Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 442378, lecture du 28 mai 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:442378.20210528

Décision n° 442378
28 mai 2021
Conseil d'État

N° 442378
ECLI:FR:CECHR:2021:442378.20210528
Publié au recueil Lebon
8ème - 3ème chambres réunies
M. Jonathan Bosredon, rapporteur
M. Romain Victor, rapporteur public
SCP LESOURD, avocats


Lecture du vendredi 28 mai 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La commune de Castelnaudary a demandé au tribunal de Montpellier de prononcer le remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 12 154 euros dont elle estime être titulaire au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2015.

Par un jugement n° 1705392 du 17 décembre 2018, ce tribunal a prononcé la restitution demandée.

Par un arrêt n° 19MA00485 du 16 juin 2020, la cour administrative d'appel de Marseille, sur appel du ministre de l'action et des comptes publics, a annulé ce jugement et remis à la charge de la commune de Castelnaudary, à concurrence de la somme de 12 154 euros, les droits de taxe sur la valeur ajoutée dont le tribunal administratif avait prononcé le remboursement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 3 août et 2 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la commune de Castelnaudary demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer et de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne les questions préjudicielles suivantes :

- " La commune de Castelnaudary, qui exploite en régie directe la piscine située sur son territoire, doit-elle être regardée comme accomplissant, ce faisant, une activité "en tant qu'autorité publique" au sens de l'article 13 §1, alinéa 1er, de la directive n° 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ' " ;
- " Le défaut d'assujettissement à la TVA de la commune de Castelnaudary à raison de l'exploitation en régie directe de la piscine située sur son territoire, aboutirait-il à des "distorsions de concurrence d'une certaine importance" au sens de l'article 13 §1, alinéa 2, de la directive n° 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ' " ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la directive n° 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jonathan Bosredon, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Romain Victor, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lesourd, avocat de la commune de Castelnaudary ;



Considérant ce qui suit :

1. La commune de Castelnaudary exploite une piscine, située sur son territoire, dont elle est propriétaire et dont les principaux équipements sont constitués d'un bassin olympique extérieur de 50 mètres et d'un bassin couvert de 25 mètres, tous deux destinés à la natation. Estimant devoir être assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée au titre de cette exploitation, elle a demandé le 11 mai 2017 à l'administration fiscale de lui rembourser la somme de 12 154 euros correspondant à l'excédent de la taxe qu'elle a supportée à raison des dépenses acquittées pour les besoins de cette activité sur le montant de la taxe à collecter lors de la facturation des prestations rendues aux usagers de la piscine. Cette demande a été rejetée par l'administration le 16 novembre 2017. La commune de Castelnaudary se pourvoit contre l'arrêt du 16 juin 2020 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a annulé le jugement du 17 décembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Montpellier avait fait droit à la restitution sollicitée.

2. Aux termes de l'article 13 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, qui reprend les dispositions du paragraphe 5 de l'article 4 de la directive 77/388/CEE du Conseil du 17 mai 1977 : " 1. Les États, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu'ils accomplissent en tant qu'autorités publiques, même lorsque, à l'occasion de ces activités ou opérations, ils perçoivent des droits, redevances, cotisations ou rétributions. / Toutefois, lorsqu'ils effectuent de telles activités ou opérations, ils doivent être considérés comme des assujettis pour ces activités ou opérations dans la mesure où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d'une certaine importance. (...) / 2. Les États membres peuvent considérer comme activités de l'autorité publique les activités des organismes de droit public, lorsqu'elles sont exonérées en vertu des articles 132 (...) ". Aux termes du m du 1 de l'article 132 de cette directive, les États membres exonèrent " certaines prestations de services ayant un lien étroit avec la pratique du sport ou de l'éducation physique, fournies par des organismes sans but lucratif aux personnes qui pratiquent le sport ou l'éducation physique ".

3. Aux termes de l'article 256 du code général des impôts : " I. Sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée les livraisons de biens et les prestations de services effectuées à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel (...) ". Aux termes de l'article 256 A du même code : " Sont assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée les personnes qui effectuent de manière indépendante une des activités économiques mentionnées au troisième alinéa, quels que soient le statut juridique de ces personnes, leur situation au regard des autres impôts et la forme ou la nature de leur intervention. / (...) Les activités économiques visées au premier alinéa se définissent comme toutes les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services (...) ". Aux termes de l'article 256 B du même code : " Les personnes morales de droit public ne sont pas assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée pour l'activité de leurs services administratifs, sociaux, éducatifs, culturels et sportifs lorsque leur non-assujettissement n'entraîne pas de distorsions dans les conditions de la concurrence (...) ".

