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Décision n° 451754
17 mai 2021
Conseil d'État

N° 451754
ECLI:FR:CEORD:2021:451754.20210517
Inédit au recueil Lebon
Juge des référés
SCP ZRIBI, TEXIER, avocats


Lecture du lundi 17 mai 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M. E... C... et Mme A... D... ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Limoges, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, en premier lieu, de les admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, en deuxième lieu, de faire cesser l'atteinte grave et manifestement illégale portée par le ministre de l'intérieur et le préfet de la Haute-Vienne à leur droit à la vie, à leur droit de ne pas subir de traitements inhumains et dégradants, à leur droit d'asile, à leur droit à une vie privée et familiale, consistant dans l'exécution de la mesure d'éloignement de M. C... vers la Russie et, en dernier lieu, d'enjoindre au préfet de la Haute-Vienne et au ministre de l'intérieur d'organiser le retour sur le territoire français de M. C... dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la notification de la présente ordonnance, sous astreinte de 250 000 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2100616 du 14 avril 2021, le juge des référés du tribunal administratif de Limoges a admis M. C... et Mme D... au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire et a rejeté leur requête.

Par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 15, 16 et 23 avril 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C... et Mme D... demandent au juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à leurs conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.


Ils soutiennent que :
- l'ordonnance attaquée méconnaît le principe du contradictoire en ce qu'elle se fonde sur un motif relevé d'office et pour lequel les parties n'ont pas été préalablement invitées à présenter leurs observations ;
- le juge des référés du tribunal administratif de Limoges était compétent pour ordonner le retour de M. C... en France, dès lors que les décisions d'expulsion et de fixation du pays de renvoi à l'égard d'un ressortissant étranger ne sont pas des actes de gouvernement et sont détachables de la conduite des relations internationales de la France ;
- la production de la décision contestée ou la justification de l'impossibilité de la produire n'est pas une condition de recevabilité du référé-liberté ;
- la condition d'urgence est satisfaite dès lors que l'exécution immédiate de la mesure d'éloignement vers la Russie a eu et continue d'avoir pour effet, d'une part, de l'exposer à des risques directs pour sa vie ainsi qu'à des traitements inhumains et dégradants, alors même que, dans un avis du 10 mars 2021, la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) a déclaré que la France violerait la convention de Genève si elle l'exposait à un risque de refoulement vers la Russie et, d'autre part, de le séparer de sa famille restée en France ;
- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont le droit à la vie et le droit de ne pas subir des traitements inhumains ou dégradants dès lors que, d'une part, il a été renvoyé, après la révocation de son statut de réfugié par la Pologne, dans son pays d'origine, la Russie, sans que les autorités françaises apprécient préalablement la réalité et l'actualité du risque qu'il allègue encourir, et alors même que ce risque a été reconnu par la CNDA dans un avis du 10 mars 2021 ;
- son expulsion méconnaît son droit au respect de sa vie privée et familiale, dès lors qu'il se retrouve séparé de son épouse et de ses cinq enfants, qui vivent tous en France et qui ne pourront pas le rejoindre en Russie, compte-tenu du statut de réfugié dont ils bénéficient en Pologne, à l'exception de trois de ses enfants ;
- elle méconnaît son droit constitutionnel d'asile, dès lors qu'il est convoqué le 28 avril 2021 devant la CNDA afin qu'il soit statué sur sa demande de protection internationale ;
- elle méconnaît son droit à un recours effectif, dès lors qu'en premier lieu, cette mesure a été décidée et exécutée de manière extrêmement brutale et expéditive, alors qu'il respectait son assignation à résidence et qu'il avait déjà exécuté trois mois de placement au centre de rétention administrative, en deuxième lieu, il n'a pas pu exercer un recours préalable, la mesure d'éloignement lui ayant été notifiée le jeudi 8 avril 2021 au soir, sans aucun moyen de communication pour joindre son avocat, avant d'être mise en exécution dès le vendredi 9 avril 2021 à l'aube et, en dernier lieu, la mesure a été exécutée malgré l'effet suspensif de la saisine pour avis devant la CNDA du 9 avril 2021 sur le fondement de l'article L. 731-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont les autorités françaises étaient informées ;
- elle est entachée d'illégalité dès lors que, d'une part, la CNDA a, par un avis du 10 mars 2021, déclaré que les autorités françaises violeraient la convention de Genève si elles l'exposaient à un risque de refoulement vers la Russie et, d'autre part, elle témoigne de la volonté délibérée des autorités françaises de contourner, en méconnaissance du principe de prééminence du droit et de séparation des pouvoirs, les précédentes décisions rendues dans cette affaire par le tribunal administratif de Limoges et la CNDA ;
- contrairement à ce qu'affirme pour la première fois en 2021 le ministre de l'intérieur, M. C... ne s'est pas rendu en Russie à plusieurs reprises en 2015 et 2016.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 19 avril 2021, l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers conclut à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de M. C... et Mme D.... Elle soutient que son intervention est recevable et s'associe aux moyens de la requête.

