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Décision n° 447407
28 mai 2021
Conseil d'État

N° 447407
ECLI:FR:CECHR:2021:447407.20210528
Inédit au recueil Lebon
2ème - 7ème chambres réunies
Mme Stéphanie Vera, rapporteur
M. Guillaume Odinet, rapporteur public
SCP ZRIBI, TEXIER ; SCP FOUSSARD, FROGER, avocats


Lecture du vendredi 28 mai 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Par deux mémoires et un mémoire en réplique enregistrés les 12 mars, 9 avril et 3 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B... A... demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de son pourvoi tendant à l'annulation de la décision n° 20009256 du 3 juin 2020 de la Cour nationale du droit d'asile, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 551-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.


Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New-York le 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 ;
- la loi n° 2018-187 du 20 mars 2018 ;
- la décision du Conseil constitutionnel n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003 ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Stéphanie Vera, maître des requêtes en service extraordinaire ;

- les conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Zribi, Texier avocat de M. A... ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 5 mai 2021, présentée par M. A... ;



Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé [...] à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat [...] ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. L'article L. 551-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont les dispositions sont reprises aux articles L. 744-6 et L. 754-1, dispose que : " A son arrivée au centre de rétention, l'étranger reçoit notification des droits qu'il est susceptible d'exercer en matière de demande d'asile. A cette fin, il peut bénéficier d'une assistance juridique et linguistique. Il lui est notamment indiqué que sa demande d'asile ne sera plus recevable pendant la période de rétention si elle est formulée plus de cinq jours après cette notification. Cette irrecevabilité n'est pas opposable à l'étranger qui invoque, au soutien de sa demande, des faits survenus après l'expiration de ce délai (...) ".

3. Par une décision n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003, le Conseil constitutionnel a, dans les motifs et le dispositif de cette décision, déclaré conforme à la Constitution le V de l'article 35 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, résultant de la loi soumise à son examen, ultérieurement codifié à l'article L. 551-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et rédigé dans les termes suivants : " A son arrivée au centre de rétention, l'étranger reçoit notification des droits qu'il est susceptible d'exercer en matière de demande d'asile. Il lui est notamment indiqué que sa demande d'asile ne sera plus recevable pendant la période de rétention si elle est formulée plus de cinq jours après cette notification. "

4. En premier lieu, si dans un arrêt I.M. c/ France du 2 février 2012 (n° 9152/09), la Cour européenne des droits de l'homme a relevé le caractère " particulièrement bref et contraignant " de ce délai de cinq jours, l'intervention de cet arrêt ne saurait être regardé comme un changement de circonstances. Par ailleurs, les dispositions de l'article L. 551-3 citées au point 3 ont été ultérieurement modifiées et complétées, en particulier par la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile. Ces modifications ont eu pour objet de préciser, d'une part, le droit des intéressés à une assistance juridique et linguistique, d'autre part, l'absence d'opposabilité de l'irrecevabilité d'une demande d'asile présentée plus de cinq jours après la notification des droits de l'intéressé, lorsque celui-ci invoque, au soutien de sa demande, des faits survenus après l'expiration de ce délai. Ces modifications de dispositions jugées conformes à la Constitution par la décision mentionnée au point 3 ayant renforcé les garanties apportées à l'étranger placé en rétention, le grief tiré de ce que le délai de cinq jours serait insuffisant pour que soit effectivement garanti le respect du droit d'asile est dépourvu de caractère sérieux.

5. En second lieu, la loi du 20 mars 2018 permettant une bonne application du régime d'asile européen, a ajouté à la liste des cas dans lesquels, en application de l'article L. 551-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers, l'étranger peut être placé en rétention administrative, celui, mentionné au 1° bis du I. de l'article L. 561-2 de ce code, de l'étranger faisant l'objet d'une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride. Elle a, ce faisant, rendu applicables à l'étranger placé à ce titre en rétention, les dispositions contestées de l'article L. 551-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et le délai de cinq jours qui lui est imparti à peine d'irrecevabilité pour présenter une demande d'asile.

6. Il est soutenu que, dans l'attente de la réponse à la requête de la France et au regard de l'incertitude sur sa responsabilité éventuelle pour le traitement d'une demande d'asile, une telle demande ne pourrait utilement être présentée dans le délai de cinq jours, cette situation mettant en cause l'effectivité du droit constitutionnel de solliciter l'asile. Toutefois, il résulte des dispositions de l'article L. 554-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que, dans l'hypothèse prévue au 1° bis du I. de son article L. 561-2, la rétention ne peut durer que le temps strictement nécessaire à la détermination de l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile et, le cas échéant, à l'exécution d'une décision de transfert, et prend fin immédiatement lorsqu'un Etat requis a refusé de prendre en charge ou de reprendre en charge l'étranger. Dès lors, l'étranger pour lequel une demande de prise en charge ou de reprise en charge a été rejetée, n'est alors plus retenu à ce titre, les dispositions de l'article L. 551-3 ne lui étant plus applicables et il lui est ainsi loisible de présenter une demande d'asile sans être tenu par le délai de cinq jours. Dans l'hypothèse où il fait l'objet d'une nouvelle mesure de rétention à un titre autre que l'examen d'une requête de prise en charge ou de reprise en charge ou l'exécution d'un arrêté de transfert, par exemple en vue de l'exécution d'une autre mesure d'éloignement comme une obligation de quitter le territoire, les dispositions de l'article L. 551-3 sont à nouveau applicables et un nouveau délai de cinq jours court à compter de la date à laquelle la décision de rétention est notifiée à l'intéressé. Dans ces conditions, le grief tiré de la méconnaissance par ces dispositions du droit d'asile, et de son corollaire, du droit de solliciter le statut de réfugié, ne présente pas de caractère sérieux.

7. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.



D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A....

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B... A... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au Premier ministre et au Conseil constitutionnel.