Base de jurisprudence

Ariane Web: Conseil d'État 433319, lecture du 18 juin 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:433319.20210618

Décision n° 433319
18 juin 2021
Conseil d'État

N° 433319
ECLI:FR:CECHR:2021:433319.20210618
Mentionné aux tables du recueil Lebon
9ème - 10ème chambres réunies
M. Olivier Guiard, rapporteur
Mme Céline Guibé, rapporteur public
SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER, avocats


Lecture du vendredi 18 juin 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

La société Sopra Steria Group a demandé au tribunal administratif de Montreuil :

1°) s'agissant des rehaussements d'impôt procédant de la remise en cause de l'imputation de crédits d'impôt étrangers, à titre principal, de prononcer la décharge et la restitution des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre de ses exercices clos en 2008 et 2009, pour un montant de 1 285 044 euros, ainsi que des pénalités correspondantes et, à titre subsidiaire, de prononcer une réduction en base de son résultat au titre des mêmes exercices d'un montant de 1 289 466 euros, ainsi que la décharge en droits et pénalités des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés correspondantes ;

2°) s'agissant des rehaussements d'impôt procédant de la remise en cause du crédit d'impôt recherche, de prononcer la décharge totale et la restitution des rappels de crédit d'impôt intervenus au titre des exercices 2008 et 2009, pour un montant de 3 056 264 euros, ainsi que des pénalités correspondantes et, à titre subsidiaire, de prononcer la décharge et la restitution partielles de ces rappels pour un montant de 2 536 669 euros, ainsi que des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1605259 du 13 avril 2017, le tribunal administratif de Montreuil a, en premier lieu, déchargé la société Sopra Steria Group des suppléments d'impôt sur les sociétés auxquels elle avait été assujettie au titre des exercices clos en 2008 et 2009 à raison de prestations de services techniques effectuées en Inde, ainsi que des majorations pour manquement délibéré, en deuxième lieu, réduit le résultat imposable de la société du montant correspondant aux retenues à la source prélevées sur des prestations de maintenance informatique réalisées en Grèce, au Maroc, en Tunisie, en Slovaquie, en Malaisie, au Cameroun, en Egypte, en Equateur, au Ghana, en Espagne, en Algérie et en Colombie et, en dernier lieu, rejeté le surplus des conclusions de la demande.

Par un arrêt n°s 17VE01863, 17VE02491 du 4 juin 2019, la cour administrative d'appel de Versailles a, en premier lieu, déchargé la société Sopra Steria Group des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle avait été assujettie au titre de ses exercices clos en 2008 et 2009 à raison, d'une part, de la remise en cause de l'imputation des retenues à la source afférentes à des prestations de services techniques effectuées au Cameroun et, d'autre part, de la déduction opérée par l'administration des sommes de 1 424 601 euros et 2 827 322 euros des bases de son crédit d'impôt recherche, en deuxième lieu, rejeté l'appel formé par le ministre de l'action et des comptes publics, en troisième lieu, réformé le jugement du 13 avril 2017 et enfin rejeté le surplus des conclusions de la requête de la société Sopra Steria Group.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 août, 5 novembre 2019 et le 28 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Sopra Steria Group demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention fiscale conclue entre la France et la Grèce du 21 août 1963 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et le Maroc du 29 mai 1970 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et la Tunisie du 28 mai 1973 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et la Slovaquie du 1er juin 1973 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et la Malaisie du 24 avril 1975 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et le Cameroun du 21 octobre 1976 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et l'Egypte du 19 juin 1980 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et l'Equateur du 16 mars 1989 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et le Ghana du 5 avril 1993 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et l'Espagne du 10 octobre 1995 ;
- la convention fiscale conclue entre la France et l'Algérie du 17 octobre 1999 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Guiard, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat de la Société Sopra Steria Group ;



Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Sopra Steria Group, qui exerce une activité de conception de logiciels, de conseil et de prestation de services dans le domaine informatique, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur ses exercices clos en 2008 et 2009, à l'issue de laquelle l'administration a remis en cause, d'une part, l'imputation sur l'impôt sur les sociétés afférent à ces deux exercices, de crédits d'impôt correspondant aux montants de retenues à la source prélevées par la Grèce, le Maroc, la Tunisie, la Slovaquie, la Malaisie, le Cameroun, l'Egypte, l'Equateur, le Ghana, l'Espagne, l'Algérie et la Colombie sur des rémunérations perçues au titre d'une activité de fabrication et d'intégration de progiciels réalisée dans ces États et, d'autre part, le calcul des crédits d'impôt recherche qu'elle avait déclarés au titre des mêmes exercices. La société Sopra Steria Group se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 4 juin 2019 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles l'a déchargée des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge à raison, d'une part, de la remise en cause de l'imputation des retenues à la source afférentes aux seules prestations de services techniques effectuées au Cameroun et, d'autre part, de la déduction opérée par l'administration des sommes de 1 424 601 euros et 2 827 322 euros des bases de son crédit d'impôt recherche, réformé dans cette mesure le jugement du tribunal administratif de Montreuil du 13 avril 2017 et rejeté le surplus des conclusions de sa requête.