Par deux mémoires conjoints en intervention, enregistrés les 22 et 26 avril 2021, le Syndicat des avocats de France et l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers concluent à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de M. C... et Mme D.... Ils soutiennent que leur intervention est recevable et s'associent aux moyens de la requête.

Par un mémoire en défense, enregistré le 22 avril 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient qu'elle n'est pas fondée.


Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, les requérants et d'autre part, le ministre de l'intérieur ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 29 avril 2021, à 14 heures 30 :

- Me B..., avocate au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate des requérants ;

- le représentant des requérants ;

- le représentant de l'association des avocats pour la défense des droits des étrangers, intervenant ;

- les représentantes du ministre de l'intérieur ;

à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 29 avril 2021, présentée par le ministre de l'intérieur ;

Vu les notes en délibéré, enregistrées les 30 avril et 5 mai 2021, présentées par les requérants ;


Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. (...) ".

Sur l'intervention de l'association Avocats pour la Défense des Droits des étrangers et le syndicat des avocats de France :

2. L'association Avocats pour la Défense des Droits des étrangers et le syndicat des avocats de France justifient d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de la requête de M. C.... Ainsi, leur intervention est recevable.

Sur la requête en référé :

3. Il résulte de l'instruction que M. C..., ressortissant russe originaire de Tchétchénie, s'est vu accordé le statut de réfugié par les autorités polonaises par une décision du 21 octobre 2011. Il a ensuite quitté la Pologne et est arrivé en France le 21 septembre 2012. Il a présenté le 17 décembre 2012 une demande d'asile, rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 23 avril 2015 au motif que le statut de réfugié lui avait été accordé par la Pologne, qu'il ne démontrait pas la réalité des menaces alléguées dans ce pays et n'avait pas été préalablement admis au séjour en France. Par une décision du 3 janvier 2019 prise pour les mêmes motifs, la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) a rejeté la requête de M. C... dirigée contre cette décision de l'OFPRA.

4. Par une décision du 7 janvier 2019, les autorités polonaises ont retiré le statut de réfugié à M. C... au motif notamment que le risque de persécution en cas de retour en Russie avait disparu, lui déniant ainsi également la qualité de réfugié. Par une décision du 19 octobre 2020, le directeur général de l'OFPRA, au vu de la décision des autorités polonaises de mettre fin au statut de réfugié, a déclaré recevable la demande de réexamen présentée par M. C... mais lui a à nouveau refusé le statut de réfugié, cette fois sur le fondement de l'article L. 711-6, 1° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui fait obstacle à l'octroi du statut lorsqu'il existe des raisons sérieuses de considérer que la présence en France de la personne concernée constitue une menace grave pour la sûreté de l'Etat. Le 10 novembre 2020, M. C... a formé contre cette décision un recours, lequel est actuellement pendant devant la CNDA.

5. Par un arrêté du 2 décembre 2020 le préfet de la Haute-Vienne a délivré à l'encontre de M. C... une obligation de quitter le territoire français sans délai, fixant la Pologne comme pays de renvoi. M. C... a saisi de cet arrêté la CNDA le 9 décembre 2020, selon la procédure d'avis prévue à l'article L. 731-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dans un avis du 10 mars 2021, la CNDA a considéré qu'il résultait de la décision de l'OFPRA du 19 octobre 2020 que M. C... avait la qualité de réfugié à défaut d'en avoir le statut et qu'eu égard aux risques de persécution en cas de retour en Russie, les autorités françaises devaient s'assurer de son non refoulement vers la Russie par les autorités polonaises. Par deux arrêtés du 8 avril 2021, le ministre de l'intérieur a, d'une part, ordonné l'expulsion en urgence absolue de M. C... du territoire français, et, d'autre part, fixé la Russie comme pays de renvoi. Le 9 avril 2021, la mesure d'éloignement a été mise à exécution et M. C... éloigné vers la Russie.