4. Il résulte de dispositions citées au point 2, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans son arrêt du 29 octobre 2015 (C-174/14) Saudaçor - Sociedade Gestora de Recursos e Equipamentos da Saúde dos Açores SA, que le non-assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée prévue en faveur des personnes morales de droit public énumérées au paragraphe 1 de l'article 13 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006, qui déroge à la règle générale de l'assujettissement de toute activité de nature économique, est subordonné à deux conditions cumulatives tenant, d'une part, à ce que l'activité soit exercée par un organisme agissant en tant qu'autorité publique et, d'autre part, à ce que le non-assujettissement ne conduise pas à des distorsions de concurrence d'une certaine importance.

5. En premier lieu, la condition selon laquelle l'activité économique est réalisée par l'organisme public en tant qu'autorité publique est remplie, selon la jurisprudence de la Cour de justice, lorsque l'activité en cause est exercée dans le cadre du régime juridique particulier aux personnes morales de droit public. Ainsi, l'activité en cause doit être exercée dans des conditions juridiques différentes de celles des opérateurs économiques privés, notamment, lorsque sont mises en oeuvre des prérogatives de puissance publique, lorsque l'activité est accomplie en raison d'une obligation légale ou dans le cadre d'un monopole ou encore lorsqu'elle relève par nature des attributions d'une personne publique. Cette condition peut également, si la législation de l'Etat membre le prévoit, être regardée comme remplie lorsque l'activité exercée est exonérée en application, notamment, de l'article 132 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006. Si cette condition n'est pas remplie, la personne morale de droit public est nécessairement assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée à raison de cette activité économique, sans préjudice des éventuelles exonérations applicables.

6. En second lieu, par un arrêt du 16 septembre 2008 (C-288/07) Commissioners of Her Majesty's Revenue et Customs contre Isle of Wight Council et autres, la Cour de justice a dit pour droit que les distorsions de concurrence d'une certaine importance auxquelles conduirait le non-assujettissement des organismes de droit public agissant en tant qu'autorités publiques doivent être évaluées par rapport à l'activité en cause, en tant que telle, indépendamment de la question de savoir si ces organismes font face ou non à une concurrence au niveau du marché local sur lequel ils accomplissent cette activité, ainsi que par rapport non seulement à la concurrence actuelle, mais également à la concurrence potentielle, pour autant que la possibilité pour un opérateur privé d'entrer sur le marché pertinent soit réelle, et non purement hypothétique. Par un arrêt du 19 janvier 2017 (C-344/15) National Roads Authority, la Cour de justice a précisé que les distorsions de concurrence d'une certaine importance doivent être évaluées en tenant compte des circonstances économiques et que la seule présence d'opérateurs privés sur un marché, sans la prise en compte des éléments de fait, des indices objectifs et de l'analyse de ce marché, ne saurait démontrer ni l'existence d'une concurrence actuelle ou potentielle ni celle d'une distorsion de concurrence d'une certaine importance. Les distorsions de concurrence mentionnées au paragraphe 1 de l'article 13 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006 s'apprécient à la fois au regard de l'activité en cause et des conditions d'exploitation de cette activité. L'existence de telles distorsions ne saurait, dès lors, résulter de la seule constatation que des prestations réalisées par un organisme de droit public sont identiques à celles réalisées par un opérateur privé, sans examen de l'état de la concurrence réelle, ou à défaut potentielle, sur le marché en cause.

7. Pour juger qu'en application des dispositions précitées de l'article 256 B du code général des impôts, prises pour la transposition des dispositions citées au point 2, la commune de Castelnaudary ne devait pas être assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée à raison de l'exploitation de la piscine dont elle est propriétaire, la cour administrative d'appel s'est fondée sur ce que cette exploitation était destinée principalement à l'activité sportive et éducative, sur ce qu'il était constant que la commune exploitait la seule piscine ouverte pendant la totalité de l'année située sur le territoire de la communauté de communes de Castelnaudary Lauragais Audois et sur ce qu'il ne résultait pas de l'instruction que l'absence d'assujettissement entraînerait une distorsion dans les conditions de concurrence avec la piscine municipale située à une distance d'un peu plus de vingt kilomètres ou empêcherait la création d'une activité économique concurrente.