Sur l'imputation des retenues à la source prélevées à l'étranger :

2. D'une part, il résulte de l'article 11 de la convention fiscale franco-grecque, de l'article 16 de la convention fiscale franco-marocaine, de l'article 19 de la convention fiscale franco-tunisienne, de l'article 13 de la convention fiscale franco-slovaque et des articles 12 des conventions fiscales franco-malaisienne, franco-espagnole, franco-égyptienne, franco-équatorienne, franco-ghanéenne et franco-algérienne, que les redevances perçues par un résident français en provenance de l'un de ces Etats en contrepartie de l'usage ou du droit à l'usage de droits d'auteur sur des oeuvres littéraires, artistiques ou scientifiques, y compris d'une formule ou d'un procédé secrets, peuvent donner lieu à une retenue à la source dans l'Etat d'où elles proviennent et entrer également dans l'assiette imposable du bénéficiaire résidant en France.

3. D'autre part, en vertu des stipulations relatives à l'élimination des doubles impositions figurant aux articles 24 des conventions fiscales conclues avec l'Algérie, l'Egypte, l'Espagne et le Ghana, aux articles 23 des conventions conclues avec l'Equateur et la Malaisie, à l'article 21 de la convention conclue avec la Grèce et à l'article 25 de la convention conclue avec la Slovaquie, lorsqu'un résident fiscal de France perçoit des revenus en provenance de ces Etats qui ont la nature de redevances et qui ont supporté l'impôt à l'étranger, la France accorde au bénéficiaire de ces revenus un crédit d'impôt imputable sur l'impôt français, égal au montant de l'impôt prélevé dans l'État d'origine mais qui ne peut excéder le montant de l'impôt français correspondant à ces revenus. Les stipulations de l'article 25 de la convention fiscale franco-marocaine et de l'article 29 de la convention fiscale franco-tunisienne prévoient également, en ce qui concerne cette catégorie de revenus, que la France accorde au bénéficiaire de telles redevances qui a son domicile fiscal en France, une réduction d'impôt correspondant au montant des impôts prélevés au Maroc et en Tunisie sur ces mêmes revenus.

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, en particulier des documents produits par la société Sopra Steria Group, que celle-ci concède à ses clients un droit d'utilisation des progiciels professionnels qu'elle conçoit et leur propose par ailleurs de fabriquer des logiciels et des composants personnalisés et de les intégrer au sein de leurs systèmes d'information. Il ressort également des documents produits par la société Sopra Steria Group devant les juges du fond que la société ne concède à ses clients aucun autre droit de propriété intellectuelle attaché à sa qualité d'auteur des progiciels, ni ne leur transfère des connaissances techniques en dehors de la documentation portant sur l'utilisation des produits qu'elle fournit et de l'accompagnement qu'elle assure pour favoriser leur mise en oeuvre. Dès lors, la cour administrative d'appel de Versailles, qui n'a pas entaché son arrêt d'insuffisance de motivation sur ce point, n'a pas dénaturé les pièces du dossier qui lui était soumis en retenant que les prestations de fabrication et d'intégration de logiciels assurées par la société Sopra Steria Group n'étaient pas accompagnées du transfert de procédés secrets ni du transfert d'un savoir-faire.

5. Il résulte des éléments soumis à la cour que celle-ci a également porté sur les faits de l'espèce une appréciation exempte de dénaturation en relevant que les prestations de fabrication et d'intégration de logiciels assurées par la société n'avaient pas pour objet la fourniture d'études techniques ou économiques au sens des stipulations des conventions franco-marocaine et franco-tunisienne. Il n'était en outre ni démontré ni même allégué devant la cour que le périmètre et le coût de telles études auraient pu être identifiés au sein des prestations de fabrication et d'intégration facturées par la société. Dès lors, la cour n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que les rémunérations retirées de ces prestations ne pouvaient pas être regardées, même partiellement, comme des redevances obtenues en contrepartie de la fourniture d'études techniques au sens desdites conventions.

6. La cour n'a pas non plus dénaturé les pièces qui lui étaient présentées en retenant que l'objet des prestations de fabrication et d'intégration de systèmes et celui de la concession du droit d'usage opéré par les contrats de licence sont distincts, ni en relevant que les clients de la société Sopra Steria Group ne sont pas tenus de recourir aux prestations d'intégration et que ces différents types de prestations font l'objet d'une facturation séparée. Dans ces conditions, en jugeant au vu de ces éléments que les rémunérations perçues en contrepartie des prestations de fabrication et d'intégration et celle reçues en contrepartie des licences de logiciels devaient être distinguées pour l'application des stipulations conventionnelles rappelées aux points 2 et 3 ci-dessus, alors même que les licences d'utilisation consenties par la société Sopra Steria Group sont, d'un point de vue technique et économique, étroitement liées aux prestations de fabrication et d'intégration qui les accompagnent, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt, n'a pas commis d'erreur de droit.

7. Enfin, en déduisant de ces considérations que les rémunérations versées à la société Sopra Steria Group en contrepartie de ses prestations de fabrication et d'intégration de logiciels ne relevaient pas de la catégorie des redevances au sens des stipulations des conventions fiscales conclues par la France avec l'Algérie, l'Egypte, l'Espagne, le Ghana, l'Equateur, la Malaisie, la Grèce, la Slovaquie, le Maroc et la Tunisie, la cour administrative d'appel de Versailles n'a pas entaché son arrêt d'erreur de qualification juridique des faits.

Sur le crédit d'impôt recherche :

8. Aux termes de l'article 244 quater B du code général des impôts, dans sa version applicable au litige : " I. Les entreprises industrielles et commerciales ou agricoles imposées d'après leur bénéfice réel (...) peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année. (...) / II. Les dépenses de recherche ouvrant droit au crédit d'impôt sont : / a) Les dotations aux amortissements des immobilisations, créées ou acquises à l'état neuf et affectées directement à la réalisation d'opérations de recherche scientifique et technique (...) / b) Les dépenses de personnel afférentes aux chercheurs et techniciens de recherche directement et exclusivement affectés à ces opérations. (...) c) les autres dépenses de fonctionnement exposées dans les mêmes opérations (...) / d bis) Les dépenses exposées pour la réalisation d'opérations de même nature confiées à des organismes de recherche privés agréés par le ministre chargé de la recherche, ou à des experts scientifiques ou techniques agréés dans les mêmes conditions. (...) / d ter) Les dépenses mentionnées aux d et d bis entrent dans la base de calcul du crédit d'impôt recherche dans la limite globale de deux millions d'euros par an. Cette limite est portée à 10 millions d'euros pour les dépenses de recherche correspondant à des opérations confiées aux organismes mentionnés aux d et d bis, à la condition qu'il n'existe pas de lien de dépendance au sens des deuxième à quatrième alinéas du 12 de l'article 39 entre l'entreprise qui bénéficie du crédit d'impôt et ces organismes (...) / III. Les subventions publiques reçues par les entreprises à raison des opérations ouvrant droit au crédit d'impôt sont déduites des bases de calcul de ce crédit, qu'elles soient définitivement acquises par elles ou remboursables. Il en est de même des sommes reçues par les organismes ou experts désignés au d et au d bis du II, pour le calcul de leur propre crédit d'impôt (...) ".

9. Il résulte de ces dispositions que les sommes reçues par les organismes de recherche privés agréés mentionnés au d bis du II de l'article 244 quater B du code général des impôts pour la réalisation d'opérations de recherche qui leur sont confiées par des entreprises entrant elles-mêmes dans le champ des bénéficiaires du crédit d'impôt recherche constituent, pour ces entreprises donneuses d'ordre, des dépenses éligibles à ce crédit. S'agissant des organismes de recherche sous-traitants, ils ne peuvent inclure les dépenses exposées pour réaliser de telles opérations dans la base de calcul de leur crédit d'impôt recherche.

10. En revanche, lorsqu'un tel organisme engage des dépenses de recherche pour son propre compte, y compris dans l'hypothèse où elles sont suscitées par l'exécution de prestations pour le compte d'un tiers dont l'objet ne porte pas sur la réalisation d'opérations de recherche, cet organisme peut inclure ces dépenses dans la base de calcul de son crédit d'impôt si elles satisfont aux exigences posées par l'article 244 quater B du code général des impôts, sans que ces dispositions ne lui imposent de déduire de cette assiette les sommes facturées au bénéficiaire des prestations, qui ne constituent pas, pour ce dernier, des dépenses éligibles à ce crédit d'impôt.

11. Il ressort des termes de l'arrêt attaqué que la cour a refusé à la société le bénéfice du crédit d'impôt en se fondant, notamment, sur la circonstance qu'elle avait répercuté intégralement aux donneurs d'ordre la charge financière liée à ces opérations. En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait seulement, après avoir vérifié si les dépenses en cause étaient bien des dépenses de recherche, de s'assurer que les cocontractants de la société Sopra Steria Group ne lui avaient pas confié la réalisation d'opérations de recherche dont le coût aurait constitué, pour ces entreprises, des dépenses éligibles au crédit d'impôt recherche, la cour a commis une erreur de droit.

12. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens du pourvoi, que l'arrêt attaqué doit être annulé en tant qu'il rejette les conclusions de la requête de la société Sopra Steria Group tendant, à titre principal, à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie à raison des rectifications des crédits d'impôt recherche qu'elle avait déclarés au titre de ses exercices clos en 2008 et 2009, ainsi que des pénalités correspondantes.

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser la société Sopra Steria Group, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.


D E C I D E :
--------------
Article 1er : L'arrêt du 4 juin 2019 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de la requête de la société Sopra Steria Group tendant, à titre principal, à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie à raison des rectifications des crédits d'impôt recherche qu'elle avait déclarés au titre de ses exercices clos en 2008 et 2009, ainsi que des pénalités correspondantes.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Versailles.
Article 3 : L'Etat versera à la société Sopra Steria Group une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Sopra Steria Group et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.


Voir aussi