6. M. C... et Mme D... demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2, d'annuler l'ordonnance du 14 avril 2021 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Limoges a rejeté leur demande tendant, notamment, à enjoindre au préfet de la Haute-Vienne et au ministre de l'intérieur d'organiser le retour sur le territoire français de M. C..., et de faire droit à cette demande.

En ce qui concerne la compétence du juge des référés du tribunal administratif de Limoges :

7. Aux termes de l'article R. 312-1 du code de justice administrative : " Lorsqu'il n'en est pas disposé autrement par les dispositions de la section 2 du présent chapitre ou par un texte spécial, le tribunal administratif territorialement compétent est celui dans le ressort duquel a légalement son siège l'autorité qui, soit en vertu de son pouvoir propre, soit par délégation, a pris la décision attaquée ". Aux termes de l'article R. 312-8 du même code : " Les litiges relatifs aux décisions individuelles prises à l'encontre de personnes par les autorités administratives dans l'exercice de leurs pouvoirs de police relèvent de la compétence du tribunal administratif du lieu de résidence des personnes faisant l'objet des décisions attaquées à la date desdites décisions. / Toutefois, cette dérogation aux dispositions de l'article R. 312-1 n'est pas applicable : / (...) 2° Aux litiges relatifs aux décisions ministérielles prononçant l'expulsion d'un ressortissant étranger, fixant le pays de renvoi de celui-ci ou assignant à résidence l'étranger qui a fait l'objet d'une décision d'expulsion et qui ne peut déférer à cette mesure ".

8. Les demandes présentées devant le tribunal administratif de Limoges par M. C... et Mme D... sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative étaient relatives à l'exécution des deux arrêtés du ministre de l'intérieur du 8 avril 2021 qui, pour l'un, ordonne l'expulsion en urgence absolue de M. C... du territoire français et, pour l'autre, fixe la Russie comme pays de renvoi. Il résulte des dispositions citées au point 7 que, comme le relevait le ministre de l'intérieur en défense devant le tribunal administratif de Limoges, seul le juge des référés du tribunal administratif de Paris était compétent pour connaître de ces demandes. Dès lors, il y a lieu, pour ce motif évoqué lors de l'audience devant le Conseil d'Etat, d'annuler l'ordonnance du 14 avril 2021 du juge des référés du tribunal administratif de Limoges et, dans les circonstances de l'espèce, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la requête de M. C... et Mme D....

En ce qui concerne les risques encourus par M. C... en Russie :

9. Le 2° du paragraphe A de l'article 1er de la convention de Genève stipule que la qualité de réfugié est notamment reconnue à " toute personne qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 14 de la directive du 13 décembre 2011 : " (...) 4. Les États membres peuvent révoquer le statut octroyé à un réfugié par une autorité gouvernementale, administrative, judiciaire ou quasi judiciaire, y mettre fin ou refuser de le renouveler, / a) lorsqu'il existe des motifs raisonnables de le considérer comme une menace pour la sécurité de l'État membre dans lequel il se trouve ; / b) lorsque, ayant été condamné en dernier ressort pour un crime particulièrement grave, il constitue une menace pour la société de cet État membre. / 5. Dans les situations décrites au paragraphe 4, les États membres peuvent décider de ne pas octroyer le statut de réfugié, lorsqu'une telle décision n'a pas encore été prise. / 6. Les personnes auxquelles les paragraphes 4 et 5 s'appliquent ont le droit de jouir des droits prévus aux articles 3, 4, 16, 22, 31, 32 et 33 de la convention de Genève ou de droits analogues, pour autant qu'elles se trouvent dans l'État membre ". L'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pris pour la transposition des dispositions précitées des 4 et 5 de l'article 14 de la directive du 13 décembre 2011, dispose que : " Le statut de réfugié peut être refusé ou il peut être mis fin à ce statut lorsque : / 1° Il y a des raisons sérieuses de considérer que la présence en France de la personne concernée constitue une menace grave pour la sûreté de l'Etat ; / 2° La personne concernée a été condamnée en dernier ressort en France soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, et sa présence constitue une menace grave pour la société ".