8. En statuant ainsi, sans rechercher si l'absence d'assujettissement de la commune au titre de l'exploitation de la piscine en cause serait susceptible, indépendamment même de l'obstacle qu'elle pourrait constituer pour l'émergence d'un tel acteur, d'entraîner une distorsion de concurrence avec un exploitant souhaitant offrir sur le marché pertinent des prestations dans des conditions similaires, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit.

9. Par suite et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens du pourvoi, la commune de Castelnaudary est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

11. Il résulte des dispositions de l'article 256 B du code général des impôts que la France a fait usage de la possibilité, ouverte par le dernier alinéa de l'article 13 de la directive du Conseil du 28 novembre 2006, de regarder comme des activités effectuées en tant qu'autorités publique les services à caractère sportif rendus par les personnes morales de droit public. Eu égard aux caractéristiques des principaux équipements de la piscine de Castelnaudary, à savoir, ainsi qu'il a été dit, un bassin olympique extérieur de 50 mètres et un bassin couvert de 25 mètres destinés à la natation, son exploitation par la commune revêt la nature d'une prestation de service à caractère sportif.

12. Il résulte par ailleurs de l'instruction que compte tenu de la nécessité de garantir un large accès de l'ensemble de la population locale à ce type d'équipement et de la gratuité accordée aux publics scolaires, les droits d'entrée demandés aux usagers ne peuvent couvrir qu'une faible part du montant des charges inhérentes à son fonctionnement. Par suite, un opérateur privé ne serait pas en mesure de proposer un service de nature à satisfaire le même besoin, sauf à bénéficier de subventions publiques. Dans ces conditions, un opérateur privé exerçant cette activité ne saurait être empêché d'entrer sur le marché en cause ou y subir un désavantage du seul fait de son assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée qui lui permet, à la différence d'un opérateur public placé hors du champ de celle-ci, d'obtenir le remboursement de l'excédent de la taxe ayant grevé ses charges sur celle dont il est redevable à raison de ses recettes. Le non-assujettissement de la commune de Castelnaudary à la taxe sur la valeur ajoutée pour l'exploitation de la piscine dont elle est propriétaire n'est ainsi susceptible de créer de distorsion de concurrence ni avec un opérateur privé autonome, ni avec un organisme public bénéficiant du même régime pour des activités similaires.

13. Il résulte de ce qui précède que le tribunal administratif s'est fondé à tort, pour faire droit à la demande de remboursement de taxe sur la valeur ajoutée formée par la commune de Castelnaudary, sur ce que l'exploitation de la piscine municipale par cette commune devait être regardée comme une prestation de services entrant dans le champ d'application des dispositions de l'article 256 A du code général des impôts.

14. Toutefois, il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la commune de Castelnaudary à l'appui de sa demande.

15. En premier lieu, si la commune de Castelnaudary soutient que le non-assujettissement de l'activité en litige à la taxe sur la valeur ajoutée méconnaîtrait le principe de libre administration des collectivités territoriales, un tel moyen, tiré de ce que les dispositions des articles 256, 256 A et 256 B du code général des impôts porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, n'a pas été soulevé par un mémoire distinct, ainsi qu'exigé par l'article R. 771-3 du code de justice administrative. Il est par suite irrecevable.

16. En second lieu, aux termes du dernier alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. Sont également opposables à l'administration, dans les mêmes conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l'impôt et aux pénalités fiscales ".

17. La note adressée le 3 août 2010 par le directeur adjoint de la direction générale des finances publiques au directeur des affaires financières du ministère de la défense, qui au demeurant ne remplit pas les conditions de publication prévues à l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, et les paragraphes 100 à 170 des commentaires administratifs publiés le 4 février 2015 sous la référence BOI-TVA-CHAMP-10-20-10-10 ne donnent en tout état de cause pas de la loi fiscale une interprétation différente de celle exposée précédemment. La commune de Castelnaudary ne peut donc s'en prévaloir sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales précité.

18. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la relance est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a prononcé le remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 12 154 euros au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2015. Il y a donc lieu d'annuler le jugement attaqué et de rejeter la demande de la commune de Castelnaudary.

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.



D E C I D E :
--------------

Article 1er : L'arrêt du 16 juin 2020 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé.
Article 2 : Le jugement du 17 décembre 2018 du tribunal administratif de Montpellier est annulé.
Article 3 : La demande de la commune de Castelnaudary ainsi que ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la commune de Castelnaudary et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.


Voir aussi