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Ariane Web: Conseil d'État 433393, lecture du 14 juin 2021, ECLI:FR:CECHS:2021:433393.20210614

Décision n° 433393
14 juin 2021
Conseil d'État

N° 433393
ECLI:FR:CECHS:2021:433393.20210614
Inédit au recueil Lebon
6ème chambre
Mme Catherine Moreau, rapporteur
M. Olivier Fuchs, rapporteur public
SCP GASCHIGNARD ; SCP OHL, VEXLIARD, avocats


Lecture du lundi 14 juin 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

M et Mme B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner solidairement l'Etat et la commune de La Faute-sur-Mer à leur verser une somme de 233 975,66 euros en réparation des préjudices découlant de l'illégalité de l'autorisation de lotir délivrée par le maire de la Faute-sur-Mer le 6 mars 2007 pour un terrain situé au lieu-dit la Chenolette. Par un jugement n° 1403789 du 9 octobre 2017, le tribunal administratif de Nantes a condamné solidairement l'Etat et la commune de La Faute-sur-Mer à leur verser une somme de 1 545 euros majorée des intérêts de droit capitalisés.

Par un arrêt n° 17NT03726 du 7 juin 2019, la cour administrative d'appel de Nantes, sur appel de M. et Mme B..., faisant partiellement droit à leur requête tendant à la réformation du jugement du tribunal administratif de Nantes du 9 octobre 2017, a condamné solidairement l'Etat et la commune de La Faute-sur-Mer à leur payer une indemnité de 145 890,48 euros en réparation du préjudice subi.


I. Sous le n° 433393, par un pourvoi et un mémoire complémentaire, enregistrés les 7 août et 8 novembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de La Faute-sur-Mer demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de M. et Mme B... la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



II. Sous le n° 433464, par un pourvoi, enregistré le 8 août 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre de la transition écologique et solidaire demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter l'appel de M. et Mme B....


....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme E... A..., conseillère d'Etat en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Olivier Fuchs, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Gaschignard, avocat de la commune de La Faute-sur-Mer et à la SCP Ohl, Vexliard, avocat de M. et Mme B... ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 29 avril 2021, présentée par M. et Mme B....



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le maire de La Faute-sur-Mer a, le 6 mars 2007, délivré à l'indivision D... une autorisation de lotir un terrain, alors classé en zone constructible par le plan d'occupation des sols, situé au lieu-dit La Chenolette, en vue de la réalisation d'un lotissement dénommé " L'Ecume de mer ". Par un acte de vente du 2 février 2009, M. et Mme B... ont acquis le lot n° 10 du lotissement. Postérieurement à la survenue, dans la nuit du 27 au 28 février 2010, de la tempête Xynthia, le maire de La Faute-sur-Mer a rejeté, le 20 décembre 2010, la demande de permis de construire présentée par ces derniers, en vue de la construction d'une habitation, sur le fondement de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme eu égard aux risques auxquels le projet était exposé. M. et Mme B... ont saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à la réparation des préjudices liés au caractère inconstructible du terrain qu'ils ont acquis. Par un jugement du 9 octobre 2017, le tribunal a condamné la commune de La Faute-sur-Mer et l'Etat à leur verser une somme de 1 545 euros en réparation du seul préjudice causé par le remboursement au vendeur de la participation pour raccordement à l'égout consécutive à la délivrance de l'autorisation de lotir. Par un arrêt du 7 juin 2019, la cour administrative de Nantes, faisant partiellement droit à l'appel formé par M. et Mme B... contre ce jugement, après avoir estimé que si la commune ne pouvait ignorer les risques d'inondation et de submersion marine sur son territoire, l'appréciation de ces risques avait été également sous-évaluée par les services de l'Etat et avait contribué à fausser l'appréciation du maire et à le dissuader de classer en zone inconstructible le secteur de la Chenolette, a retenu que la commune et l'Etat avaient chacun commis une faute de nature à engager leur responsabilité à l'égard de M. et Mme B... et les a condamnés à leur verser solidairement la somme de 145 890,40 euros. La commune de La Faute-sur-Mer et la ministre de la transition écologique et solidaire se pourvoient en cassation contre cet arrêt par deux pourvois qu'il y a lieu de joindre pour statuer par une seule décision.