10. Les dispositions de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être interprétées conformément aux objectifs de la directive du 13 décembre 2011 dont ils assurent la transposition et qui visent à assurer, dans le respect de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, d'une part, que tous les États membres appliquent des critères communs pour l'identification des personnes nécessitant une protection internationale et, d'autre part, un niveau minimal d'avantages à ces personnes dans tous les États membres. Il résulte du paragraphe 4 de l'article 14 de cette directive, tels qu'interprété par l'arrêt C-391/16, C-77/17 et C-78/17 du 14 mai 2019 de la Cour de justice de l'Union européenne, que la " révocation " du statut de réfugié, que ses dispositions prévoient, ne saurait avoir pour effet de priver de la qualité de réfugié le ressortissant d'un pays tiers ou l'apatride concerné qui remplit les conditions pour se voir reconnaître cette qualité au sens du A de l'article 1er de la convention de Genève. En outre, le paragraphe 6 de l'article 14 de cette même directive doit être interprété en ce sens que l'Etat membre qui fait usage des facultés prévues à l'article 14, paragraphe 4, de cette directive, doit accorder au réfugié relevant de l'une des hypothèses visées à ces dispositions et se trouvant sur le territoire de cet Etat membre, à tout le moins, le bénéfice des droits et protections consacrés par la convention de Genève auxquels cet article 14, paragraphe 6, fait expressément référence, en particulier la protection contre le refoulement vers un pays où sa vie ou sa liberté serait menacée.

11. Par suite, les dispositions de l'article L. 711-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne permettent à l'OFPRA que de refuser d'exercer la protection juridique et administrative d'un réfugié ou d'y mettre fin, dans les limites prévues par l'article 33, paragraphe 1, de la convention de Genève et le paragraphe 6 de l'article 14 de la directive du 13 décembre 2011, lorsqu'il y a des raisons sérieuses de considérer que la présence en France de l'intéressé constitue une menace grave pour la sûreté de l'Etat ou lorsque l'intéressé a été condamné en dernier ressort en France soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d'emprisonnement, et que sa présence constitue une menace grave pour la société. La perte du statut de réfugié résultant de l'application de l'article L. 711-6 ne saurait dès lors avoir une incidence sur la qualité de réfugié, que l'intéressé est réputé avoir conservée dans l'hypothèse où l'OFPRA et, le cas échéant, le juge de l'asile, font application de l'article L. 711-6, dans les limites prévues par l'article 33, paragraphe 1, de la convention de Genève et le paragraphe 6 de l'article 14 de la directive du 13 décembre 2011.

12. D'autre part, aux termes de l'article 33 de la convention de Genève : " 1. Aucun des États [c]ontractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. / 2. Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu'il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l'objet d'une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays ". Aux termes de l'article 21 de la directive du 13 décembre 2011 : " 1. Les États membres respectent le principe de non-refoulement en vertu de leurs obligations internationales. / 2. Lorsque cela ne leur est pas interdit en vertu des obligations internationales visées au paragraphe 1, les États membres peuvent refouler un réfugié, qu'il soit ou ne soit pas formellement reconnu comme tel :/ a) lorsqu'il y a des raisons sérieuses de considérer qu'il est une menace pour la sécurité de l'État membre où il se trouve ; ou/ b) lorsque, ayant été condamné en dernier ressort pour un crime particulièrement grave, il constitue une menace pour la société de cet État membre. / (...) ". Il résulte de ces dispositions que les Etats membres peuvent déroger au principe de non-refoulement lorsqu'il existe des raisons sérieuses de considérer que le réfugié représente un danger pour la sécurité de l'Etat membre où il se trouve ou lorsque, ayant été condamné définitivement pour un crime particulièrement grave, il constitue une menace pour la société de cet Etat. Toutefois, ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne par l'arrêt du 14 mai 2019 cité au point 10 ci-dessus, un Etat membre ne saurait éloigner un réfugié lorsqu'il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu'il encourt dans le pays de destination un risque réel de subir des traitements prohibés par les articles 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Ainsi, lorsque le refoulement d'un réfugié relevant de l'une des hypothèses prévues au 4 de l'article 14 ainsi qu'au 2 de l'article 21 de la directive du 13 décembre 2011 ferait courir à celui-ci le risque que soient violés ses droits fondamentaux consacrés à l'article 4 et à l'article 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre concerné ne saurait déroger au principe de non-refoulement sur le fondement du 2 de l'article 33 de la convention de Genève.

