 a) méconnaîtrait les dispositions des articles L. 362-3 du code de l'environnement et R* 421-9 du code de l'urbanisme ne peut qu'être écarté.

Sur les conclusions relatives à la rubrique 44 d) de l'annexe de l'article R. 122-2 du code de l'environnement :

6. Aux termes du 1. de l'article 2 de la directive du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement : " Les Etats membres prennent les dispositions nécessaires pour que, avant l'octroi de l'autorisation, les projets susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement, notamment en raison de leur nature, de leurs dimensions ou de leur localisation, soient soumis à une procédure de demande d'autorisation et à une évaluation en ce qui concerne leur incidence sur l'environnement. Ces projets sont définis à l'article 4. " Le 2. de l'article 4 de la directive dispose que : " (...) pour les projets énumérés à l'annexe II, les Etats membres déterminent si le projet doit être soumis à une évaluation (...). Les Etats membres procèdent à cette détermination : / a) sur la base d'un examen cas par cas ; / ou / b) sur la base des seuils ou critères fixés par l'Etat membre. Les Etats membres peuvent décider d'appliquer les deux procédures visées aux points a) et b) ". Aux termes du 3. du même article : " Pour l'examen au cas par cas ou la fixation des seuils ou critères en application du paragraphe 2, il est tenu compte des critères de sélection pertinents fixés à l'annexe III. (...) ". Aux termes des deux premiers alinéas de l'article L. 122-1 du code de l'environnement : " Les projets qui, par leur nature, leur dimension ou leur localisation, sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine font l'objet d'une évaluation environnementale en fonction de critères et de seuils définis par voie réglementaire et, pour certains d'entre eux, après un examen au cas par cas. / Pour la fixation de ces critères et seuils et pour la détermination des projets relevant d'un examen au cas par cas, il est tenu compte des données mentionnées à l'annexe III de la directive 2011/92/UE modifiée du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement. " L'annexe III de la directive définit les " critères visant à déterminer si les projets figurant à l'annexe II devraient faire l'objet d'une évaluation des incidences sur l'environnement ", à savoir " 1. Caractéristique des projets (...) considérées notamment par rapport : a) à la dimension (...) ; b) au cumul avec d'autres projets existants et/ou approuvés ; c) à l'utilisation des ressources naturelles (...) ; (...) / 2. Localisation des projets / La sensibilité environnementale des zones géographiques susceptibles d'être affectées par le projet doit être considérée en prenant notamment en compte : (...) b) la richesse relative, la disponibilité (...) des ressources naturelles de la zone (...) ; c) la capacité de charge de l'environnement naturel (...) / 3. Types et caractéristiques de l'impact potentiel / Les incidences notables probables qu'un projet pourrait avoir sur l'environnement doivent être considérées (...) en tenant compte de : a) l'ampleur et l'entendue spatiale de l'impact (...) ; b) la nature de l'impact ; (...) e) la probabilité de l'impact ; (...) ".

7. Il résulte des termes de la directive, tels qu'interprétés par la Cour de justice de l'Union européenne, que l'instauration, par les dispositions nationales, d'un seuil en-deçà duquel une catégorie de projets est exemptée d'évaluation environnementale n'est compatible avec les objectifs de cette directive que si les projets en cause, compte tenu, d'une part, de leurs caractéristiques, en particulier leur nature et leurs dimensions, d'autre part, de leur localisation, notamment la sensibilité environnementale des zones géographiques qu'ils sont susceptibles d'affecter, et, enfin, de leurs impacts potentiels ne sont pas susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine.

8. En vertu des seuils fixés au d) de la rubrique 44 du tableau annexé à l'article R. 122-2 du code de l'environnement, dans leur rédaction issue du décret attaqué, la construction d'équipements sportifs ou de loisirs ne figurant dans aucune autre rubrique du tableau et susceptibles d'accueillir un nombre de personnes égal ou inférieur à 1 000 est exemptée systématiquement de toute évaluation environnementale, quelles que puissent être, par ailleurs, leurs autres caractéristiques et notamment leur localisation. Ainsi, en ce qu'il exempte de toute évaluation environnementale ces projets à raison seulement de leur dimension, alors que, eu égard notamment à leur localisation, ces projets peuvent avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine, le décret attaqué méconnaît les objectifs de la directive du 13 décembre 2011.