Sur la régularité de l'arrêt :

2. En premier lieu, il résulte des pièces de la procédure devant la cour administrative d'appel que l'audience publique à laquelle l'affaire en cause a été appelée s'est tenue le 20 mai 2019, comme l'indique l'en-tête de l'arrêt attaqué. La circonstance que ce dernier mentionne à tort, dans ses visas, que les parties ont été entendues au cours de l'audience publique du 14 mai 2019, qui résulte d'une simple erreur de plume, n'a pas été de nature, en l'espèce, de l'entacher d'irrégularité.

3. En second lieu, la cour a, dans les motifs et le dispositif de son arrêt, répondu aux conclusions de l'appel incident présenté par le ministre de la transition écologique et solidaire dans son mémoire enregistré le 3 janvier 2019 et tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif. Par suite, la circonstance qu'elle n'a pas analysé ces conclusions dans son arrêt n'est pas de nature à entacher celui-ci d'irrégularité.

Sur le bien-fondé de l'arrêt :

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat et de la commune de La Faute-sur-Mer :

4. Aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations ". En vertu de l'article L. 562-1 du code de l'environnement, l'Etat élabore et met en application des plans de prévention des risques naturels prévisibles, en particulier pour les inondations et les tempêtes, qui ont notamment pour objet de délimiter les zones exposées aux risques, en tenant compte de leur nature et de leur intensité, d'y interdire les constructions ou la réalisation d'aménagements ou d'ouvrages ou de prescrire les conditions dans lesquelles ils doivent être réalisés, utilisés ou exploités.

5. Il se déduit de ces dispositions que les prescriptions d'un plan de prévention des risques naturels prévisibles, élaboré par l'Etat conformément aux articles L. 562-1 et suivants du code de l'environnement, destinées notamment à assurer la sécurité des personnes et des biens exposés à certains risques naturels et valant servitude d'utilité publique, s'imposent directement aux autorisations de construire, sans que l'autorité administrative ne soit tenue de reprendre ces prescriptions dans le cadre de la délivrance du permis de construire. Il appartient toutefois à l'autorité compétente pour délivrer une autorisation d'urbanisme, si les particularités de la situation l'exigent, de préciser dans l'autorisation, le cas échéant, les conditions d'application d'une prescription générale contenue dans le plan ou de subordonner, en application des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, la délivrance du permis de construire sollicité à d'autres prescriptions spéciales, si elles lui apparaissent nécessaires, que celles qui résultent du plan de prévention des risques naturels prévisibles. L'autorité compétente pour délivrer l'autorisation d'urbanisme peut aussi, si elle estime, au vu d'une appréciation concrète de l'ensemble des caractéristiques de la situation d'espèce qui lui est soumise et du projet pour lequel l'autorisation de construire est sollicitée, y compris d'éléments déjà connus lors de l'élaboration du plan de prévention des risques naturels, que les risques d'atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique le justifient, refuser, sur le fondement de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme et sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de délivrer un permis de construire, alors même que le plan n'aurait pas classé le terrain d'assiette du projet en zone à risques ni prévu de prescriptions particulières qui lui soient applicables.