13. Il appartient à l'étranger qui conteste son éloignement de démontrer qu'il y a des raisons sérieuses de penser que, si la mesure incriminée était mise à exécution, il serait exposé à un risque réel de se voir infliger des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou aux articles 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Toutefois, ainsi qu'il ressort de l'arrêt du 15 avril 2021 de la Cour européenne des droits de l'homme K.I. contre France (n° 5560/19), le fait que la personne ait la qualité de réfugié est un élément qui doit être particulièrement pris en compte par les autorités et qui représente le point de départ quant à l'analyse de la situation actuelle de la personne. Dès lors, la personne à qui le statut de réfugié a été refusé ou retiré ne peut être éloignée que si, au terme d'un examen approfondi et complet de sa situation, et de la vérification qu'elle possède encore ou non la qualité de réfugié, il est conclu, en cas d'éloignement, à l'absence de risque au regard des stipulations précitées.

14. M. C... soutient qu'en dépit de la révocation de son statut de réfugié par les autorités polonaises et du refus de protection opposé par le directeur général de l'OPFRA sur le fondement de l'article L. 711-6, 1° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il dispose de la qualité de réfugié et des droits qui s'y rattachent, notamment celui de ne pas être refoulé dans le pays dont il a la nationalité. Il fait valoir que son éloignement vers la Russie l'expose à un risque de traitements inhumains et dégradants, voire même de risques directs pour sa vie.

15. Saisie d'une décision préfectorale éloignant M. C... vers la Pologne, la CNDA, dans son avis du 10 mars 2021, a estimé que l'OFPRA, par sa décision du 19 octobre 2020 prise sur le fondement de l'article L. 711-6, 1° du CESEDA de refus d'octroi du statut de réfugié, avait implicitement reconnu que M. C... avait la qualité de réfugié. Elle en a déduit que M. C... était un réfugié au sens et pour l'application de l'article 33 de la Convention de Genève comme de l'article L. 731-3 du CESEDA et, qu'eu égard aux risques de persécutions exposés devant l'OFPRA par M. C... en cas de retour vers la Fédération de Russie, les autorités françaises devaient s'assurer de son non-refoulement vers ce pays par les autorités polonaises. Pour sa part, le juge des référés du tribunal administratif de Paris, saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, a suspendu le 28 avril 2021 la décision du ministre fixant la Russie comme pays de destination, au vu des motifs de cet avis de la CNDA. Par suite, et quand bien même les avis rendus par la Cour sur le fondement de l'article L. 731-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asiles sont dépourvus de l'autorité de chose jugée, le ministre de l'intérieur, qui ne conteste d'ailleurs pas la qualité de réfugié de M. C..., ne pouvait fonder sa décision fixant la Russie comme pays de destination sans au préalable se prononcer sur les éléments avancés par M. C..., devant l'OFPRA comme devant la Cour, au soutien de l'existence de risques afférents à son retour en Russie.

16. M. C... indique avoir participé à la rébellion tchétchène en 2002 au sein du groupe de combattants de Dadaev Said Emin. A partir de 2004, il indique avoir été à plusieurs reprises arrêté, interrogé et brutalisé en Tchétchénie, ce qui l'aurait poussé à se rendre en 2006 au Kazakhstan. En raison de ses liens avec la rébellion tchétchène et sur la base d'accusations d'actes terroristes, il a ensuite été condamné en Tchétchénie à 3 ans de prison. Libéré pour bonne conduite le 19 mai 2009, il indique avoir continué à être régulièrement interrogé et brutalisé, jusqu'à être interpellé avec sa seconde épouse, veuve d'un combattant tchétchène, et avoir fait l'objet d'une nouvelle détention extra-judiciaire du 1er novembre 2009 au 2 mai 2010 dans les sous-sols du Détachement mobile à vocation particulière du ministère de l'intérieur (OMON), où il aurait été soumis à des actes de torture et à de mauvais traitements. Selon un certificat médical présenté à l'OFPRA, ces mauvais traitements ont nécessité son hospitalisation. Après sa libération, il aurait continué de faire l'objet d'interrogations et de menaces de mort qui le conduisirent à partir en Pologne, où il obtint le statut de réfugié. Postérieurement à l'obtention de son statut de réfugié en Pologne, le requérant soutient qu'il a continué à recevoir des menaces de mort sur le territoire polonais du fait d'individus agissant pour le compte des autorités russes, en raison de son témoignage dans une affaire pénale ouverte en Russie puis devant la CEDH pour des faits de tortures sur son co-détenu, lors de leur détention par l'OMON. Enfin, il résulte de l'instruction, et notamment des messages d'Amnesty International produits par le requérant, que M. C..., expulsé vers la Russie le 9 avril dernier, est désormais en détention en Tchétchénie, où sa famille peut lui porter de la nourriture mais ne peut lui rendre visite. L'instruction devant le Conseil d'Etat n'a pas permis d'établir avec certitude les motifs de son placement en détention.

17. Pour sa part, le ministre de l'intérieur ne conteste pas les faits avancés par M. C... au point précédent. Il fait valoir, en revanche, des éléments nouveaux qui n'ont pas été discutés devant l'OFPRA, M. C... ayant refusé de communiquer à l'OFPRA la décision du 7 janvier 2019 des autorités polonaises. Le ministre souligne, en premier lieu, qu'il ressort de la décision du 7 janvier 2019 des autorités polonaises retirant le statut de réfugié à M. C... que son nom a été retiré le 15 février 2016 de la liste fédérale russe des " extrémistes et terroristes ", ce que M. C... ne conteste pas. Le ministre de l'intérieur souligne, en second lieu, que M. C... est retourné en Russie en 2015 et 2016, ce que l'intéressé conteste. Le ministre produit au soutien de cette affirmation deux courriels de l'unité de coordination de la lutte antiterroriste indiquant, d'une part, que M. C... " aurait effectué un voyage en Tchétchénie (Fédération de Russie) de juillet à septembre 2016 " et, d'autre part, que de " source issue de la coopération internationale, il nous a été permis d'apprendre que Magomed C... a également traversé la frontière entre la Pologne et la Biélorussie au niveau de la ville de Terespol, les 28 août 2015, 02 novembre 2016 et 05 novembre 2016. La Biélorussie représente un point de passage quasi inévitable pour se rendre en Russie depuis l'Union Européenne, et il est par ailleurs notable que suite aux accords de janvier 2012 établissant un Espace Économique Commun entre la Biélorussie, le Kazakhstan et la Russie, il est possible pour tout ressortissant de ces trois pays de franchir sans contrôle les frontières intérieures à cet espace. " Par suite, en estimant au vu de ces éléments circonstanciés que M. C... n'encourait pas, en cas de refoulement vers la Fédération de Russie, un risque réel et sérieux d'être soumis aux traitements prohibés par les articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou par les articles 4 et 19 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ou l'article 3, et en procédant à son éloignement vers la Russie, le ministre de l'intérieur n'a pas porté à M. C... une atteinte manifestement illégale à son droit d'asile, son droit à la vie ou son droit de ne pas subir de traitements inhumains ou dégradants.

18. Par ailleurs, eu égard aux motifs graves d'ordre public pour lesquels son éloignement a été décidé - motifs qu'il ne conteste d'ailleurs pas - M. C... n'est pas fondé à soutenir que son éloignement porterait une atteinte manifestement illégale à sa vie privée et familiale.

19. Enfin, M. C... soutient que la mesure d'expulsion méconnait son droit au recours, dans la mesure où il en a saisi la CNDA pour avis sur le fondement de l'article L. 731-3 du CESEDA et qu'il a été éloigné vers la Russie avant que la Cour ne statue. La CNDA a prononcé un non-lieu sur cette demande d'avis mais demeure saisie de sa contestation relative à la décision de l'OFPRA du 19 octobre 2020. Le juge des référés ne peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2 précité, qu'ordonner les mesures d'urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale. Dans tous les cas, l'intervention du juge des référés dans les conditions d'urgence particulière prévues par l'article L. 521-2 précité est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires à la préservation de la liberté en cause. L'injonction demandée par M. C..., que soit ordonné son retour en France, n'est en tout état de cause pas au nombre des mesures d'urgence que la situation permet de prendre utilement pour remédier à la circonstance, à la supposer établie, où il aurait été porté une atteinte grave et manifestement illégale à son droit au recours.

20. Il y a lieu, par suite, de rejeter les demandes de M. C... et de Mme D..., y compris celles présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sans qu'il y ait lieu de les admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.


O R D O N N E :
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Article 1er : L'intervention du Syndicat des avocats de France et de l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers est admise.
Article 2 : L'ordonnance n° 2100616 du 14 avril 2021 du juge des référés du tribunal administratif de Limoges est annulée.
Article 3 : La demande présentée par M. C... et Mme D... devant le juge des référés du tribunal administratif de Limoges est rejetée.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. F... C... et à Mme A... D..., ainsi qu'au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au Premier ministre, au Syndicat des avocats de France et à l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers.