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Ariane Web: Conseil d'État 429191, lecture du 5 juillet 2021, ECLI:FR:CECHR:2021:429191.20210705

Décision n° 429191
5 juillet 2021
Conseil d'État

N° 429191
ECLI:FR:CECHR:2021:429191.20210705
Mentionné aux tables du recueil Lebon
3ème - 8ème chambres réunies
Mme Pauline Berne, rapporteur
Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteur public
SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocats


Lecture du lundi 5 juillet 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS




Vu la procédure suivante :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d'annuler les décisions du 4 juillet et du 11 octobre 2018 par lesquelles le maire de Colmar a refusé de lui accorder le bénéfice des allocations d'aide au retour à l'emploi. Par un jugement nos 1805664, 1806805 du 13 février 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé ces deux décisions et enjoint au maire de Colmar d'accorder à Mme B... le bénéfice des allocations sollicitées pour la période du 2 avril au 31 décembre 2018 inclus, dans un délai de dix jours à compter de la notification de ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 27 mars et 18 juin 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Colmar demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter les requêtes de Mme B... ;

3°) de mettre à la charge de Mme B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code du travail ;
- l'arrêté du 4 mai 2017 portant agrément de la convention du 14 avril 2017 relative à l'assurance chômage et de ses textes associés ;
- le code de justice administrative ;


Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Pauline Berne, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Marie-Gabrielle Merloz, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la commune de Colmar et à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de Mme B... ;


Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que Mme A... B... a exercé les fonctions d'attachée de presse auprès de la commune de Colmar du 1er décembre 2014 au 30 novembre 2017. Par courrier du 12 avril 2018, Mme B..., se prévalant d'être restée involontairement privée d'emploi, à compter du 2 avril 2018, plus de 121 jours après le terme de ce contrat, a demandé à la commune de lui verser des allocations d'aide au retour à l'emploi. Par une décision du 4 juillet 2018, le maire de Colmar a rejeté cette demande au motif que Mme B... avait volontairement quitté son emploi. Après suspension de cette décision par le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, le maire de Colmar a, par une décision du 11 octobre 2018, maintenu son refus d'accorder à Mme B... le bénéfice des allocations d'aide au retour à l'emploi. Après suspension de cette deuxième décision de refus par le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, le maire de Colmar a, par une décision du 11 décembre 2018, renouvelé ce refus. Par un jugement en date du 13 février 2019, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé les décisions des 4 juillet et 11 octobre 2018 du maire de Colmar. La commune de Colmar se pourvoit en cassation contre ce jugement.

2. Lorsqu'il statue sur un recours dirigé contre une décision par laquelle l'administration, sans remettre en cause des versements déjà effectués, détermine les droits d'une personne en matière d'aide ou d'action sociale, de logement ou au titre des dispositions en faveur des travailleurs privés d'emploi, et sous réserve du contentieux du droit au logement opposable, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu'à sa qualité de juge de plein contentieux, non de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d'examiner les droits de l'intéressé, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui résultent de l'instruction et, notamment, du dossier qui lui est communiqué en application de l'article R. 772-8 du code de justice administrative. Au vu de ces éléments, il lui appartient d'annuler ou de réformer, s'il y a lieu, cette décision, en fixant alors lui-même tout ou partie des droits de l'intéressé et en le renvoyant, au besoin, devant l'administration afin qu'elle procède à cette fixation pour le surplus, sur la base des motifs de son jugement. Dans le cas d'un contentieux portant sur les droits au revenu de remplacement des travailleurs privés d'emploi, c'est au regard des dispositions applicables et de la situation de fait existant au cours de la période en litige que le juge doit statuer.

3. Il ressort des termes mêmes du jugement attaqué que le tribunal administratif de Strasbourg s'est prononcé en qualité de juge de l'excès de pouvoir pour statuer sur la demande de Mme B... tendant à ce que la commune de Colmar lui verse des allocations d'aide au retour à l'emploi, et non en qualité de juge de plein contentieux. Dès lors, il résulte de ce qui précède que son jugement doit être annulé.

4. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au fond, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

Sur les conclusions aux fins de non-lieu à statuer présentées par la commune de Colmar

5. Les décisions du 11 octobre et du 11 décembre 2018 par lesquelles le maire de Colmar a réitéré son refus d'allouer à Mme B... le bénéfice des allocations d'aide au retour à l'emploi ne sont intervenues que pour assurer, respectivement, l'exécution des ordonnances du 2 octobre et du 3 décembre 2018 du juge des référés ayant ordonné le réexamen de la demande de Mme B.... De telles décisions revêtent par leur nature même un caractère provisoire et n'ont donc, en tout état de cause, pas eu pour effet de priver d'objet la demande de Mme B... tendant à ce que la commune lui verse des allocations de retour à l'emploi.

Sur les conclusions de Mme B... tendant à ce que la commune de Colmar lui verse des allocations d'aide au retour à l'emploi à compter du 2 avril 2018 :

6. D'une part, aux termes de l'article L. 5421-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige : " En complément des mesures tendant à faciliter leur reclassement ou leur conversion, les travailleurs involontairement privés d'emploi, ceux dont le contrat de travail a été rompu conventionnellement selon les modalités prévues aux articles L. 1237-11 à L. 1237-15 du présent code ou à l'article L. 421-12-2 du code de la construction et de l'habitation et ceux dont le contrat de travail a été rompu d'un commun accord selon les modalités prévues aux articles L. 1237-17 à L. 1237-19-14 du présent code, aptes au travail et recherchant un emploi, ont droit à un revenu de remplacement dans les conditions fixées au présent titre. ". Aux termes de l'article L. 5424-1 de ce code : " Ont droit à une allocation d'assurance dans les conditions prévues aux articles L. 5422-2 et L. 5422-3 : (...) 2° Les agents non titulaires des collectivités territoriales et les agents non statutaires des établissements publics administratifs autres que ceux de l'Etat et ceux mentionnés au 4° ainsi que les agents non statutaires des groupements d'intérêt public ; (...) ". Aux termes de l'article L. 5422-20 du même code : " Les mesures d'application des dispositions du présent chapitre, à l'exception des articles de la présente section, du 5° de l'article L. 5422-9, des articles L. 5422-10, L. 5422-14 à L. 5422-16 et de l'article L. 5422-25, font l'objet d'accords conclus entre les organisations représentatives d'employeurs et de salariés. " et aux termes de l'article L. 5422-21: " L'agrément rend obligatoires les dispositions de l'accord pour tous les employeurs et salariés compris dans le champ d'application professionnel et territorial de cet accord. "

7. D'autre part, l'accord n° 12 du 14 avril 2017, pris pour l'application de l'article 46 du règlement général annexé à la convention du 14 avril 2017 relative à l'assurance chômage, prévoit en son paragraphe 1 que : " Une ouverture de droit aux allocations ou un rechargement ou une reprise des droits peut être accordé au salarié qui a quitté volontairement son emploi, et dont l'état de chômage se prolonge contre sa volonté, sous réserve que les conditions suivantes soient réunies : / a) l'intéressé doit avoir quitté l'emploi au titre duquel les allocations lui ont été refusées, depuis au moins 121 jours ou lorsqu'il s'agit d'une demande de rechargement des droits au titre de l'article 28, avoir épuisé ses droits depuis au moins 121 jours ; / b) il doit remplir toutes les conditions auxquelles le règlement général annexé subordonne l'ouverture d'une période d'indemnisation, à l'exception de celle prévue à l'article 4 e) ; / c) il doit enfin apporter des éléments attestant ses recherches actives d'emploi, ainsi que ses éventuelles reprises d'emploi de courte durée et ses démarches pour entreprendre des actions de formation. ".

8. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que les agents visés au 2° de l'article L. 5424-1 du code du travail ayant quitté volontairement leur emploi et dont l'état de chômage se prolonge contre leur volonté, en dépit de démarches actives de recherche d'emploi, ont droit à l'allocation d'aide au retour à l'emploi dès lors qu'ils satisfont à l'ensemble des conditions prévues aux a), b) et c) des stipulations du paragraphe 1 de l'accord précité.

9. En premier lieu, si la commune de Colmar soutient que Mme B... a quitté volontairement son emploi, cette circonstance ne saurait, en tout état de cause, fonder le refus opposé à sa demande de versement d'allocations d'aide au retour à l'emploi dès lors qu'il résulte de ce qui a été dit au point 8 que cette circonstance ne ferait pas obstacle à ce qu'elle sollicite le bénéfice des stipulations précitées de l'accord d'application n°12.

10. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction, d'une part, que la commune ayant opposé à Mme B..., le 12 mars 2018, un refus à sa première demande d'allocation d'aide au retour à l'emploi en date du 6 janvier 2018, au motif qu'elle n'était pas privée d'emploi depuis au moins 121 jours, l'intéressée a sollicité par un courrier du 12 avril 2018 le réexamen de cette demande et l'allocation de cette aide à compter du 2 avril 2018. D'autre part Mme B... a, dès la fin de sa collaboration avec la commune de Colmar, et après s'être inscrite comme demandeur d'emploi le 28 novembre 2017, présenté sa candidature à de nombreuses offres d'emploi correspondant, contrairement à ce que soutient la commune, à ses qualifications, notamment en décembre 2017 comme coordinateur de production au sein d'un établissement public de coopération intercommunal en Alsace, en janvier 2018 comme attaché de presse auprès de trois maisons d'édition parisiennes ou en mars 2018 auprès des services de communication et du cabinet d'une commune, et a poursuivi ensuite activement ses efforts de recherche d'emploi en postulant notamment à diverses offres auprès d'employeurs publics et privés tant dans le secteur des relations presse que de la communication institutionnelle. Elle s'est ainsi portée candidate, entre la date de la fin de sa collaboration avec la commune et la date de sa reprise d'emploi, le 1er janvier 2019, à plus de 30 offres d'emploi. La commune de Colmar n'est donc pas fondée à soutenir que Mme B... n'attestait pas de ses recherches actives d'emploi pendant cette période. Par suite, et dès lors qu'il n'est par ailleurs pas contesté qu'elle remplissait les autres conditions auxquelles le paragraphe 1 de l'accord précité subordonne l'octroi des allocations d'aide au retour à l'emploi, la commune de Colmar était tenue de lui verser ces allocations pour la période allant du 2 avril 2018, date à laquelle elle doit être regardée, en tout état de cause, comme remplissant l'ensemble des conditions exigées par les stipulations de l'accord d'application n°12 dont elle sollicitait le bénéfice, au 31 décembre 2018.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte

11. L'état de l'instruction ne permettant pas de déterminer le montant exact des droits de Mme B... pour la période du 2 avril 2018 au 31 décembre 2018 inclus, il y a lieu de la renvoyer devant la commune de Colmar pour que soient calculées et versées, dans un délai d'un mois, les allocations d'aide au retour à l'emploi qui lui sont dues. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions aux fins d'astreinte.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Colmar une somme de 4 500 euros à verser à Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, pour l'ensemble de la procédure. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de Mme B... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.



D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg est annulé.
Article 2 : La commune de Colmar est condamnée à verser à Mme B... les allocations d'aide au retour à l'emploi auxquelles elle a droit du 2 avril 2018 au 31 décembre 2018.
Article 3 : Mme B... est renvoyée devant la commune de Colmar pour qu'il soit procédé, dans un délai d'un mois suivant la notification de la présente décision, au calcul et au versement des allocations d'aide au retour à l'emploi qui lui sont dues pour la période du 2 avril au 31 décembre 2018.
Article 4 : La commune de Colmar versera à Mme B... une somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions présentées par Mme B... et par la commune de Colmar est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la commune de Colmar et à Mme A... B....


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