9. Il résulte de ce qui précède que les requérantes sont fondées, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de la requête relatif à ces dispositions, à demander l'annulation du 6° de l'article 1er du décret attaqué qui introduit au d) de la rubrique 44 du tableau annexé à l'article R. 122-2 du code de l'environnement les mots " susceptibles d'accueillir plus de 1 000 personnes ".

Sur les conclusions dirigées contre le décret en tant qu'il exclut du champ de l'évaluation environnementale certains projets susceptibles d'avoir une incidence notable sur l'environnement ou la santé humaine :

10. Il ressort du tableau annexé à l'article R. 122-2 du code de l'environnement que les seuils en-deçà desquels les projets sont dispensés de toute évaluation environnementale sont principalement fondés sur un critère relatif à leur dimension, telles que la taille ou la capacité de l'installation projetée, alors même que, ainsi qu'il a été dit au point 7, la question de savoir si un projet est susceptible d'avoir des incidences notables sur l'environnement et la santé humaine peut également dépendre d'autres caractéristiques du projet, telles que sa localisation, comme le prévoit expressément l'annexe III de la directive du 13 décembre 2011 à laquelle renvoie l'article L. 122-1 du code de l'environnement. Par suite, en ne prévoyant pas de soumettre à une évaluation environnementale, lorsque cela apparaît nécessaire, des projets qui, bien que se trouvant en-deçà des seuils qu'il fixe, sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine en raison notamment de leur localisation, le décret attaqué méconnaît les objectifs de la directive du 13 décembre 2011. Il en résulte, sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel, que les associations requérantes sont fondées à demander l'annulation du décret attaqué en tant qu'il exclut certains projets de toute évaluation environnementale sur le seul critère de leur dimension, sans comporter de dispositions permettant de soumettre à une évaluation environnementale des projets qui, en raison d'autres caractéristiques telles que leur localisation, sont susceptibles d'avoir une incidence notable sur l'environnement ou la santé humaine.

11. L'annulation prononcée au point précédent implique que le Premier ministre prenne des dispositions réglementaires permettant qu'un projet, lorsqu'il apparaît qu'il est susceptible d'avoir une incidence notable sur l'environnement ou la santé humaine pour d'autres caractéristiques que sa dimension, notamment sa localisation, puisse être soumis à une évaluation environnementale. Il y a lieu, pour le Conseil d'Etat, d'ordonner cette édiction dans un délai de neuf mois à compter de la notification de la présente décision.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à l'association France Nature Environnement et l'association France Nature Environnement Allier au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : Les dispositions du 6° de l'article 1er du décret n° 2018-435 du 4 juin 2018 sont annulées.
Article 2 : Le décret n° 2018-435 du 4 juin 2018 est annulé en tant qu'il ne prévoit pas de dispositions permettant qu'un projet susceptible d'avoir une incidence notable sur l'environnement pour d'autres caractéristiques que sa dimension puisse être soumis à une évaluation environnementale.
Article 3 : Il est enjoint au Premier ministre de prendre, dans un délai de 9 mois à compter de la notification de la présente décision, les dispositions permettant qu'un projet susceptible d'avoir une incidence notable sur l'environnement ou la santé humaine pour d'autres caractéristiques que sa dimension, notamment sa localisation, puisse être soumis à une évaluation environnementale.
Article 4 : L'Etat versera à l'association France Nature Environnement et l'association France Nature Environnement Allier une somme unique de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à l'association France Nature Environnement, première dénommée, pour l'ensemble des requérantes, au Premier ministre et à la ministre de la transition écologique.
Copie en sera adressée à la section du rapport et des études.


Voir aussi