6. D'une part, pour juger que la responsabilité de l'Etat était engagée en raison de la sous-évaluation des risques d'inondation, la cour a retenu que les services de l'Etat avaient classé, dans le projet de plan de prévention des risques d'inondation appliqué par anticipation par l'arrêté du préfet de la Vendée du 8 juin 2007, les terrains d'assiette du lotissement en secteur bleu foncé correspondant à un risque d'aléa moyen, alors qu'ils disposaient d'informations sur la dangerosité particulière de l'estuaire du Lay, ainsi que cela ressortait en particulier des documents établis antérieurement à la tempête Xynthia. La cour s'est ainsi appuyée sur le rapport de la Cour des comptes de juillet 2012 qui rappelait que cinq tempêtes survenues au 20ème siècle avaient occasionné des submersions marines dans le secteur de La Faute-sur-Mer et de l'Aiguillon-sur-Mer et qui mentionnait plusieurs documents datant de 2007 et 2008 indiquant que la zone de l'estuaire du Lay était la zone la plus dangereuse compte tenu du risque de conjonction, dans l'estuaire, de crues et de la submersion marine notamment sur les zones densifiées à l'arrière d'un réseau vieillissant de digues. En jugeant, après avoir relevé que cette appréciation sous-évaluée du risque avait notamment contribué à fausser l'appréciation du maire de La Faute-sur-Mer et à le dissuader d'opposer un refus aux demandes dont il était saisi concernant le secteur de la Chenolette, que l'Etat avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt, n'a ni commis d'erreur de droit, ni inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis.

7. D'autre part, pour juger que la responsabilité de la commune était engagée en raison de l'illégalité fautive entachant l'autorisation de lotir que le maire de La Faute-sur-Mer a délivrée le 6 mars 2007, la cour a jugé, après avoir relevé par une appréciation souveraine exempte de dénaturation, que la commune " était nécessairement informée de la contradiction entre les informations figurant sur les documents annexés à l'arrêté préfectoral du 8 juin 2007 et de l'évaluation du risque de submersion marine sur son territoire ", qu'il résultait des pièces du dossier qui lui était soumis que plusieurs tempêtes survenues au 20ème siècle avaient occasionné des submersions marines dans le secteur de La Faute-sur-Mer et de l'Aiguillon-sur-Mer et que, dès 2001, le risque d'inondation d'une particulière gravité susceptible d'affecter le territoire communal avait été identifié, la commune ayant notamment été destinataire, pendant une période antérieure d'au moins 12 ans à la tempête Xynthia, par différents canaux, d'informations sur le risque de submersion marine. Compte tenu de ces éléments, la cour a pu juger, sans erreur de qualification juridique, que le maire de la Faute-sur-Mer avait commis en délivrant l'autorisation de lotir une faute de nature à engager la responsabilité de la commune.

En ce qui concerne le lien de causalité entre les fautes commises et les préjudices :

8. La responsabilité d'une personne publique n'est susceptible d'être engagée que s'il existe un lien de causalité suffisamment direct entre les fautes qu'elle a commises et le préjudice subi par la victime.

9. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que c'est par une exacte qualification juridique des faits qui leur étaient soumis que la cour a jugé qu'il existait un lien direct de causalité entre le préjudice subi par M. et Mme B... en raison de l'inconstructibilité des terrains qu'ils avaient acquis et le classement fautif de ces terrains, lors de leur acquisition, en zone UC constructible dans le plan d'occupation des sols de la commune de La Faute-sur-Mer, classement qui avait été favorisé par la sous-estimation fautive par les services de l'Etat du risque d'inondation les affectant.

10. En outre, c'est par une appréciation souveraine exempte de dénaturation que la cour a estimé que la seule circonstance que l'acte notarié mentionnait qu'un plan de prévention des risques naturels prévisibles avait été prescrit le 15 février 2006 ne pouvait, en l'espèce, être de nature à permettre aux intéressés, qui n'étaient pas des professionnels de l'immobilier, d'appréhender l'ampleur du risque auquel ils étaient confrontés pour en déduire que, dans ces conditions, aucune faute des requérants n'était, en l'espèce, de nature à exonérer en tout ou en partie la responsabilité de la commune de La Faute-sur-Mer et de l'Etat.

11. Il résulte de tout ce qui précède que les pourvois de la commune de La Faute-sur-Mer et de l'Etat doivent être rejetés.

12. Les dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. et Mme B..., qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les conclusions présentées à ce titre par la commune de La Faute-sur-Mer ne peuvent dès lors être accueillies.



D E C I D E :
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Article 1er : Les pourvois de la commune de La Faute-sur-Mer et de la ministre de la transition écologique et solidaire sont rejetés.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la commune de La Faute-sur-Mer, à M. et Mme C... B... et à la ministre de la transition écologique.