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Ariane Web: Conseil d'État 441440, lecture du 6 juillet 2021, ECLI:FR:CECHS:2021:441440.20210706

Décision n° 441440
6 juillet 2021
Conseil d'État

N° 441440
ECLI:FR:CECHS:2021:441440.20210706
Inédit au recueil Lebon
2ème chambre
M. Sébastien Gauthier, rapporteur
M. Philippe Ranquet, rapporteur public
SCP PIWNICA, MOLINIE, avocats


Lecture du mardi 6 juillet 2021
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



Vu la procédure suivante :

Mme B... A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe la suspension de l'exécution de la décision du directeur de la société Orange Caraïbe en date du 12 février 2019 prononçant la mutation de l'intéressée dans l'intérêt du service au site de Baie-Mahault.

Par une ordonnance n° 1900268 du 12 avril 2019, le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a suspendu, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, l'exécution de la décision du directeur de la société Orange Caraïbe en date du 12 février 2019 et enjoint, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, au directeur de la société de procéder à la réintégration de Mme A... dans son précédent emploi à la boutique de Basse-Terre dès réception de l'ordonnance et dans un délai de quinze jours.

Par une ordonnance n° 1900268 du 4 juin 2019, le juge des référés a liquidé l'astreinte provisoire en condamnant la société Orange SA à verser à Mme A... la somme de 3 500 euros, en exécution de l'article 2 de l'ordonnance du 12 avril 2019.

Par une décision n° 431863 du 27 mars 2020, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé l'ordonnance n° 1900268 rendue le 4 juin 2019 et renvoyé l'affaire au tribunal administratif de la Guadeloupe.

Par une ordonnance n° 2000371 du 10 juin 2020, le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe, statuant sur le renvoi de l'affaire par le Conseil d'Etat, a condamné la société Orange Caraïbe à verser à Mme A..., en exécution de l'article 2 de l'ordonnance n° 1900268 du 12 avril 2019 du juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe, la somme de 5 725 euros déduction faite de la somme de 3 500 euros déjà versée en exécution de l'ordonnance n° 1900268 du 4 juin 2019 ainsi que la somme de 17 175 euros en exécution de la même décision.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 25 juin et 10 juillet 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Orange demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 10 juin 2020 du juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe ;

2°) statuant en référé, de faire droit à ses conclusions de première instance ;

3°) de mettre à la charge de Mme A... la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de justice administrative ;



Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Sébastien Gauthier, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Philippe Ranquet, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Orange ;




Considérant ce qui suit :

1. Par une ordonnance du 12 avril 2019, le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a suspendu l'exécution de la décision du directeur de la société Orange Caraïbe en date du 12 février 2019 mutant Mme B... A... dans l'intérêt du service et enjoint, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, au directeur de la société de procéder à la réintégration de Mme A... dans son précédent emploi dans un délai de quinze jours. Par une ordonnance du 10 juin 2020, le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a procédé à la liquidation définitive de l'astreinte à la charge de la société Orange à hauteur de 22 000 euros, dont 5 725 euros à verser à Mme A... sous déduction de la liquidation provisoire déjà ordonnée à son profit. La société Orange se pourvoit en cassation contre cette ordonnance.

Sur la question prioritaire de constitutionalité soulevée par Mme A... :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux. Mme A... soulève le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article R. 432-1 du code de justice administrative en tant qu'il exige le recours au ministère d'avocat devant le Conseil d'Etat serait contraire aux articles 1er et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Ces dispositions n'étant pas législatives, elles ne peuvent faire l'objet d'une question prioritaire de constitutionalité. Les dispositions citées ci-dessus de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 font ainsi obstacle à ce que la question prioritaire de constitutionnalité invoquée soit transmise au Conseil constitutionnel.

Sur le pourvoi de la société Orange :

3. Aux termes de l'article L. 911-7 du code de justice administrative : " En cas d'inexécution totale ou partielle ou d'exécution tardive, la juridiction procède à la liquidation de l'astreinte qu'elle avait prononcée. (...) / Elle peut modérer ou supprimer l'astreinte provisoire, même en cas d'inexécution constatée. ". D'autre part, l'article R. 921-7 du même code dispose qu'" A compter de la date d'effet de l'astreinte prononcée, même à l'encontre d'une personne privée, par le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel, le président de la juridiction ou le magistrat qu'il désigne, après avoir accompli le cas échéant de nouvelles diligences, fait part à la formation de jugement concernée de l'état d'avancement de l'exécution de la décision. La formation de jugement statue sur la liquidation de l'astreinte. ".

4. L'astreinte a pour finalité de contraindre la personne qui s'y refuse à exécuter les obligations qui lui ont été assignées par une décision de justice. Sa liquidation a pour objet de tirer les conséquences du refus ou du retard mis à exécuter ces obligations. La renonciation à obtenir le versement des sommes devant résulter, le cas échéant, de cette liquidation, ne fait pas obstacle à ce que, dès lors que les conditions en sont réunies, le juge administratif prononce la liquidation définitive de l'astreinte qu'il a prononcée. Lorsqu'est ordonnée par le juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, une mesure provisoire assortie d'une astreinte, l'intervention du jugement au principal, qui met fin à l'obligation d'exécuter cette mesure, prive, pour l'avenir, cette astreinte de base légale. Elle n'a, en revanche, pas pour effet de priver d'objet la demande de liquidation de cette astreinte pour la période comprise entre la fin du délai imparti pour exécuter la mesure ordonnée en référé et la notification à la personne soumise à l'astreinte du jugement rendu dans l'instance engagée au principal, dès lors que la mesure en cause n'a pas été exécutée dans cet intervalle, ou a été exécutée tardivement.

5. Par jugement du 8 octobre 2019 statuant au principal sur le litige ayant donné lieu à l'intervention du juge des référés, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé la décision de mutation de Mme A... en date du 12 février 2019. Ainsi qu'il a été dit ci-dessus, l'intervention de ce jugement au principal ne privait pas d'objet la demande de liquidation de l'astreinte prononcée par le juge des référés en vue d'assurer l'exécution de la mesure ordonnée en référé. Toutefois, il privait pour l'avenir cette astreinte de base légale. Par suite, en procédant à la liquidation de l'astreinte définitive pour la période courant du 1er mai 2019 au 15 décembre 2019, dès lors que la décision de réintégrer Mme A... prenait effet le 16 décembre, sans tenir compte de l'intervention du jugement au principal, le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe a commis une erreur de droit. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, son ordonnance doit être annulée.

6. Aux termes du deuxième alinéa de l'article L. 821-2 du code de justice administrative : " Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat statue définitivement sur cette affaire ". Il y a lieu, par suite, de régler l'affaire au titre de la procédure d'exécution.

Sur les conclusions des parties et la liquidation de l'astreinte :

7. Si Mme A..., par un mémoire enregistré le 24 mai 2020 a déclaré renoncer à la liquidation de l'astreinte, cette renonciation à obtenir le versement des sommes devant résulter, le cas échéant, de cette liquidation, ne fait pas obstacle à ce que, dès lors que les conditions en sont réunies, le juge prononce la liquidation définitive de l'astreinte qu'il a prononcée. Par suite, si, par un mémoire, enregistré le 25 mai 2020, la société Orange a également déclaré se désister de ses conclusions, en particulier de celles tendant à ce qu'il soit ordonné à Mme A... de lui reverser la somme de 16 000 euros, correspondant selon elle à la liquidation de l'astreinte pour la période du 1er mai 2019 au 8 octobre 2019 et qu'elle a spontanément versée à l'intéressée, la condition mise au désistement des conclusions de la société Orange ne se trouve pas remplie. Il ne peut dès lors être donné acte du désistement de ces conclusions.

8. Toutefois, d'une part, il résulte de ce qui a été dit au point 4 que la notification à la société Orange du jugement du 8 octobre 2019 rendu dans l'instance engagée au principal le 14 octobre 2019 a privé de base légale l'injonction provisoire qu'avait ordonnée le juge des référés et à l'astreinte dont elle était assortie. Cette astreinte a cessé de produire ses effets à compter de cette date. D'autre part, il résulte de l'instruction que la société ne justifiait pas, à cette date, avoir exécuté cette ordonnance du juge des référés. Il y a lieu, par suite, de procéder à la liquidation définitive de l'astreinte pour la période courant du 1er mai 2019, date de fin du délai imparti pour exécuter la mesure ordonnée par le juge des référés, au 14 octobre 2019, date de la notification à la société Orange du jugement rendu dans l'instance engagée au principal, soit 167 jours, au taux de 100 euros par jour, en en modérant le montant pour tenir compte du versement opéré spontanément par la société Orange à Mme A..., de fixer ainsi ce montant à la somme de 16 000 euros sous déduction de toutes sommes déjà versées et par suite, et en tout état de cause, de rejeter les conclusions de la société Orange tendant au reversement de cette somme par Mme A....

9. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de la société Orange présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.



D E C I D E :
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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme A....
Article 2 : L'ordonnance n° 2000371 du 10 juin 2020 du juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe est annulée.
Article 3 : Il y a lieu de liquider l'astreinte prononcée à l'encontre de la société Orange au bénéfice de Mme A... à hauteur de 16 000 euros sous déduction des sommes déjà versées
Article 4 : Le surplus des conclusions de la société Orange est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme B... A... et à la société Orange.
Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la relance et au ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière.